Ce jour là : le 23 janvier 1846, Tunis abolit l’esclavage
Secrets d’histoire : le 23 janvier 1846 Ahmed Bey décrète la fin de l’esclavage en Tunisie qui devient le premier pays du monde arabo-musulman à défendre la cause abolitionniste.
L’inauguration, le 23 janvier – tout un symbole ! –, d’une Instance nationale de lutte contre la traite des personnes et la présentation d’un projet de loi contre la discrimination raciale engagent l’État tunisien en matière de protection et de défense des minorités.
Un droit précisément consacré dès le 23 janvier 1846 avec l’abolition de l’esclavage, sur décret d’Ahmed Bey, deux ans avant la France. Un acte avant-gardiste, car c’est une première dans le bassin méditerranéen et le monde arabo-musulman. L’Algérie coloniale suivra en 1848, et le Maroc en 1922.
Tunis était alors un carrefour où circulaient les hommes et les idées
« Ahmed Bey était réceptif aux nouvelles idées libérales et aux idéaux humanitaires », précise l’historien Abdelhamid Larguèche, qui rappelle que la création, en 1840, de l’École polytechnique du Bardo traduisait déjà la volonté du bey de s’inscrire dans son temps.
Tunis était alors un carrefour où circulaient les hommes et les idées. En même temps qu’il introduisait l’imprimerie en Tunisie, Ahmed Faris al-Chidiyaq, le célèbre intellectuel libanais, a ainsi largement diffusé les idées libérales, dont le principe de l’abolition de l’esclavage.
Ahmed Bey reconnu de ses pairs
Dans un contexte de bouillonnement intellectuel, la décision du souverain, lui-même fils d’une esclave sarde, s’est construite en plusieurs temps. L’influent consul britannique, Thomas Reade, a d’abord rallié le bey, qui deviendra membre d’une société savante sur l’esclavage, à la cause abolitionniste.
Dès avril 1841, le commerce des esclaves est interdit. Les marchés aux esclaves ferment. En 1842, un décret édicte que tout natif du pays est un individu libre. En libérant les esclaves, Ahmed Bey s’affranchit de la Sublime Porte, consolide sa position, acquiert de la visibilité et entre dans la cour des grands. En 1846, il est reçu en France en grande pompe par le roi Louis-Philippe, ce qui déplaît aux autorités de tutelle ottomanes.
Abolition sur fond de religion
Pour mettre fin à une pratique qui remontait à l’Antiquité, Ahmed Bey s’appuiera sur une fatwa des cheikhs Ibrahim Riahi et Bayrem, chargés des cultes malékite et hanéfite au pôle religieux et universitaire de la Zitouna. Leur ijtihad, effort d’interprétation du Coran, confirme « l’aspiration naturelle de l’homme à la liberté et le respect du principe des droits humains ».
« Ce mouvement d’ouverture symbolise une structuration de l’État. Il est nourri d’une réflexion sur la place de l’individu dans la société et sur les questions économiques pour une reconfiguration de l’État », souligne l’historien Ridha Moumni, qui déplore l’absence d’archives permettant une lecture du développement de la réflexion et des pressions exercées.
167 000 esclaves issus de la traite transsaharienne et des rapts en Méditerranée intègrent ainsi la société tunisienne
Le seul monument public en Tunisie qui évoque l’abolition de l’esclavage est une plaque commémorative sur la tombe de Thomas Reade. Le décret d’Ahmed Bey est largement suivi en milieu citadin, mais rejeté par les tribus et les régions du Sud, où les esclaves, venus de Ghadamès, du Fezzan ou du royaume du Bornou, constituent une main-d’œuvre importante ; 167 000 esclaves issus de la traite transsaharienne et des rapts en Méditerranée intègrent ainsi la société tunisienne. Certains vont grossir les rangs de l’armée, d’autres pratiqueront des petits métiers ou resteront chez leurs anciens maîtres.
Visionnaire
En abolissant l’esclavage, Ahmed Bey se met au diapason d’un Occident dont il pressent la menace : en 1881, la Tunisie deviendra un protectorat français. Un décret colonial de 1890 accordera aux anciens esclaves des droits économiques et familiaux, dans le droit fil de l’action réformiste amorcée par Ahmed Bey.
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