Alexandre Maymat, Société générale : « Nous restons la seule banque internationale avec une ambition africaine forte »

Investissements, nouveaux marchés, expansion géographique, le responsable Afrique pour Société générale Alexandre Maymat expose la stratégie de l’établissement pour faire face à la concurrence.

Sous la houlette d’Alexandre Maymat, le groupe a accéléré son développement en Afrique, qui représente environ 5% de son PNB. © Régis Corbet/SOCIÉTÉ GÉNÉRALE

Sous la houlette d’Alexandre Maymat, le groupe a accéléré son développement en Afrique, qui représente environ 5% de son PNB. © Régis Corbet/SOCIÉTÉ GÉNÉRALE

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Publié le 12 février 2018 Lecture : 9 minutes.

Sous l’impulsion d’Alexandre Maymat, patron depuis 2012 de la région Afrique & outre-mer, Banque de détail à l’international, Société générale a accéléré son développement sur le continent, qui ne représente pourtant qu’environ 5 % de son PNB (1,2 milliard d’euros en 2016, 25,3 milliards à travers le monde).

Cette expansion s’est poursuivie en 2017 avec l’ouverture d’un bureau de représentation au Kenya, alors même que le géant britannique Barclays cédait la majorité de sa participation dans Barclays Africa Group Limited et que les administrateurs de Banque populaire et de Caisse d’épargne (BPCE) enjoignaient à François Pérol, le président de son directoire, de rechercher des repreneurs pour certaines filiales continentales.

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En plein essor sur le continent

Pour expliquer cette stratégie, Société générale rappelle sa présence historique en Afrique, où il est actif depuis 1911, sa résilience aux périodes de crise comme la dévaluation du F CFA en 1994 ou la crise politico-militaire de 2010-2011 en Côte d’Ivoire. Le groupe reste leader sur d’importants marchés, où sa rentabilité demeure remarquable.

Plus important, Société générale estime que le secteur bancaire a atteint sur le continent un degré de maturité et de sophistication qui lui permet enfin de faire pleinement jouer les avantages compétitifs dus à sa présence historique et à son statut de banque internationale. Au début de janvier, en plein bouclage des résultats financiers de 2017, qui doivent être présentés le 8 février, Alexandre Maymat a accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique.

Jeune Afrique : À la fin de novembre 2017, vous avez présenté le volet africain de la stratégie 2020 de Société générale lors de la Journée des investisseurs. C’est une première ?

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Alexandre Maymat : Tout à fait. L’Afrique est aujourd’hui véritablement affichée comme l’un des moteurs de croissance du groupe. Nous y visons une croissance annuelle moyenne supérieure à 8 % des revenus et un rendement sur fonds propres alloués supérieur à 15 % en 2020. Nous restons aujourd’hui la seule banque internationale – peut-être avec Standard Chartered – qui affiche encore une ambition africaine forte.

Mais le départ de groupes internationaux comme Barclays ou la réduction de la voilure de BPCE ne signalent-ils pas une dégradation des perspectives en Afrique ?

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Disons que le contexte concurrentiel s’est renforcé, avec un certain nombre de banques africaines – marocaines, nigérianes, sud-africaines… – très présentes et qui se développent avec des franchises compétitives. Il est donc plus important pour nous aujourd’hui, en tant que banque internationale en Afrique, de faire valoir ce qui est notre avantage compétitif.

Qui est ?

Apporter à nos clients tout le savoir-faire accumulé dans des marchés plus matures. D’où la nécessité « d’accrocher » complètement le dispositif africain au reste du groupe. Depuis septembre 2017, dans la nouvelle organisation voulue par Frédéric Oudéa [directeur général de Société générale], la business unit « réseaux bancaires internationaux, Afrique, bassin méditerranéen & outre-mer » est directement rattachée à la direction générale, ce qui accroît sa visibilité et démontre l’importance qu’elle a pour le groupe.

De plus, dans la banque d’entreprise, nous avons instauré des coopérations systématiques avec toutes les grandes lignes métiers du groupe : financements structurés, opérations de marchés, cash management, financement du commerce international… Nous investissons également pour consolider notre dispositif et pour accompagner la sophistication de la banque en Afrique.

Quelle forme prend cette sophistication ?

Depuis 2016, une plateforme de financement structuré a ouvert à Abidjan, complétant l’offre de Casablanca, pour réaliser des opérations dont le volume – inférieur à quelques centaines de millions d’euros – ne justifie pas nécessairement l’implication des équipes de Paris ou de Londres.

La trading room d’Abidjan, qui a coûté 5 millions d’euros, a été rentabilisée en six mois

Nous avons également créé une salle de marchés à Abidjan, visant l’ensemble de la zone CFA. Nous finalisons le rattachement à cette salle du Sénégal et du Burkina. Le Bénin, le Togo et le Cameroun doivent suivre en 2018, avant le Tchad, la Guinée équatoriale et la République du Congo en 2019. Cette salle vient compléter nos activités de marché au Maroc, en Algérie, en Tunisie et au Ghana.

L’ensemble du dispositif fait l’objet d’un accord de coopération signé en 2017 avec nos activités de marché en France. Résultat : la trading room d’Abidjan, qui a coûté 5 millions d’euros, a été rentabilisée en six mois. C’est un succès assez spectaculaire !

Vous avez des nouveaux produits pour la clientèle des particuliers ?

Nous capitalisons sur les expertises du groupe pour développer la banque privée onshore. C’est déjà le cas au Maroc. On s’y attelle en Tunisie et en Côte d’Ivoire, pays où nous venons de lancer en partenariat avec Société générale Private banking une offre de banque privée qui pourra éventuellement couvrir les autres pays d’Afrique subsaharienne. Nous ciblons ici une clientèle haut de gamme qui a des besoins plus complexes.

Pour la première fois, des offres de dépôt structurées, fondées sur la performance d’actifs sous-jacents, situées sur les marchés d’actions internationaux vont être lancées dans les prochaines semaines au Maroc. Cela n’a pas été simple, parce qu’il a fallu expliciter la réglementation avec les autorités boursières et les autorités de contrôle de change locales.

Nous voulons développer en Côte d’Ivoire des produits immobiliers pour accompagner la constitution du patrimoine de notre clientèle très haut de gamme

Nous cherchons aussi à monter, à partir de Sogespar, notre filiale de gestion d’actifs en Côte d’Ivoire, une offre de placement structurée liée à la Bourse d’Abidjan. Nous préparons également des produits d’assurance-vie plus avancés – avec des actifs sous-jacents différents, des effets de garantie en capital… –, au Maroc avec La Marocaine Vie, et en Côte d’Ivoire avec Allianz, qui est notre partenaire de bancassurance en Afrique subsaharienne.

Vous avez lancé, à la fin de 2017, une solution de gestion patrimoniale en Afrique de l’Ouest. De quoi s’agit-il ?

Nous voulons développer en Côte d’Ivoire des produits immobiliers pour accompagner la constitution du patrimoine de notre clientèle très haut de gamme. On a créé un joint-venture avec nos activités de banque privée à Abidjan dans ce domaine en décembre 2017, et l’offre va bientôt se mettre en place. Elle existe déjà au Maroc depuis 2015.

Nous préparons aussi des offres visant à rendre plus liquides les actifs que comptent certains clients dans leurs entreprises. Cela leur permettra de mettre à profit ces actifs « enfermés » aujourd’hui dans des firmes pour développer l’activité et le patrimoine privé. Nous structurons enfin une petite équipe en Côte d’Ivoire – c’est déjà le cas au Maroc – qui va faire du conseil, successoral et patrimonial, auprès d’un certain nombre de grandes familles.

Et dans la banque de détail ?

Une agence en Afrique, c’est 200 000 euros par an, quasi le même coût qu’en France, car la prépondérance des opérations de cash demande plus d’effectifs, et l’infrastructure technique (loyers, sécurité, électricité, informatique, etc.) coûte très cher. Aussi, nous continuons de développer notre réseau de distribution classique (quarante nouvelles agences par an), mais nous accélérons surtout le déploiement des réseaux alternatifs liés au mobile.

Quels gains espérez-vous retirer des offres mobiles ?

Avec le mobile et l’agency banking, – qui permet de réduire et de partager les coûts de distribution –, nous avons trouvé un moyen de densifier notre présence dans les territoires et de rapprocher la banque du client. En Guinée, nous avons lancé les microguichets Money Pop dans treize stations-service de Total, avec un conseiller faisant des opérations de caisse et des opérations bancaires.

Nous allons en déployer une quinzaine cette année. Avant éventuellement d’élargir le partenariat avec Total à d’autres pays. Aussi, nous développons à la fois une offre de mobile banking pour nos clients, avec une application dédiée, et la banque alternative Yup, fondée sur un porte-monnaie électronique.

Sont-elles complémentaires ?

Oui. Nos clients du secteur bancaires sont destinés à devenir aussi des clients Yup. Ils pourront faire directement des transferts depuis leur compte vers leur porte-monnaie électronique puis vers des proches, des clients ou des fournisseurs qui n’auront pas besoin d’un compte bancaire, mais juste du porte-monnaie Yup.

Très vite, nous comptons proposer des opérations de crédit et de dépôt via le porte-monnaie électronique

Ce dernier s’appuie pour l’instant sur la licence de porte-monnaie électronique de nos banques, ce qui permet de recevoir et de sortir du cash ainsi que de faire des opérations de paiement (de factures, de salaires, des paiements marchands). Mais très vite, nous comptons proposer des opérations de crédit et de dépôt. Au Sénégal, c’est Manko, notre banque de mésofinance, qui va produire les crédits distribués par Yup. En Côte d’Ivoire, nous avons un partenariat avec le groupe de microfinance Advans, dont nous sommes actionnaires et qui sera le producteur de l’offre de crédits.

En quoi est-ce différent des offres des opérateurs de télécoms ?

D’abord, l’offre Yup est indépendante de l’identité de l’opérateur et du type de téléphone (classique ou smartphone). Elle ne fonctionne pas avec la technologie USSD prisée des « telcos », mais avec une technologie d’échange de sons. Cette technologie permet d’identifier le téléphone, de lire le contenu du portefeuille électronique repris dans la puce et de réaliser la transaction, avec un code secret. Elle a été développée par la start-up française TagPay. Nous sommes entrés à son capital l’an dernier et devrions renforcer notre participation en 2018.

Vous ne craignez donc pas la concurrence des telcos ?

Nous avons une intimité avec les grands clients qui sont à l’origine des flux, notamment les entreprises qui vont payer des salaires sur le porte-monnaie électronique et le faire ainsi vivre. Nous pouvons dématérialiser, par ce biais, les flux de paiements. De plus, les banques peuvent proposer des opérations de crédit et de dépôt, contrairement aux opérateurs de télécoms, qui n’ont pas la licence bancaire.

Certains ont des licences de monnaie électronique, c’est notamment le cas d’Orange dans la zone Uemoa…

Peut-être qu’un jour les opérateurs voudront devenir des banques, comme en France. Après, la connaissance ou la compréhension de la banque ne se gagnent pas du jour au lendemain. Cela demande une expertise du risque, notamment sur les opérations de crédit. Et puis il y a des sujets de conformité – y compris dans le contrôle des flux pouvant relever du blanchiment de fonds – qui sont de plus en plus prégnants en Afrique et sur lesquels nous avons une vraie avance…

Donc à chacun son métier ?

Il faut que l’on apprenne à travailler avec ce nouveau compétiteur. À Madagascar, on a un vrai partenariat avec Telma, opérateur leader du marché. Nous sommes la banque à travers laquelle Telma effectue l’ensemble de ses transactions de monnaie électronique.

Je crois fermement que le développement du paiement mobile se fera un jour au travers des plateformes d’interopérabilité

Mais le marché africain n’est pas suffisamment ouvert aujourd’hui pour qu’il y ait une place pour des initiatives d’opérateurs de télécoms comme celles qu’on déploie sur Yup, concentré aujourd’hui sur les métiers transactionnels, mais que nous allons élargir au crédit et à l’épargne.

Pour l’instant, nous avons un avantage compétitif réel et historique sur les activités proprement bancaires sur lequel il faudra que nous continuions à capitaliser. De façon générale, je crois fermement que le développement du paiement mobile se fera un jour au travers des plateformes d’interopérabilité, qui fonctionnent quel que soit le porte-monnaie électronique.

La monétique ne s’est vraiment développée dans le monde qu’à partir du moment où il y a eu des groupements d’intérêt économique (GIE) monétiques. Il se passera la même chose dans le paiement électronique. Nous devons nous y préparer.

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