Analyse : la Sierra Leone est-elle en mesure de se redresser ?

Trois ans après l’épidémie d’Ebola, le pays traverse toujours une période critique mais nourrit quelques légitimes espoirs de sortie de crise. Avant des élections décisives pour son avenir, JA dresse l’état des lieux.

Levée de la quarantaine du village de Massessehbeh (Sierra Leone), suite à l’épidémie d’Ebola. 12 août 2015. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Levée de la quarantaine du village de Massessehbeh (Sierra Leone), suite à l’épidémie d’Ebola. 12 août 2015. © Sunday Alamba/AP/SIPA

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 15 mars 2018 Lecture : 3 minutes.

C’est un coup sur la tête qu’a reçu, le 31 janvier, la Sierra Leone ! Le FMI a décidé le report du versement d’une deuxième tranche de prêt dans le cadre de l’aide de 224 millions de dollars (196 millions d’euros) accordée en juin 2017. Motif technique : les recettes budgétaires ne s’améliorent pas au rythme prévu.

Explication politique : avec les élections présidentielle, législatives et locales du 7 mars, le gouvernement n’a aucune envie de se mettre les électeurs à dos en supprimant, ou en commençant à supprimer, comme il s’y est engagé, les subventions aux carburants, aux voitures de luxe ou au riz. Il traîne les pieds, et le FMI redoute que les comptes publics ne se rétablissent pas assez vite, le déficit budgétaire primaire devant se réduire, en théorie, de 6,7 % du PIB en 2016 à 2 % en 2021.

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La dette publique poursuivrait son ascension, qui l’a portée de 45,3 % du PIB en 2015 à 60,8 % en 2018, avec le danger d’un alourdissement des remboursements à terme, même si le FMI reconnaît que les risques de défaut sont modérés.

La moitié des habitants de Freetown a perdu son emploi suite à l’épidémie d’Ebola

Outre les élections, le gouvernement a de solides excuses à son peu d’appétence pour cette discipline budgétaire. La Sierra Leone est si pauvre ! Elle fait partie des dix pays les moins avancés du monde. Plus des deux tiers de sa population vivent avec moins de 1 dollar de revenu par jour. Le chômage y est colossal, et l’ONG Innovations for Poverty Action a calculé qu’en 2015 la moitié des habitants de la capitale, Freetown, avaient perdu leur emploi du fait de l’épidémie d’Ebola. On ne se remet pas d’une telle catastrophe aussi vite qu’un pays riche. La Sierra Leone est tellement fragile !

Le phénomène de yoyo qui affecte son PIB en est la preuve. Chute des cours du fer, Ebola et aléas de l’aide ont fait dégringoler sa croissance de + 20,7 % en 2013 à – 20,5 % en 2015. Comment piloter dans les règles de l’art une telle précarité ? L’économie s’est donc détraquée.

La hausse des prix, qui frappe d’abord les plus pauvres, a dépassé le rythme de 18 % par an, alors que le taux admissible par la Banque centrale est fixé à 9,5 %. Celle-ci a dû porter son taux directeur de 11 % à 13 %. Depuis un an et demi, la dépréciation du leone, la monnaie nationale, avoisine les 30 %, ce qui alimente l’inflation des prix des produits importés.

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Meilleure utilisation du sous-sol

Tout n’est pas noir. La croissance remonterait de 5,6 % l’an dernier à 6,1 % en 2018 et accélérerait jusqu’aux 7 % espérés en 2021. Quasiment à l’arrêt en 2015 (0,6 million de tonnes), l’extraction du minerai de fer a repris une courbe ascendante, soit 6,2 millions en 2016, 9 millions en 2017 et 12 millions en 2018, notamment grâce à la mise en exploitation de la mine de Tonkolili par China Kingho Energy Group. À la mi-2018, les usines de Tongo et de Tonguma sortiront leurs premiers diamants. Et quand on sait que l’activité minière représente 30 % du PIB sierra-léonais, on voit le mieux qui résultera d’une meilleure utilisation du sous-sol.

Peut-être, si…

Le tourisme se redresse lui aussi. Le port de Freetown est le mieux loti d’Afrique de l’Ouest. Les projets d’électrification, de routes ou d’agro-­industries se chiffrent en milliards de dollars. Cette année devrait voir la Sierra Leone autorisée à exporter en franchise de droits de douane aux États-Unis grâce à l’African Growth and Opportunity Act (Agoa).

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L’extrême vulnérabilité du pays oblige à assortir ces perspectives de « peut-être » et de « si ». Peut-être, si aucune épidémie ne fait fuir les vacanciers. Peut-être, si l’État, les investisseurs privés et les bailleurs de fonds sont au rendez-vous. Peut-être, si les PME guinéennes profitent d’une meilleure électricité. Peut-être, si elles respectent les standards de quantité et de qualité exigés en Amérique. Peut-être.

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