Le jazzman sénégalais Herve Samb répond à l’appel du sabar

Le guitariste Herve Samb revient avec « Teranga », un quatrième album dans lequel il explore les potentialités de la fusion entre le jazz et la musique traditionnelle sénégalaise.

L’artiste, Herve Samb entend « populariser le jazz au Sénégal ». © CAMILLE MILLERAND pour ja

L’artiste, Herve Samb entend « populariser le jazz au Sénégal ». © CAMILLE MILLERAND pour ja

KATIA TOURE_perso

Publié le 26 février 2018 Lecture : 4 minutes.

C’est avec une guitare manouche qu’Herve Samb joue sur Teranga, son dernier album. Il y est à la recherche d’un son organique, en phase avec son exploration d’un tout nouveau style qu’il entend dénommer « jazz sabar ». À 38 ans, ce natif de Rufisque opère un retour vers son pays natal. Une démarche qui s’est imposée à lui. « Ces dernières années, j’ai commencé à travailler avec Omar Pène et me suis retrouvé à venir de plus en plus souvent au Sénégal, raconte-t-il. Je me suis rendu compte que ma culture commençait dangereusement à m’échapper et qu’il me fallait y remédier. »

Avant de jouer les directeurs artistiques pour Omar Pène, star emblématique du groupe Super Diamono, Herve Samb était surtout ce guitariste vivant entre Paris et New York et multipliant les collaborations avec des artistes d’envergure internationale, bien éloignés de la création musicale sénégalaise. Parmi eux, le saxophoniste de jazz américain David Murray, le groupe de blues Boney Fields and The Bone’s Project, les chanteuses Meshell Ndegeocello, Oumou Sangaré et Lisa Simone…

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 Force 5

Un brillant parcours pour un musicien tombé amoureux de la guitare alors qu’il était encore à l’école maternelle… Mais dut attendre encore quelques années. Ce n’est qu’à l’âge de 9 ans que le garçon, qui se rêve alors en rockeur fou, croise un musicien amateur dans les rues du quartier Sicap-Liberté et touche sa toute première six-cordes. « J’étais complètement fasciné par cet instrument, qui me semblait inaccessible », se souvient-il. Pourtant, ses parents finissent bel et bien par lui en offrir une.

Au tout début des années 1990, Herve Samb devient une véritable sensation au Sénégal. Il n’a que 11 ans quand il intègre Force 5, un groupe de jeunes musiciens qui se produit dans tout le pays et dont il devient la mascotte. Véritable showman, le gamin se retrouve même invité à la télévision nationale, sur la RTS, à 13 ans, en tant que plus jeune guitariste du Sénégal. « Je ne sais pas si c’est vrai, car personne ne l’a vérifié. Mais on m’arrêtait dans la rue pour me demander des autographes ! »

« Je suis arrivé en France avec ma guitare et 300 cassettes. Je n’avais pas de vêtements dans ma valise » rigole Herve Samb

À la même époque, il découvre le blues avec un musicien français lors de vacances chez ses grands-parents à Rufisque, et il est initié au jazz par le Belge Pierre Van Dormael, son mentor, alors installé à Dakar. L’adolescent prend une claque, découvre un autre monde. Pendant trois ans, il travaille sans relâche, mémorisant plus d’une centaine de standards.

Teranga, d’Herve Samb, Cristal Records

Teranga, d’Herve Samb, Cristal Records

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Consécration, le jeune Herve Samb participe aux off de la deuxième édition du Festival de jazz de Saint-Louis avec son propre groupe. Il joue même sur la scène principale avec le guitariste de blues Lucky Peterson. « Ce n’est pas quelque chose que l’on oublie… » L’année suivante, dans la programmation officielle, il clôture le festival.

Paris international

Après cette période féconde, Herve Samb quitte le Sénégal pour vivre de sa musique à Paris. Il a 19 ans. « Je suis arrivé en France avec ma guitare et 300 cassettes. Je n’avais pas de vêtements dans ma valise », s’amuse-t-il. Il se produit avec différents groupes venus de divers horizons. Répéter trois fois par jour et jouer tous les soirs…

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C’est son quotidien pendant près de trois ans. Peu à peu, il se fait un nom. À 22 ans, il accompagne Amadou et Mariam sur une tournée mondiale d’un an. Il fonde aussi un nouveau groupe et enregistre trois albums où le jazz figure en bonne place. Retour à Saint-Louis Jazz en 2014. « Je n’y avais pas joué depuis vingt ans. J’ai clôturé le festival avec… Lucky Peterson ! »

Retour aux sources sénégalaises

Peu à peu, il va renouer avec son pays. Une rencontre avec Alioune Seck, le percussionniste d’Omar Pène, ainsi que des retrouvailles avec le bassiste Pathe Jessi, son ami d’enfance, le conduisent vers de nouvelles expérimentations. Le guitariste fait des recherches sur la musique traditionnelle, tâte de la kora et du xalam et apprend les rythmes du sabar. Il s’entoure de musiciens comme le bassiste et chanteur Alune Wade, son « frère » (avec qui il a notamment enregistré le dernier disque de Salif Keita, à paraître prochainement).

 » Je ne pouvais pas réaliser Teranga sans faire appel aux artistes qui portent la culture sénégalaise sur leurs épaules quotidiennement » confie Herve Samb

Wade signe les arrangements et rédige les textes des standards revisités sur Teranga. Mais Samb fait aussi appel à Faada Freddy et à Ndongo D, membres fondateurs du fameux groupe de rap Daara J. Pour la dimension traditionnelle, il se tourne vers les chanteurs Souleymane Faye et Ndiouga Dieng, voix principale de l’Orchestra Baobab, décédé deux mois après l’enregistrement du disque.

« Teranga est un projet qui dépasse ma personne, confie Samb. Je ne pouvais pas le réaliser sans faire appel aux artistes qui portent la culture sénégalaise sur leurs épaules quotidiennement. C’est pour cette raison que j’ai tenu à le sortir d’abord au Sénégal, en octobre dernier. »

Jazz sabar

S’ensuit une tournée dans le pays. Herve Samb veut aller à la rencontre du public, qui ignore tout ou presque de sa musique. Son idée : populariser et décomplexer le jazz au Sénégal. « Le jazz sabar, c’est le jazz qui parle wolof, dit-il. Un jazz qui swingue, qui jouit de sa liberté intrinsèque d’improvisation harmonique et rythmique tout en respectant les codes du sabar. »

Ce jazz, Herve Samb a bien l’intention de continuer à l’explorer tout en entraînant dans son sillage les musiciens sénégalais. « Il n’y a pas de véritable courant de jazz sénégalais – qui représenterait notre culture. Les groupes ont disparu. Il ne reste plus que les chanteurs accompagnés par des musiciens devenus secondaires. » C’est son autre cheval de bataille : redonner de la valeur au musicien, pour le bien de la musique sénégalaise.

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