Élections africaines : à quoi servent les observateurs internationaux ?

À quoi servent les dispendieuses missions internationales d’observation lors des élections en Afrique ? Seule certitude, leurs recommandations restent le plus souvent lettre morte.

Louis Michel, chef de la mission européenne d’observation, dans un bureau de vote au Mali, en décembre 2013. © Ezequiel SCAGNETTI/REPORTERS-REA

Louis Michel, chef de la mission européenne d’observation, dans un bureau de vote au Mali, en décembre 2013. © Ezequiel SCAGNETTI/REPORTERS-REA

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Publié le 15 mars 2018 Lecture : 4 minutes.

Un bureau de vote pour les élections législatives du Mali à Gao, le 24 novembre 2013. (photo d’illustration) © Jerome Delay/AP/SIPA
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Élections : l’Afrique progresse-t-elle ?

Rien n’est encore parfait au sein de la plupart de processus électoraux africains. Mais caricaturer les élections africaines comme des élections fantoches serait aujourd’hui d’un autre âge. Car ces dernières progressent, gagnent en crédibilité et en indépendance.

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Des observateurs occidentaux dégoulinants de sueur dans leur costume-cravate, pensant porter haut l’idéal de la démocratie alors qu’ils se font rouler dans la farine par des hôtes spécialistes du bourrage des urnes. S’ils ont sûrement ri devant cette satire d’une mission d’observation électorale dans un pays fictif du continent, nombre de spectateurs qui sont allés voir Bienvenue au Gondwana au cinéma, en 2017, ont probablement aussi trouvé une once de vérité dans le film de l’humoriste nigérien Mamane.

En août 2016, par exemple, la mission d’observation de l’Union européenne (UE) au Gabon relevait des « anomalies [remettant] en question l’intégrité du processus de consolidation des résultats et du résultat final de l’élection ». Ce document, qui concluait à de nombreuses irrégularités, n’a pas empêché Ali Bongo Ondimba d’être reconduit dans ses fonctions à la tête de l’État. Même s’il faut l’admettre : il constitue encore aujourd’hui le point noir de sa réélection contestée.

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En 2013, au Mali, l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta n’aurait peut-être pas été aussi fluide si la mission européenne n’avait pas considéré le scrutin « crédible » et « transparent ». Des discussions sont d’ailleurs en cours pour une nouvelle présence de l’UE lors de la présidentielle de cette année.

 « Diplomatie préventive »

Ces dispendieuses missions sont pourtant souvent critiquées, avec cette question : sont-elles vraiment nécessaires ? « L’objectif est de renforcer les démocraties et d’assurer la stabilité institutionnelle des pays concernés, répond un diplomate européen établi dans une capitale africaine. Mais si les autorités locales ne jouent pas le jeu, aucun rapport ne permettra d’invalider le résultat d’un scrutin. Seules des décisions politiques fortes, incluant des sanctions, seraient de nature à faire bouger un peu les lignes. »

Minata Samate, commissaire aux Affaires politiques de l’Union africaine (UA), considère pour sa part ces missions comme un outil de « diplomatie préventive ». Elles permettent d’« apaiser les tensions et donc d’éviter de potentielles crises », explique-t‑elle.

Généralisées sur le continent à partir des années 1990, ces opérations sont aujourd’hui de natures très diverses : elles peuvent aussi bien être menées par des ONG locales que par de grandes institutions internationales. En Afrique francophone, elles sont généralement conduites par l’UA ou par l’UE, toujours avec le feu vert des autorités. Leur taille varie entre une trentaine et une centaine d’observateurs.

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Qui sont les observateurs ?

Tous volontaires, leurs membres sont sélectionnés sur la base d’un panel de critères (nationalité, langue parlée, expérience du terrain, neutralité vis‑à‑vis du pays…). Les observateurs de l’UE sont choisis par la Commission et sont placés sous l’autorité d’un chef de mission issu du Parlement de Strasbourg. Formés avant leur départ, ils partent pour une période de dix jours à huit semaines en fonction de leur statut (mission de courte ou de longue durée) et touchent un per diem. Un observateur européen dépêché au Niger pour la présidentielle de 2016 touchait par exemple 160 euros par jour.

La Commission de l’UA fait pour sa part appel à des parlementaires et à des membres de commissions électorales nationales, mais aussi à des juristes ou à des représentants des sociétés civiles. Eux aussi sont bénévoles et touchent un per diem. « Franchement, nous ne faisons pas ça pour l’argent, assure un observateur de l’UA. Certes, nous sommes logés dans les beaux hôtels des capitales à notre arrivée, mais après nous partons plusieurs jours sur le terrain dans des conditions difficiles. »

Certains observateurs arrivent avec des clichés plein la tête. Ils se comportent en donneurs de leçons et font plus de tort que de bien

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Les budgets alloués à ces opérations sont généralement élevés. Une mission de l’UE peut coûter plusieurs millions d’euros. Ces fonds servent à couvrir les frais d’hébergement, le transport, le recrutement d’employés locaux… Des frais pour assurer la sécurité des observateurs peuvent aussi s’ajouter, notamment dans les pays sahéliens où sévissent des groupes jihadistes.

Généralement bien acceptés par les populations, ces observateurs étrangers sont parfois accusés par les autorités locales de manquer à la neutralité. « Certains arrivent avec des clichés plein la tête. Ils se comportent en donneurs de leçons et font plus de tort que de bien », accuse un membre de la Commission électorale ivoirienne qui ne digère pas le « parti pris » de l’UE contre Laurent Gbagbo lors de la présidentielle de 2010.

Un Européen, déployé en Tunisie en 2011 pour les premières élections démocratiques post-Ben Ali, se rappelle ainsi la « méfiance » manifestée par ses interlocuteurs à l’égard de l’UE, accusée d’avoir trop longtemps fermé les yeux sur les élections frauduleuses du raïs déchu.

Fin des missions à l’OIF

L’inflation du nombre d’observateurs a conduit certaines institutions à réduire la voilure. C’est le cas de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui a mis un terme à ses missions d’observation électorale après vingt ans d’opérations. Souhaitant « rationaliser » son engagement, l’OIF mène désormais des « missions électorales » plus ciblées : audit de fichiers électoraux, aide à l’élaboration de lois électorales, soutien aux juridictions chargées de trancher les contentieux…

« Nous estimons qu’il est plus efficace de renforcer l’expertise des acteurs locaux plutôt que de les accompagner quelques jours en envoyant des observateurs étrangers pendant les scrutins », conclut Georges Nakseu, le directeur des affaires politiques de l’OIF.

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