Abdel Fattah al-Sissi : une réélection assurée malgré un bilan mitigé
Face à un candidat fantoche, le raïs est certain d’être réélu. Pris entre l’enclume islamiste et le marteau policier, les Égyptiens ne seront pas, eux, forcément gagnants.
« Nous nous félicitons du choix du président Sissi pour 2019 ! » Alpha Condé, le chef de l’État guinéen, serait-il oracle pour annoncer, le 28 janvier à la tribune de l’Union africaine (UA), que son homologue égyptien dirigera dans un an l’organisation continentale ? Car le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, 63 ans, doit d’abord remporter la présidentielle dans son propre pays, les 26 et 28 mars.
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De fait, ces propos en disent long sur l’absence totale de suspense qui entoure l’avenir politique du raïs. À l’issue de la campagne qui a débuté alors qu’il paradait au milieu de ses pairs, au 30e sommet de l’UA, Sissi pourrait même s’offrir un meilleur score qu’en 2014, quand il avait remporté 96,9 % des suffrages.
Seul bretteur à avoir été admis dans l’arène l’ultime jour du dépôt des candidatures, Moussa Moustafa Moussa, chef du parti libéral Al-Ghad, était jusque-là un admirateur éperdu de son adversaire. Poudre aux yeux démocratique à l’usage d’un énième pharaon que, pour sauver les apparences, il ne fallait pas laisser concourir seul ?
« Mascarade »
En décembre et janvier, sept autres prétendants ont été écartés, voire emprisonnés, à l’instar du colonel Ahmed al-Konsowa et du général Sami Hafez Annan. Ce dernier a été arrêté le 23 janvier, trois jours après avoir déposé sa candidature, pour « grave violation des lois du service militaire ». Un comble pour un ancien chef d’état-major !
Les médias au garde-à-vous s’étaient empressés de le taxer de collaboration avec les Frères musulmans, organisation décrétée terroriste après le renversement d’un de leurs chefs, Mohamed Morsi, élu à la présidence en 2012.
Le lendemain de l’interpellation du général Annan, Khaled Ali, un avocat défenseur des droits de l’homme, jetait l’éponge, dénonçant « l’arrestation d’un grand nombre de [ses] jeunes partisans ». « Pas question de participer à cette mascarade », a tempêté à son tour le socialiste Hamdine Sabahi, qui, en 2014, était le seul concurrent du maréchal. Il a lui aussi appelé au boycott.
Quiconque voudrait semer le désordre et ruiner le pays aura d’abord affaire à moi
« Quiconque voudrait semer le désordre et ruiner le pays aura d’abord affaire à moi », a tonné Sissi le 31 janvier. Nul doute que ce fils de commerçant devenu président par la force de l’armée saura exécuter sa menace avec la même sévérité qu’il réprime, depuis 2013, les Frères musulmans, mais aussi les militants de tous bords qui ne partagent pas sa vision.
L’ingénierie électorale rudimentaire mise en œuvre pour sa réélection semble en phase avec son constat de 2014, lorsqu’il avait prétendu que l’Égypte n’était pas prête pour la démocratie.
Vogue régionale
Ce 25 janvier, la révolution a fêté ses sept ans en habits de deuil. « Soyez prévenus, ce qu’il s’est passé il y a sept ou huit ans ne se reproduira plus », a ajouté le raïs, comme si la formidable mobilisation de 2011 était la dernière plaie de l’Égypte. À la révolution du pain, de la justice et de la liberté, le régime oppose le mythe d’une seconde révolution, celle de l’ordre et de la sécurité, qui a mis fin en 2013 au gouvernement des Frères.
La nouvelle Constitution ne lui laisse la possibilité que de renouveler une fois son mandat de quatre ans, mais les arrangements que le raïs prend avec l’Histoire laissent envisager qu’il pourrait également prendre quelques libertés avec la loi. La vogue régionale de « l’homme fort » semble donner carte blanche à celui qui se présente en sauveur de la patrie et qui affiche fièrement sa sympathie pour Donald Trump.
La vogue régionale de « l’homme fort » semble donner carte blanche à celui qui se présente en sauveur de la patrie
Mais les précautions que prend le régime pour garantir la victoire de son chef trahissent aussi la faiblesse de son bilan, qu’un compétiteur sérieux n’aurait nulle peine à étriller. La répression féroce menée au nom de la « guerre mondiale contre le terrorisme » n’a fait que jeter de l’huile sur le feu, plaçant les Égyptiens entre le marteau policier et l’enclume extrémiste. Le 24 novembre, le pays a connu l’attentat le plus meurtrier de son histoire quand le « gouvernorat de l’État islamique dans le Sinaï » y a assassiné 305 fidèles dans une mosquée.
Le régime a englouti des dizaines de milliards de dollars en achat d’armes et en projets aussi gigantesques que peu rentables tout en prêchant une indispensable et douloureuse austérité.Sur la scène internationale, Sissi compte des alliés puissants – Donald Trump, les Saoudiens, les Émiratis – mais instables.
Saoudiens, Émiratis, Donald Trump… Ses alliés sont puissants mais instables
Pour rembourser Riyad, Le Caire lui a cédé deux îlots dans la mer Rouge, ce que les Égyptiens ont perçu comme une humiliation. Et le panafricanisme emphatique du président n’a pas empêché l’érection du grand barrage éthiopien de la Renaissance, qui menace le débit du Nil en Égypte.
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Le bétonnage de l’élection du maréchal Sissi reflète la fragilité de sa politique. Plus préoccupante pour lui, l’arrestation, dans le cadre de la campagne, d’un colonel et d’un général trahit les fissures du pilier de son pouvoir, l’armée.
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