Analyse : cet argent « noir » qui asphyxie l’Afrique de l’Ouest

L’OCDE vient de rendre un rapport sur les flux illicites dans la région. Trafics de drogue, de pétrole, d’or, ou encore pêche illégale coûteraient 40 milliards d’euros par an au continent.

Près de 100 millions de dollars américains introduits au Liberia entre novembre 2017 et août 2018 se sont mystérieusement volatilisés (Photo d’illustration). © Wikimedia Commons

Près de 100 millions de dollars américains introduits au Liberia entre novembre 2017 et août 2018 se sont mystérieusement volatilisés (Photo d’illustration). © Wikimedia Commons

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 5 mars 2018 Lecture : 3 minutes.

Une fois refermé le rapport sur « L’Économie du commerce illicite en Afrique de l’Ouest », publié le 20 février par l’Ocde, on ne peut qu’être sidéré par l’emprise de cet argent « noir » et par les dégâts qu’il inflige aux pays de la Cedeao.

Fruit de l’actualisation d’études antérieures conduites avec l’aide de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, de la BAD, de la Banque mondiale, du Nepad et du Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest, ce rapport passe en revue treize économies criminelles et illicites.

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Un détournement estimé à 50 milliards de dollars par an

Il s’agit, explique Nadine Gbossa, chef de division à la direction de la coopération pour le développement de l’OCDE, de « lutter contre un phénomène de détournement estimé pour le continent à 50 milliards de dollars par an (40 milliards d’euros), alors que l’aide publique n’a pas dépassé 41 milliards de dollars en 2016 ».

Prenons la cocaïne, pour laquelle l’Afrique de l’Ouest est une plaque tournante entre la Colombie et l’Europe. Son flux vers l’Europe représentait, en 2009, 27,5 milliards de dollars, mais il n’en restait que 40 millions sur place. Les États côtiers servent de porte d’entrée, souvent avec la complicité des autorités (Ghana, Guinée-Bissau, Liberia, Nigeria, Sierra Leone). « La présence d’un trafic de drogue dans un pays donné peut exacerber la corruption existante et engendrer une instabilité politique », prévient le rapport.

Une corrélation directe entre les paiements des rançons et le financement des candidatures aux élections a été observée au Sahel

Les enlèvements contre rançon sont une autre plaie : 3 millions de dollars ont par exemple été versés à Boko Haram pour la libération d’une famille française enlevée au Cameroun. Précision : « Une corrélation directe entre les paiements des rançons et le financement des candidatures aux élections a été observée au Sahel. »

Le détournement du pétrole par des bandes organisées fait perdre au Nigeria entre 3 et 8 milliards de dollars par an. Celui de l’or prive le Ghana de presque un tiers de sa production. Le tabac de contrebande a amputé, en 2014, les finances du Mali de 16,6 millions de dollars de recettes douanières. La pêche illicite, pratiquée notamment par la Chine et la Corée du Sud, prélevait en 2012 dans la région entre 11 et 26 millions de tonnes de poisson, d’une valeur comprise entre 10 et 23 milliards de dollars.

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Le Nigeria, champion des flux illicites

Le passage illégal des migrants est de plus en plus structuré (fabrication de faux documents, transport, logement, nourriture) au point qu’il implique les populations des zones traversées. La participation d’une tribu du nord du Niger à ce trafic lui rapportait, en 2015, un revenu de 60 000 dollars par semaine. Sans parler des trafics d’armes qui nourrissent les réseaux terroristes, de la piraterie maritime, de la contrefaçon où excelle la Chine, et de la cybercriminalité.

Quelques certitudes ressortent du rapport : le Nigeria est le champion toutes catégories de ces flux illicites ; les élites de tous les pays sont souvent complices de ceux-ci ; la pauvreté est le terreau sur lequel prospère cet argent « noir ».

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Le trafic, une stratégie de survie ?

Les préconisations de cette étude sont évidemment plurielles tant les activités illicites sont multifactorielles. Elle appelle les pays africains et ceux de l’OCDE à travailler ensemble puisque la criminalité se rit des frontières. Elle propose d’améliorer les institutions et les lois, mal armées pour lutter contre une criminalité protéiforme. Elle conseille de fixer des cibles prioritaires pour ne pas gaspiller des moyens limités et éviter de frapper inconsidérément des communautés pour lesquelles les trafics font partie d’une stratégie de survie.

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