Bénin : Adrien Houngbédji fait le bilan d’une carrière politique mouvementée
Pilier de la vie politique locale, Adrien Houngbédji devrait mettre un terme à sa carrière en 2019. Qu’en retiendra-t-on ? Ses années de lutte ou ses revirements répétés ? Alliance avec Patrice Talon, échec à la présidentielle de 2011… Houngbédji revient pour Jeune Afrique sur les épisodes marquants de sa carrière.
Adrien Houngbédji est assis derrière le bureau en bois massif de sa résidence de Cotonou, celle-là même qui fut saisie par le régime de Mathieu Kérékou en 1975. Il a le calme et l’aplomb de ceux qui semblent avoir tout vu, tout vécu.
Alors quand on lui demande pourquoi il a décidé de se ranger derrière Patrice Talon alors qu’il avait fait campagne pour Lionel Zinsou, son rival à l’élection présidentielle de mars 2016, le président de l’Assemblée nationale se montre d’un pragmatisme glacial :
Le niveau de vie de près d’un million de Béninois dépend de mes choix politiques
« On ne crée pas un parti politique simplement pour rester dans l’opposition. On le fait parce que l’on aspire à la gestion du pouvoir d’État. Mon parti, le Parti du renouveau démocratique [PRD], a été dans l’opposition pendant près de vingt-trois ans. Qu’y avons-nous gagné ? Le niveau de vie de près d’un million de Béninois dépend de mes choix politiques. Au soir de ma trajectoire, je dois me préoccuper de leur devenir. »
Alliance avec Patrice Talon
Au soir de sa trajectoire et par la force des choses, Adrien Houngbédji, 75 ans, est devenu l’un des principaux alliés du président Talon. Mais son parcours ne fut pas rectiligne, tant s’en faut. Fils d’un sous-officier des douanes, originaire de Porto-Novo et descendant direct du défunt roi Guézo d’Abomey, il aura combattu d’arrache-pied le régime de Kérékou – ce qui lui vaudra d’être condamné à mort par contumace en 1975 et d’être contraint à l’exil pendant quinze ans.
De retour au Bénin à la faveur de la Conférence nationale de 1990, il soutiendra son ennemi d’hier contre le chef de l’État sortant, Nicéphore Soglo, au second tour de la présidentielle de 1996. Ce dernier ne le lui pardonnera jamais. Candidat lors des scrutins de 2006 et 2011, Houngbédji s’inclinera chaque fois contre Thomas Boni Yayi, dont il deviendra l’un des plus farouches opposants.
L’alliance d’Adrien Houngbédji avec Patrice Talon est un mariage de raison. Les deux hommes se connaissent depuis près de vingt ans, habitent dans le même quartier, tout près du palais présidentiel, mais n’ont jamais été très proches. Certes, Claudine, l’épouse du chef de l’État, est originaire du département de l’Ouémé, dans le sud-est du Bénin, comme Houngbédji. Mais à part cela, peu de choses les rapprochent.
Talon a même indirectement contribué aux échecs de Houngbédji en finançant Nicéphore Soglo dès le début des années 1990, puis en allant chercher Boni Yayi à la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) pour qu’il se lance en politique.
L’échec de 2011
Il est un épisode dont Houngbédji se souvient sans difficulté et qui illustre la fragilité des alliances politiques au Bénin. Nous sommes en 2011. La campagne pour l’élection présidentielle va bientôt débuter. Les rapports entre Patrice Talon et Boni Yayi sont tendus.
L’homme d’affaires choisit alors de se rendre à pied en pleine journée jusque chez Houngbédji pour lui promettre son soutien. Mais il n’en sera rien : Yayi réussira finalement à rassurer Talon et à le garder dans son camp. Sept ans plus tard, ce scrutin demeure l’un des grands regrets du vieil opposant, persuadé aujourd’hui encore de l’avoir emporté.
C’est un opportuniste qui ne pense qu’aux avantages du pouvoir, rage un jeune du PRD
En 2015, les difficultés de l’homme d’affaires les rapprochent. Depuis son exil parisien, celui-ci est déterminé à torpiller Boni Yayi et à contrecarrer ses plans : le chef de l’État veut placer le ministre Komi Koutché au perchoir, Talon soutient Houngbédji. « C’était le seul à même de fédérer l’opposition », raconte un proche de l’actuel président. Il sera élu à une voix près.
Quand Talon se lance dans la course à la magistrature suprême, il pense donc pouvoir compter sur l’appui du président du PRD… mais ce dernier lui préfère Lionel Zinsou, le candidat de Yayi. « Ce fut un choix pragmatique, pas un choix de doctrine, raconte l’intéressé. Notre objectif était d’être avec celui qui gagnerait. Nous pensions qu’avec notre soutien et celui de Yayi Zinsou il l’emporterait. »
Un rapprochement qui irrite certains du PRD
Zinsou échoue, Houngbédji rebondit. Immédiatement après la victoire de Talon, le PRD annonce qu’il soutiendra le nouveau chef de l’État. Comme Talon a besoin du président de l’Assemblée nationale, chacun y trouve son compte. On dit aujourd’hui de Houngbédji qu’il est le 23e membre du gouvernement, mais son rapprochement avec le chef de l’État fait grincer des dents jusque dans les rangs du PRD, où certains estiment qu’il ne roule que pour lui-même.
Patrice Talon a innové. Son programme est très séduisant, estime Houngbédji
« C’est un opportuniste qui ne pense qu’aux avantages du pouvoir », rage un jeune du parti. « Nous n’avons pas fait campagne pour Talon. Il aurait pu ne rien nous donner. Or nous avons deux ministres au gouvernement. Nous n’avons pas à nous plaindre », rétorque Houngbédji.
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Hanté par ses échecs
Lui joue sans remords le jeu du partenariat. Il ne fait pas partie du premier cercle, mais il parle très régulièrement avec le chef de l’État, avec qui il définit certaines stratégies politiques. Houngbédji défend bec et ongles son bilan : « Il a innové. Son programme est très séduisant. De plus, en arrivant au pouvoir, il a été confronté à deux problèmes : une demande sociale très forte, impatiente, et une situation difficile héritée du gouvernement précédent. »
Avec 240 partis, il est difficile d’avoir une classe politique digne de ce nom
Dans l’hémicycle, son soutien au pouvoir est tel que certains députés décrivent sa gestion comme partisane. À l’heure d’aborder le crépuscule de sa vie politique, il a fait de la réforme des partis – qui devrait être votée en avril – son dernier cheval de bataille. S’il est adopté en l’état, le texte aura pour conséquence principale de réduire considérablement le nombre de formations.
« Nous voulons assainir le paysage politique. Avec 240 partis, il est difficile d’avoir une classe politique digne de ce nom, explique Houngbédji. Dans l’optique des législatives d’avril 2019, l’idée est que les différents acteurs qui soutiennent l’action du président puissent se regrouper en un parti unifié. »
Quid de son propre mouvement ? Ne signe-t-il pas avec cette réforme son acte de décès ? « Le PRD ne disparaîtra pas, répond-il. Mais il pourrait ne plus exister dans sa forme actuelle. Nous resterons un courant, une association, une ONG, plus un parti traditionnel. »
Adrien Houngbédji est hanté par ses échecs. Il a beaucoup d’amertume envers les Béninois et les politiciens, déclare un homme politique
À titre personnel, Houngbédji devrait prendre sa retraite à la fin de son mandat à la tête de l’Assemblée. « Les dispositions ont été prises pour que je puisse prendre ma retraite sans que le parti soit brisé », dit-il. Que retiendront les Béninois de ce politicien madré ? Ses années d’exil et de lutte ou ses revirements répétés ?
« On ne peut pas expliquer ses choix sans comprendre l’homme, conclut une personnalité politique de premier plan. Adrien Houngbédji est hanté par ses échecs. Il a beaucoup d’amertume envers les Béninois et les politiciens. Il estime qu’ils ne le méritent pas. »
La relève en question
Beaucoup s’attendaient à ce qu’Adrien Houngbédji passe la main lors du dernier congrès du Parti du renouveau démocratique (PRD) en décembre 2017.
Le président de l’Assemblée nationale ne s’est pas seulement maintenu, il a aussi rétrogradé au sein du bureau politique tous ceux qui ambitionnaient de le remplacer, comme le député Augustin Ahouanvoébla. « Adrien Houngbédji se comporte comme s’il voulait que personne ne puisse lui succéder à la tête du PRD », analyse un observateur de la vie politique locale.
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