Énergie : timide reconquête pour EDF en Afrique

Le géant français de l’électricité annonce son retour en Afrique subsaharienne avec le « hors réseau » et les « solutions bas carbone » comme axes de développement.

Au début de 2017, 1,1 million de kits solaires individuels ont déjà été vendus en Afrique. Ici à Diebly, village au pied du mont Péko, en Côte d’Ivoire, en octobre 2016. © Sia KAMBOU/AFP

Au début de 2017, 1,1 million de kits solaires individuels ont déjà été vendus en Afrique. Ici à Diebly, village au pied du mont Péko, en Côte d’Ivoire, en octobre 2016. © Sia KAMBOU/AFP

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Publié le 5 mars 2018 Lecture : 6 minutes.

Qu’on se le dise, EDF développe une offre de kits solaires et souhaite en faire un axe important de sa nouvelle offensive en Afrique. Le 19 janvier, le deuxième fournisseur d’électricité au monde (plus de 37 millions de clients) a annoncé le prolongement sur le marché ghanéen de son partenariat avec la start-up américaine Off Grid Electric (OGE), un an après le lancement de leur offre commune sur le marché ivoirien (sous la marque Zeci).

Les voilà donc de nouveau réunis, associés cette fois à un partenaire local, le ghanéen CH Group. Entre-temps, leur solution de kits solaires a été adoptée par plus de 10 000 foyers ivoiriens avec « l’ambition d’atteindre une part de marché de plus de 20 % à l’horizon 2020 en Côte d’Ivoire » et « de 20 à 25 % d’ici à 2022 au Ghana ».

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Partenariats locaux

Présent depuis près de cinquante ans sur le continent, particulièrement dans l’ingénierie-conseil et l’assistance technique, le deuxième producteur d’électricité au monde, détenu à 83 % par l’État français, s’est séparé au cours des années 2000 de ses plus gros actifs dans la production, revendant ses parts dans les centrales thermiques de Port-Saïd (Égypte) en 2005 et d’Azito (Côte d’Ivoire) en 2010. Rencontrée au début du mois dans ses bureaux de l’avenue de Wagram à Paris, Marianne Laigneau, directrice exécutive du groupe chargée de l’international, veut capitaliser sur la réussite de ses kits hors réseau pour regagner le terrain cédé.

À court ou à moyen terme, l’off-grid, a fortiori la commercialisation de kits solaires, ne peut constituer le socle de développement d’un acteur de la taille d’EDF

« Depuis trois, quatre ans, nous sommes de retour de manière déterminée. Et l’off-grid [production distribution d’électricité hors réseau public] est au cœur de notre stratégie. L’idée est de nous appuyer sur nos pays prioritaires, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Cameroun, l’Afrique du Sud, l’Égypte ou le Maroc, puis sur des gammes de métiers autour de solutions bas carbone, en s’adaptant aux besoins. C’est une stratégie concentrée, résume l’énarque et normalienne. Nos équipes locales constituent des bases d’implantation fortes, que nous élargirons progressivement à l’aide de partenariats locaux plutôt qu’en misant sur des acquisitions capitalistiques », poursuit l’ancienne DRH du groupe (2010-2017). Mais avec quelque 600 salariés sur le sol africain, elle part de loin.

Un axe et une méthode qualifiés d’ailleurs de « timides » par le consultant spécialisé dans les énergies renouvelables (ENR), bon connaisseur du continent, que nous avons interrogé : « D’après les projections, le hors réseau conservera des volumes marginaux dans les cinq années à venir, quelques centaines de mégawatts maximum pour les pays les plus dynamiques comme le Kenya, où EDF n’est pas présent. De plus, la concurrence est déjà importante sur ce marché. À court ou à moyen terme, l’off-grid, a fortiori la commercialisation de kits solaires, ne peut constituer le socle de développement d’un acteur de la taille d’EDF [69,63 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017]. Cela peut valoir comme stratégie d’occupation, pas comme stratégie de conquête. »

Une dette de 33 milliards d’euros

Le plan de développement global du groupe, Cap 2030, prévoit le triplement de l’activité hors d’Europe entre 2016 et 2030. Au sein de celui-ci, Marianne Laigneau assure que : « l’Afrique est prioritaire ». Mais dans une stratégie du moindre coût. « À l’international, nous favorisons les montages qui n’alourdissent pas notre dette. L’idée est la recherche de partenariats pour mutualiser les expériences et les risques. »

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En effet, l’énergéticien n’est pas dans les meilleures dispositions financières. Sa dette nette reste élevée, à 33 milliards d’euros, malgré une diminution de 11 % par rapport à 2016. Il doit encore digérer l’absorption de 75,5 % de l’activité réacteurs nucléaires d’Areva pour près de 1,85 milliard d’euros, effective depuis le 1er janvier 2018. Et fait face à un véritable mur d’investissements devant aboutir à la rénovation du parc nucléaire français et à la réalisation de deux projets d’EPR à Hinkley Point, au Royaume-Uni. Soit 10 milliards d’euros d’investissements par an d’ici à 2025, selon EDF.

Depuis près de six ans, l’entreprise travaille sur le continent à un projet de production à forte intensité capitalistique, le barrage de Nachtigal au Cameroun (420 MW), estimé à un peu plus de 1 milliard d’euros. Elle détient 40 % de la société qui mène le projet aux côtés de l’État camerounais (30 %) et de la Société financière internationale (30 %). Mais, alors que la mise en service est prévue pour 2020, la construction n’a toujours pas démarré. Au début de février, Marianne Laigneau nous a assuré qu’« une décision finale d’investissement serait prise en 2018 ».

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Les succès d’EDF EN

Parallèlement, la compagnie s’est associée à l’agro-industriel ivoirien Sifca et au français Bouygues pour développer une centrale biomasse baptisée Biovea (46 MW). Annoncé au départ pour 2014, le projet vient enfin, en novembre, de voir l’accord tarifaire, qui fixe le prix de cession de l’énergie produite (62 F CFA/kWh), signé par l’État ivoirien.

Il ne faut pas oublier que presque 80 % de la production électrique du groupe provient du nucléaire. Le renouvelable n’est stratégique que depuis deux ou trois ans

C’est en fait du côté d’Énergies nouvelles (EDF EN) qu’il faut chercher ses plus francs succès. Créée en 2004, cette filiale spécialisée dans les ENR, très présente à l’international, s’est rapidement développée en Afrique du Sud (110 MW de puissance installée). En 2012, elle décrochait avec le japonais Mitsui et le français Alstom la construction de deux centrales éoliennes au Maroc, à Tétouan (150 MW) et à Taza (50 MW). Et elle vient de remporter en Égypte, en octobre 2017, aux côtés du local Elsewedy Electric, un contrat de construction et d’exploitation de deux centrales solaires d’une puissance cumulée de 100 MW.

Manque d’agilité

Mais, d’après un ancien cadre d’EDF, les réussites de cette filiale lui sont propres : « EDF EN a longtemps eu une logique de développement autonome. Il ne faut pas oublier que presque 80 % de la production électrique du groupe provient du nucléaire. Le renouvelable n’est stratégique que depuis deux ou trois ans, pas plus. »

Dans les faits, le retour du géant sur le continent reste donc relatif. Surtout si on le compare à l’activité de ses concurrents. Que ce soit ses compatriotes, plus agressifs (Engie) ou mieux implantés (Total), ou ses concurrents chinois qui, autour de Sinohydro, ont raflé la plupart des appels d’offres de construction de centrales hydrauliques depuis dix ans. À son actif, malgré tout, « une avance historique dans de nombreux pays et dans de multiples métiers, commente l’ancien cadre. Dans les services, l’ingénierie, la reconstruction de réseau, l’élaboration de schéma directeur, peu d’électriciens peuvent revendiquer son expérience…

D’un autre côté, ses défauts restent les mêmes, un manque d’agilité à sa taille et une certaine aversion au risque. »

Clap de fin pour le mégaprogramme nucléaire sud-africain

L’avènement de Cyril Ramaphosa en Afrique du Sud n’est pas une bonne nouvelle pour EDF. L’ex-président Jacob Zuma souhaitait construire six à neuf réacteurs d’une capacité de 9 600 MW d’ici à 2037. Un programme estimé entre 50 et 70 milliards d’euros alors même que la compagnie nationale d’électricité, Eskom, est aujourd’hui financièrement exsangue.

Évidemment, EDF, qui vient de reprendre la division construction de réacteurs d’Areva, était sur les rangs, tout comme le chinois CGN ou le russe Rosatom. Seulement voilà, à Davos (Suisse), le 25 janvier, M. Ramaphosa a clairement exprimé sa défiance : « Nous n’avons pas d’argent pour de grands chantiers de centrales nucléaires. »

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