RDC : comment les machines à voter des Sud-Coréens ont séduit Corneille Nangaa
En dépit des critiques, le président de la Commission électorale nationale indépendante défend mordicus l’achat de machines à voter à la société Miru Systems. La transaction n’a pourtant pas été d’une parfaite clarté.
Élections : l’Afrique progresse-t-elle ?
Rien n’est encore parfait au sein de la plupart de processus électoraux africains. Mais caricaturer les élections africaines comme des élections fantoches serait aujourd’hui d’un autre âge. Car ces dernières progressent, gagnent en crédibilité et en indépendance.
Corneille Nangaa est d’ordinaire un homme affable et serein. Président depuis 2015 de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) chargée d’organiser les prochains scrutins en RD Congo, il occupe pourtant un poste ultrasensible et n’est pas épargné par les critiques. L’une d’elles au moins a le don de l’agacer. Elle concerne l’achat auprès de l’entreprise sud-coréenne Miru Systems de machines à voter pour une somme avoisinant 150 millions de dollars.
L’histoire commence au printemps 2014 à Songdo, ville vitrine des nouvelles technologies sud-coréennes. L’abbé Apollinaire Malu Malu, le prédécesseur de Nangaa à la tête de la Ceni, prend part à une visite au siège de l’Association mondiale des organes de gestion des élections (A-WEB). Depuis un an, il cherche le moyen d’éviter le renouvellement du fiasco des élections de 2011, marquées par d’interminables contestations. Et il pense que les nouvelles technologies peuvent l’y aider.
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Dans le « groupe D » des visiteurs, aux côtés de ses homologues du Burundi et du Gabon, le responsable congolais va notamment se retrouver avec Ken Cho, directeur de Miru Systems, un fabricant sud-coréen de matériel électoral électronique. Entre les deux hommes, le courant passe. Au cours de cette même année 2014, Malu Malu va d’ailleurs retourner plusieurs fois en Corée du Sud, qui non seulement est à l’origine de la création de l’A-WEB, dirigée par ailleurs par un Sud-Coréen.
Invérifiable
À la fin de 2015, Malu Malu décède, et Nangaa lui succède à la tête d’une nouvelle équipe. Norbert Basengezi, un député du parti au pouvoir, devient son vice-président. Quelques mois plus tard, le propre fils de ce dernier, Marcellin Mukolo Basengezi, est nommé par Nangaa conseiller chargé des nouvelles technologies. Cette nomination intrigue. Le jeune homme, en effet, a fait une partie de ses études en Corée du Sud. Et plusieurs ex-membres de la Ceni jurent l’avoir vu au sein de diverses délégations de Miru Systems, pour qui il aurait travaillé. Difficile à vérifier puisqu’il a refusé de nous communiquer son CV. Nangaa dément vigoureusement : « Marcellin n’a aucun lien avec cette entreprise. »
Cette méthode reste plus rapide et moins chère que notre système papier
Quoi qu’il en soit, ledit Marcellin va bel et bien participer aux négociations qui, à la mi-2017, vont discrètement s’engager avec Miru Systems. En juillet, l’entreprise présente à la Ceni un prototype de machine à voter qui est jugé satisfaisant. Pourtant, de nombreuses interrogations surgissent quand, début septembre, le projet est présenté pour la première fois aux Congolais. Elles portent sur l’entretien et le stockage des machines dans les provinces rurales dépourvues d’infrastructures, mais aussi sur la durée des opérations de vote.
Avec 105 000 machines pour 90 000 bureaux et 46 millions de votants, dont certains n’ont jamais vu un ordinateur de leur vie, chaque électeur disposera d’environ une minute pour choisir parmi une multitude de candidats son président, son député national et son député provincial. « Nous avons neuf mois pour les former, plaide Nangaa. Les électeurs auront par ailleurs le droit de se faire accompagner dans l’isoloir par une personne de confiance. Cette méthode reste plus rapide et moins chère que notre système papier. »
Autre grief, le contrat doit être conclu de gré à gré, sans appel d’offres. Inhabituel pour une transaction de cette importance. « Il y avait urgence pour tenir le calendrier, argumente Nangaa. Nous avons utilisé une procédure certes exceptionnelle, mais légale, qui a d’ailleurs été validée par le Premier ministre fin janvier et inscrite dans les mesures d’application de la loi électorale. » Le contrat final n’a pas encore été signé, mais il n’y a, affirme-t‑il, « pas de retour en arrière possible ».
Le dispositif suscite de nombreuses réserves et critiques en Occident, aux États-Unis en premier lieu. Mais Nangaa reste inflexible : « La Ceni est indépendante et ne cédera à aucune pression », jure-t‑il.
Au pas de charge
Corneille Nangaa prend la tête de la Ceni en octobre 2015. En juillet 2017, un premier prototype de machine à voter est présenté par la société coréenne Miru Systems. Au mois de septembre suivant, l’éventualité d’utiliser des machines à voter est pour la première fois évoquée publiquement, mais le projet est déjà très avancé.
Dès janvier 2018, il est inscrit dans les mesures d’application de la loi électorale. Le marché de gré à gré avec Miru Systems (près de 150 millions de dollars) est validé par le Premier ministre, Bruno Tshibala. L’utilisation des machines à voter est dès lors « irréversible », juge Nangaa. Un millier de machines à voter sont en cours de livraison. La machine a été officiellement présentée le 21 février à Kinshasa.
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