Pétrole : la réussite de moins en moins discrète de Perenco

Après avoir exploité avec succès les sites abandonnés par les majors, la compagnie, Perenco se lance dans l’exploration. Désormais sous le feu des projecteurs mais peu encline à communiquer, elle alimente les critiques des ONG.

Un puits de pétrole appartenant au groupe français Perenco, près de Muanda, dans l’extrême ouest de la RDC, en 2016 (image d’illustration). © Gwenn Dubourthoumieu pour JA

Un puits de pétrole appartenant au groupe français Perenco, près de Muanda, dans l’extrême ouest de la RDC, en 2016 (image d’illustration). © Gwenn Dubourthoumieu pour JA

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 26 février 2018 Lecture : 5 minutes.

Le groupe pétrolier Perenco continue, acquisition après acquisition, de tisser sa toile en Afrique. Après un temps d’arrêt lié à la chute des cours, en berne depuis juillet 2014, et le licenciement de près de 20 % de ses effectifs, la compagnie créée par Hubert Perrodo (décédé en 2006) a fait des emplettes remarquées ces derniers mois sur le continent (42 % de sa production).

En mai 2017, elle a racheté à Total, pour 350 millions de dollars (330 millions d’euros), cinq champs en exploitation au Gabon, représentant quelque 13 000 barils par jour, ainsi que des participations dans des blocs d’exploration. La société familiale présidée depuis 2006 par François Perrodo, fils du fondateur, a récidivé au Cameroun à la mi-janvier en acquérant 50 % des participations de Glencore dans le bloc offshore de Bolongo, où le trader avait fait une découverte en 2012. Elle en devient l’opérateur et espère d’autres forages fructueux dans cette zone.

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Gisements en fin de vie

Depuis plusieurs semaines, des négociations ont aussi lieu en RD Congo, où son gisement, situé à l’embouchure du fleuve Congo et le seul à être exploité dans le pays, produit 22 000 barils par jour. Objectif de ces discussions avec Kinshasa : l’extension de la durée de ses licences extractives et l’acquisition de nouveaux permis.

« Perenco, jadis uniquement dans l’optimisation de production, investit aujourd’hui davantage dans l’exploration  » note Francis Perrin

Le modèle économique de la société, pilotée depuis 2016 par Benoît de la Fouchardière, ancien directeur de la filiale camerounaise, a peu changé depuis sa fondation. « Perenco rachète des gisements considérés comme étant en fin de vie à des majors – comme Total ou Chevron – et en optimise l’exploitation, à moindre coût, en allongeant leur durée de vie et en trouvant d’autres réservoirs d’hydro­carbures aux alentours », indiquait Baptiste Breton, directeur de Perenco RD Congo, en juin 2016.

« Les chiffres de la croissance de la compagnie sont là pour montrer combien son modèle fonctionne bien. Seule petite différence avec le passé, Perenco, jadis uniquement dans l’optimisation de production, investit aujourd’hui davantage dans l’exploration », note Francis Perrin, chercheur associé à l’OCP Policy Center de Rabat et directeur de recherche à l’Iris, à Paris.

Deuxième compagnie française de production pétrolière

En dix ans, ce spécialiste du secteur pétrolier estime qu’avec 450 000 barils extraits chaque jour (dont 189 000 sur le continent) Perenco a multiplié par six sa production. Et il le doit en grande partie au continent, où il est arrivé d’abord au Gabon (1992) et au Cameroun (1993), avant d’étendre ses activités en RD Congo (2000), au Congo (2001), puis en Tunisie (2002).

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Pour la compagnie, ce succès a créé de nouvelles attentes, auxquelles elle était jusque-là peu habituée. « Perenco n’est pas cotée, elle n’est donc pas soumise aux mêmes obligations de transparence que la plupart de ses concurrents. Or la société est devenue la deuxième compagnie française (son siège est à Londres, mais elle est détenue et dirigée par des Français) en matière de production pétrolière derrière Total, et le premier producteur de brut en RD Congo, au Cameroun et au Gabon. Cela lui vaut l’attention légitime des ONG de transparence du secteur extractif », remarque Francis Perrin.

Controverse environnementale

À la fin de 2013, l’ONG catholique française CCFD-Terre solidaire, missionnée par la Commission épiscopale de RD Congo sur les ressources naturelles, l’avait sortie de l’anonymat en publiant un rapport sur ses activités intitulé « Pétrole à Muanda : la justice au rabais ». Le document dénonce le recours à un holding basé aux Bahamas et une situation sociale et environnementale dégradée autour des sites de Perenco en RD Congo.

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Il demande à la société de faire la transparence sur ses revenus, ses bénéfices, le niveau des taxes payées dans le pays, et réclame l’inspection par une entité indépendante de ses sites, suspectés de pollution. « On a opposé une fin de non-recevoir à toutes nos demandes », explique Samuel Pommeret, de CCFD-Terre solidaire.

« Perenco exploite du pétrole à moindre coût, mais cela ne signifie pas forcément des mauvaises pratiques sociales ou environnementales, estime toutefois Francis Perrin. Entreprise familiale flexible et de taille moyenne, la société n’a pas les coûts d’administration supportés par des géants comme Total, cela peut expliquer une partie de ses résultats », poursuit le spécialiste, pour qui le groupe paie son absence de communication.

« Perenco n’est plus seul sur son créneau, il va devoir faire avec la concurrence », observe Francis Perrin

« On se plaît dans la discrétion […]. Perenco a aujourd’hui un matelas suffisant pour se développer. En restant une société familiale, nous n’avons aucun compte à rendre à des actionnaires ou à des analystes financiers », faisait valoir François Perrodo lors d’une interview à l’hebdomadaire Le Point en août 2017, la seule jamais accordée à un média. Malgré nos multiples sollicitations, la compagnie a toujours refusé de répondre à nos questions.

Il faut dire que le groupe a également connu des dissensions en interne, dont il ne souhaite faire état. Après plusieurs décennies de bons et loyaux services, l’ancien directeur général Jean-Michel Jacoulot, limogé par François Perrodo, est parti avec plusieurs ex-cadres de Perenco fonder Trident Energy. Quant à Jérôme Garcia, ex-patron opérationnel du Gabon et du Cameroun, il a, lui, quitté le navire pour participer à la création d’Assala Energy, qui a repris les actifs de Shell au Gabon.

« Perenco n’est plus seul sur son créneau, il va devoir faire avec la concurrence », observe Francis Perrin, selon qui, outre Trident Energy et d’Assala Energy, les juniors nigérianes Seplat et Oando pourraient elles aussi lui faire de l’ombre.

Trident Energy, un jumeau en embuscade

Appuyés par le fonds d’investissement américain Warburg Pincus, Jean-Michel Jacoulot, directeur général de Perenco de 2007 à 2016, et Éric Descourtieux, son directeur financier de 2010 à 2016, ont débauché une partie du management et des ingénieurs de leur ancien employeur pour fonder Trident Energy, établi à Londres.

Dotés de 600 millions de dollars (570 millions d’euros environ), mis à leur disposition par leurs actionnaires, ils suivent le même modèle économique que chez Perenco : ils veulent racheter à prix réduit, pour les optimiser, des gisements détenus depuis longtemps par les majors, en centrant leurs efforts sur l’Afrique et l’Amérique latine. Déjà actif sur le continent, notamment en Guinée équatoriale aux côtés de Kosmos, Trident Energy négocierait actuellement avec l’italien ENI pour reprendre ses champs en Tunisie, où Perenco est aussi déjà présent.

François Perrodo sur les traces de son père

Le fils du fondateur de Perenco est arrivé en 2006 aux manettes, à la suite de la mort de son père dans un accident de montagne. Formé à l’École nationale supérieure du pétrole et des moteurs, puis à l’Insead à Singapour, il était destiné à cette succession. Mais, devenu patron à seulement 29 ans, ce passionné de sport automobile – il a participé aux 24 heures du Mans –, fin connaisseur du Gabon, a conservé les « barons » de son père à ses côtés pendant dix ans, avant de les pousser vers la sortie et de nommer un nouveau directeur général, Benoît de la Fouchardière. Ce dernier a renouvelé le management et mise davantage sur l’exploration.

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