Transport maritime : les ambitions déçues de DP World

Dubaï Ports World a été à l’avant-garde de la gestion moderne des terminaux portuaires en Afrique. Mais il semble aujourd’hui patiner sur le continent, derrière l’Europe et la Chine.

Propriété de DP World, le port de Jebel Ali, à Dubaï, est le plus grand du Moyen-Orient et fait partie des dix plus importants du monde. © Charles Crowell/Bloomberg via Getty Images

Propriété de DP World, le port de Jebel Ali, à Dubaï, est le plus grand du Moyen-Orient et fait partie des dix plus importants du monde. © Charles Crowell/Bloomberg via Getty Images

Publié le 21 février 2018 Lecture : 7 minutes.

Le Doraleh Container Terminal de Djibouti a été créé de toutes pièces par DP World en 2008. © Vincent Fournier/Jeune Afrique
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Transport maritime : les ambitions déçues de DP World

Le géant émirati a été à l’avant-garde de la gestion moderne des terminaux portuaires sur le continent. Mais dix ans après son arrivée à Dakar, il semble avoir perdu sa boussole alors que les Européens et les Chinois mènent la danse.

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Classé parmi les cent personnalités les plus influentes par le prestigieux quotidien Lloyd’s List, Sultan Ahmed Ibn Sulayem est un homme qui compte dans l’industrie maritime mondiale. Les chefs d’État africains rencontrent bien volontiers le patron du groupe portuaire Dubai Ports World.

Son palmarès, en 2017, est impressionnant. De Nana Akufo-Addo au Ghana à Ibrahim Boubacar Keïta au Mali en passant par le Sénégalais Macky Sall, le Rwandais Paul Kagame ou l’Ougandais Yoweri Museveni, l’homme d’affaires émirati n’a pas ménagé sa peine pour entretenir des liens africains au plus haut niveau.

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Malgré cette active diplomatie économique et de beaux discours sur le potentiel de l’Afrique, où le groupe émirati est arrivé par hasard – à Maputo (Mozambique), seule position historique – en rachetant le britannique P&O en 2005, la stratégie de DP World pose question. Parti très vite, à l’avant-garde de la privatisation portuaire, qui accompagne depuis deux décennies le boom de la conteneurisation, il semble depuis patiner.

Pionnier à Dakar et à Djibouti

« DP World, si l’on excepte un acteur majeur comme Bolloré, lié de près à l’ancienne puissance française, a été un pionnier avec deux coups d’éclat majeurs : Dakar puis Djibouti, analyse Jean-Marie Miossec, universitaire spécialiste du transport maritime. Depuis, alors que les grands opérateurs mondiaux y sont tous, hormis le singapourien PSA, DP World marque le pas. »

La mondialisation, c’est profiter de l’émergence des pays du Sud, et les Européens montrent qu’ils n’ont rien perdu de leurs liens ancestraux

Est-ce finalement parce que la stratégie prêtée à DP World n’est pas aussi huilée qu’on l’imagine ? « DP World, avec son premier projet à Dakar en 2008 face à Bolloré, a été vu comme un acteur du monde arabe tourné vers les pays en voie de développement sur fond de convergence “islamique”, analyse Paul Tourret, le directeur de l’Institut supérieur de l’économie maritime. Dans les faits, il agit davantage par opportunisme, au coup par coup. »

Concurrence effrénée

Faute d’avoir su élaborer un véritable plan de développement africain, alors que les projets de ports et de corridors logistiques ne manquaient pas, DP World s’est retrouvé pris en sandwich par une concurrence féroce. D’un côté, les Européens n’ont pas baissé la garde.

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Bolloré Ports, avec dix-sept concessions, a démontré la qualité de son organisation et de ses réseaux en Afrique de l’Ouest. APM Terminals, société sœur du danois Maersk Line, le numéro un mondial du transport de conteneurs, a tissé une toile puissante qui va des immenses terminaux de Port-Saïd (Égypte) et de TangerMed, les plus grands d’Afrique, à l’Angola ou au Nigeria. L’italo-suisse MSC, numéro deux mondial, a construit un hub influent à Lomé.

CMA CGM est revenu en Afrique après avoir digéré la crise de 2008. Il démarrera enfin l’exploitation de Kribi (Cameroun) au début de mars et développe son réseau de ports secs via sa filiale CMA CGM Log. « La mondialisation, c’est profiter de l’émergence des pays du Sud, et les Européens montrent qu’ils n’ont rien perdu de leurs liens ancestraux », analyse Paul Tourret.

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Tensions avec le pouvoir de Djibouti

L’autre tranche du sandwich qui enserre DP World est bien évidemment chinoise avec, à Djibouti, un cas d’école qui montre toute l’ironie de cette concurrence effrénée. DP World a créé de toutes pièces en 2008 le Doraleh Container Terminal (DCT) en association avec le Port autonome international de Djibouti. Mais voilà qu’en prenant il y a quatre ans 23,5 % du capital du port China Merchants est devenu actionnaire du DCT et acteur du jeu de DP World.

Depuis, tous les projets de Djibouti sont menés par les Chinois, du Doraleh Multipurpose Port, ouvert l’an passé, aux ports vraquier de Ghoubet (sel) et bétailler de Damerjog en passant par le futur Doraleh International Container Terminal (DICT) visant à doubler le DCT de DP World d’ici à 2020.

DP World n’est pas dans les petits papiers du président Guelleh, bien au contraire. Accusé d’avoir corrompu l’ancien président du port, Abdourahman Boreh, aujourd’hui en exil, pour obtenir les concessions, DP World a été blanchi par la Cour internationale de Londres le 21 février 2017, une bien maigre consolation. Même sur le plan strictement économique, DP World est en difficulté.

En Algérie, une cathédrale dans le désert

« Aucun grand nom du conteneur n’a fait du DCT son hub de transbordement », rappelle Paul Tourret, loin des ambitions affichées il y a dix ans qui visaient à en faire le Singapour de l’Afrique. Un développement portuaire aujourd’hui entre les mains chinoises qui, dit-on, ont engagé pas moins de 16 milliards de dollars (environ 13 milliards d’euros) à Djibouti.

Il n’y a pas véritablement de stratégie africaine

DP World fait aussi face à la toute-puissance chinoise en Algérie. Dans une logique que l’on pouvait supposer « islamique », le groupe émirati s’est implanté en 2008 à Alger pour gérer, avec l’autorité portuaire publique (Epal), le terminal à conteneurs. DP World a récupéré en même temps Djen Djen, un hub mort-né à l’est qui n’a jamais su devenir le TangerMed algérien. Sans arrière-pays, acculé à la montagne kabyle, il est même devenu une cathédrale dans le désert. DP World n’a pas réussi à sortir du marasme le système portuaire algérien, enkysté par la bureaucratie. « Un flop qui a terni son image », glisse Jean-Marie Miossec. Le nouveau projet algérien, près de Cherchell, qui doit démarrer d’ici à sept ans à l’ouest d’Alger, se fera, s’il se fait, sans lui et avec… les Chinois. Les géants de l’ingénierie China Harbour Engineering Company et China State Construction Engineering Corp. ont été choisis pour le construire, et SIPG, qui a franchi à Shanghai en 2017 la barre des 40 millions de conteneurs, pour l’exploiter.

Dans ce contexte, les projets de DP World – qui, sollicité à plusieurs reprises, n’a pas souhaité détailler sa vision – apparaissent modestes. « Il n’y a pas véritablement de stratégie africaine, glisse un cadre ayant quitté le groupe. Prenant l’exemple de ses premiers succès à Dakar et à Djibouti, DP World a tiré des plans sur la comète en voulant ou en imaginant être seul maître à bord de tous les projets de nouveaux ports (greenfield ports), alors qu’en Afrique beaucoup de deals récents se sont faits en partageant le pouvoir. Bolloré, tour à tour associé aux Chinois, à APM Terminals, à CMA CGM, parfois en concurrence avec eux, l’a bien compris et a su ainsi s’étendre en Afrique de l’Ouest après son échec à Dakar face à… DP World. »

Projets modestes

Qu’a annoncé le groupe émirati depuis deux ans ? Le plus gros projet est à Berbera, au Somaliland, gagné une fois encore face à Bolloré, qui peine à reproduire à l’est de l’Afrique ses succès ouest-africains. Le début des opérations a eu lieu en mars 2017 avec un quai de 400 m et 25 ha de terre-pleins. La concession de trente ans doit, sur le papier tout du moins, recevoir 442 millions de dollars, avec une zone franche en complément de Djibouti pour desservir l’Éthiopie, le pays enclavé le plus peuplé du monde. DP World se console de son enlisement djiboutien, mais Berbera reste pour l’heure un projet mineur à l’échelle portuaire.

Pour le reste, les projets de DP World sont encore plus modestes. Sa filiale P&O Ports a obtenu discrètement la gestion de Bosaso, au Puntland, avec une concession de trente ans et un quai de 450 m à construire. Une zone logistique est lancée à Sokhna (Égypte), en arrière de son terminal à conteneurs. Trente-cinq millions de dollars ont été engagés au début de 2016 dans un port sec de 9 ha à Kigali, au Rwanda (50 000 conteneurs EVP par an). Et au Mali, un protocole d’accord a été signé à la mi-novembre 2017 pour la mise en place de dispositions douanières accélérées et avec l’ambition affichée d’améliorer la logistique des approvisionnements du pays – très loin de son gigantesque et efficace hub amiral de Jebel Ali, classé dans le top 10 des ports mondiaux.

L’Afrique, malgré son potentiel, se révèle finalement un petit business pour DP World et, surtout, un continent compliqué

Pour percer sur le continent, DP World vend aussi les bonnes pratiques opérationnelles développées aux Émirats. Son atout : l’informatique, notamment dans la facilitation du passage douanier, qui doit permettre aux autorités locales d’être convaincues de la performance émiratie. Et un jour, peut-être, de choisir le groupe pour un terminal… La démarche a été menée au Ghana même si DP World ne réalise pas l’agrandissement du port de Tema, mené actuellement par Bolloré et APM Terminals.

Direction l’Inde

Les visées africaines de DP World, fort de 78 terminaux dans 40 pays (dont 7 en Afrique), semblent néanmoins réduites même si le groupe vaut plus de 20 milliards de dollars en Bourse – la plus importante capitalisation mondiale dans le domaine portuaire, la première de la Bourse de Dubaï – et a investi un milliard de dollars en 2017.

« L’Afrique, malgré son potentiel, se révèle finalement un petit business pour DP World et, surtout, un continent compliqué », analyse l’ex-cadre. En témoignent les grandes annonces de janvier. Où DP World a-t-il, avec le fonds d’État sur les infrastructures, promis 3 milliards de dollars d’investissement ? En Inde, dont beaucoup de cadres du groupe sont originaires. Le caractère « musulman » des pays partenaires n’est certainement plus un critère, on le voit bien. L’Inde, vue de Jebel Ali, constitue, bien plus que le continent africain, le terrain de jeu des princes émiratis.

Pas de direction réservée à l’Afrique

DP World a des responsables opérationnels répartis sur six grandes zones : Émirats, Europe-Russie, Asie-Pacifique, Australie - Nouvelle-Zélande, sous-continent indien et Moyen-Orient - Afrique. Dirigée depuis Dubaï par Suhail Al Banna, un Émirati de 56 ans formé à l’université californienne de San Diego et en place depuis novembre 2013, la branche africaine est gérée en même temps que l’un des principaux terminaux du groupe, à Djeddah (Arabie saoudite). Son patron de zone siège au conseil d’administration de DP World Dakar et dirige plusieurs filiales africaines, dont DP World Djen Djen.

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