Tunisie – Samir Majoul : « Nous voulons un accord de Carthage économique »
Relations avec l’UGTT et le pouvoir exécutif, projet de loi de finances, présence tunisienne en Afrique… Samir Majoul, le nouveau patron de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), élu le 17 janvier, se confie à Jeune Afrique.
Industriel dans le secteur des conserves de fruits et légumes, Samir Majoul a été élu à la présidence de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), le 17 janvier dernier, à l’issue du 16e Congrès national de l’organisation, succédant ainsi à Wided Bouchamaoui.
Relations avec l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et le pouvoir exécutif, projet de loi de finances, présence tunisienne en Afrique, le nouveau patron des patrons se confie à Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Le 17 janvier dernier, vous avez été élu à la tête de l’Utica. Songiez-vous depuis longtemps à prendre la direction de l’organisation ?
Samir Majoul : C’est l’aboutissement d’une longue carrière de syndicaliste. Une consécration, pas un but en soi.
La présidente sortante n’a pas émis le souhait de se représenter. Cela vous a-t-il aidé ?
Wided Bouchamaoui a estimé qu’elle avait fait ce qu’elle avait à faire et, en effet, elle n’a pas démérité. C’est durant son mandat que l’Utica a reçu le prix Nobel, conjointement avec trois autres organisations tunisiennes. Quant aux élections, elles sont logiquement un moment de concurrence, mais l’équipe de Mme Bouchamaoui m’a largement soutenu : à l’Utica, tout le monde sait qu’à la fin nous jouerons ensemble.
L’Utica s’est opposée à la loi de finances 2018. Étiez-vous contre ?
Je ne sais pas si « s’opposer » est le bon terme. Nous avons relevé qu’il s’agissait d’une loi fiscale plutôt que d’une loi de finances. Nous avons découvert un texte laissant à l’écart la question du secteur informel et entravant le tissu économique transparent.
Un texte qui, pour combler un déficit public dont les causes sont en partie à chercher du côté des entreprises d’État, propose de peser sur le privé. Or on trouve des entreprises publiques dont le chiffre d’affaires correspond aux charges ! Nous avons agi au mieux entre la première et la deuxième mouture. Aujourd’hui, nous appelons à l’adoption de décisions par voie de décret.
On dit de vous que vous êtes un pur libéral. Vous n’êtes pas tendre avec les entreprises du public…
À titre personnel, je ne suis pas un adepte du public. Mais je suis patriote et je suis favorable à un secteur privé au service de tous les Tunisiens. Si demain le public prouve sa compétitivité, je le défendrai et m’opposerai à sa privatisation. Mais l’adoption de la loi de finances aurait dû être assortie d’un bilan des performances des deux secteurs.
La Tunisie a prouvé plus d’une fois son importance, notamment politique, pour l’Afrique
Par exemple, on ne peut plus faire avec des services portuaires deux à trois fois plus onéreux que ceux des pays voisins en mer Méditerranée. Et si je suis un vrai libéral, je ne suis pas pour autant un partisan du dumping social. D’ailleurs, certains pays qui le pratiquent au prix de situations qui ne sont pas socialement admissibles font du mal à l’économie tunisienne… Et ne les cherchez pas forcément dans les pays « du Sud ».
Ce profil assumé ne vous empêchera-t-il pas de dialoguer avec l’UGTT ?
L’UGTT, je ne dialogue pas avec, je vis avec. Ce sont des partenaires que je respecte. Dans la foulée de mon élection, je me suis rendu au ministère des Affaires sociales. Avec le ministre, son homologue de l’Industrie et Noureddine Taboubi, de l’UGTT, nous nous sommes mis autour d’une table et nous avons trouvé une solution au conflit social à la STIP [Société tunisienne des industries de pneumatiques]. L’Utica et l’UGTT sont liées.
Notre syndicat est né en 1947, un an après l’UGTT, pour mener à bien avec elle la tunisification de l’économie. Chacun joue son rôle. Lors de cette rencontre, j’ai joué le mien et j’ai appelé à une grève des grèves. Quant à Noureddine Taboubi, je le connais bien et lui voue beaucoup de respect.
Certains chefs d’entreprise auraient trouvé un peu trop light la délégation patronale accompagnant le président Emmanuel Macron lors de sa visite d’État, fin janvier dernier. Êtes-vous aussi de cet avis ?
Je n’ai malheureusement pas pu rencontrer le président français : j’ai fait une chute dans les escaliers du ministère des Affaires sociales qui m’a rendu indisponible… À l’Utica, nous sommes confiants dans le nouveau président français, et c’est rassurant : la France est notre premier partenaire économique.
>>> A LIRE – Macron en Tunisie : le pari de l’enseignement supérieur
La visite a été une réussite, de nombreuses annonces importantes ont été faites, et beaucoup de rencontres fructueuses ont eu lieu. Les Français sont d’accord avec nous pour dire qu’il faut maintenant cultiver l’entrepreneuriat, parier sur l’économie de la connaissance, la forte valeur ajoutée et la formation. Nous avons pu, de notre côté, rappeler que l’investissement en Tunisie restait rentable. Et c’est notre mission : nous ne sommes pas là pour demander de l’aide mais pour attirer des investissements.
La Tunisie donne l’impression d’accuser un temps de retard sur son voisin marocain dans le rapprochement avec les marchés d’Afrique de l’Ouest. Faut-il s’en inquiéter ?
Le Maroc est un bel un exemple d’ouverture, ou de réouverture rapide aux mondes politique et économique africains. Nous ne devons pas nous priver de retenir les leçons de cet effort, qui a reposé sur la création de structures permettant le rapprochement.
Nous ne disons pas que nous sommes contre l’accord de Carthage
Aujourd’hui, la compagnie maritime marocaine cabote dans tous les ports du continent, les banques chérifiennes ont pignon sur rue dans plusieurs grandes capitales africaines et les avions de la RAM assurent un trafic régulier. Notre pays a prouvé plus d’une fois son importance, notamment politique, pour l’Afrique. Nous devons maintenant, nous aussi, mieux nous outiller pour développer une politique africaine forte.
Pensez-vous pouvoir ramener au bercail certaines fédérations patronales qui ont quitté votre syndicat, comme celle de l’hôtellerie ?
Nous entretenons d’excellentes relations avec d’autres organisations patronales, comme l’APBT, par exemple, qui regroupe les professionnels de la banque, et nous avons de très bons rapports bien sûr avec les patrons de l’hôtellerie.
L’Utica n’a pas de prétention hégémonique, au contraire. Que le chantier jamais terminé de la consolidation du privé soit aux mains d’acteurs diversifiés est aussi une bonne chose.
Lors des débats sur le projet de loi de finances, l’Utica a émis une sorte de projet alternatif. Doit-on y voir une volonté de peser politiquement ?
Nous nous faisons entendre pour défendre l’économie. Nous donnons un avis, formulons des propositions, apportons une expertise. Je porte avec mes confrères l’idée d’une formation à l’entrepreneuriat pour tous les étudiants et celle d’un outillage permettant à l’État d’offrir des garanties aux jeunes qui, à la sortie de leurs études, voudraient entreprendre.
L’Utica a-t-elle l’intention de quitter l’accord de Carthage?
Aujourd’hui, nous ne disons pas que nous sommes contre l’accord, au contraire. Nous disons que nous voulons un accord de Carthage économique. Je dois faire avec le rythme politique : je suis sûr que l’échéance des élections obligera tout un chacun à présenter rapidement un bon bilan économique.
L'éco du jour.
Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles