Guinée – Agriculture : businessmen des villes, businessmen des champs

Avocats, médecins ou fonctionnaires la semaine, chefs d’exploitation le week-end… Enquête sur la double vie active de ces néoentrepreneurs qui font des affaires à la ferme.

Directeur d’une société de microfinance, Alpha Bacar Barry préside la Plateforme d’agripreneurs pour l’émergence de la Guinée (Page). © Youri Lenquette pour JA

Directeur d’une société de microfinance, Alpha Bacar Barry préside la Plateforme d’agripreneurs pour l’émergence de la Guinée (Page). © Youri Lenquette pour JA

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Publié le 14 mars 2018 Lecture : 5 minutes.

Un chauffeur de taxi à Conakry, e,n 2014. © Youri Lenquête pour Jeune Afrique.
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La Guinée face au choc social

La croissance est forte et soutenue. Les revendications sociales le sont aussi en matière de pouvoir d’achat, d’accès aux services de base et, surtout, d’emploi des jeunes. Les Guinéens veulent du changement. Et ils le font savoir.

Sommaire

Ils préfèrent qu’on les appelle « agripreneurs », contraction d’« agriculteurs » et d’« entrepreneurs ». Jeunes, actifs, urbains, âgés de 20 à 35 ans pour la plupart, ils mènent une double vie active. Fonctionnaires, avocats, banquiers, journalistes ou médecins à Conakry, ils sont aussi agriculteurs, planteurs ou éleveurs. Une vingtaine d’entre eux se sont rencontrés via Facebook et ont décidé, à la mi-2016, de créer la Plateforme d’agripreneurs pour l’émergence de la Guinée (Page), qui met en relation ces néoexploitants agricoles déjà installés, ou en passe de l’être, avec des propriétaires terriens, des commerciaux, des investisseurs, des formateurs ou des agronomes. L’objectif ? Créer le réseau le plus large possible et connecter les agripreneurs aux marchés national et sous-régional.

« Agripreneurs »

À défaut de banque agricole spécialisée dans ce type de crédits, les agripreneurs recourent au financement participatif. Le journaliste Abdourahamane Diallo a ainsi mobilisé 150 millions de francs guinéens (environ 15 000 euros), qui lui ont permis de financer sa Coopérative pour l’agriculture et la production animale (Capa).

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Il cultive du maïs et du riz – avec des premières récoltes de, respectivement, 750 kg et 700 kg –, mais aussi des haricots, des bananes, du manioc et des ananas. Il envisage déjà d’organiser une nouvelle collecte de fonds de 50 000 euros vers la fin de l’année pour étendre son exploitation et projette également d’élever des petits ruminants dans une ancienne plantation coloniale de 125 hectares, à Kindia.

Pour voir comment se développent ces exploitations, le temps d’un week-end, JA a suivi dans sa ferme le président-fondateur de la Page qui, à la ville, est directeur général de Jatropha SA, un établissement de microfinance qu’il a créé en 2011 et qui s’est étoffé d’un incubateur, le Jatropha Hub, au sein duquel la plateforme des agripreneurs a établi son siège.

Mamadou Diawara insiste sur la nécessité de former des alliances entre producteurs et entrepreneurs pour rendre la Guinée autosuffisante

Ce matin-là, Alpha Bacar Barry a troqué costume contre baskets, jean et tee-shirt, prêt à avaler les 325 kilomètres de route entre Conakry et Dalaba, dans la région de Mamou, sur les contreforts du massif du Fouta-Djalon – la « petite Suisse d’Afrique de l’Ouest ». Arrivé dans le centre de ce bourg touristique, il embarque Mamadou Diawara, son contrôleur de production, par ailleurs professeur à l’Institut supérieur des sciences et de médecine vétérinaire (ISSMV). Ils prennent la direction de Darou. Encore 33 km d’une piste en mauvais état tracée sur le flanc des montagnes qui ceinturent la petite ville de Ditinn.

« J’aime venir aux champs le week-end pour me ressourcer », confie Alpha Bacar Barry entre deux secousses. Mamadou Diawara, lui, insiste sur la nécessité de former des alliances entre producteurs et entrepreneurs venus d’autres secteurs pour rendre la Guinée autosuffisante. Même avec peu de moyens au départ, on peut bien réussir.

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Le soleil se couche derrière les montagnes quand le véhicule pénètre dans la ferme de Darou, petite commune perdue dans un bas-fond, au milieu des buissons de quinquélibas. Quatre jeunes, de permanence au sein de l’exploitation, accourent. Tous sont issus de l’ISSMV de Dalaba et de l’Institut supérieur agronomique et vétérinaire de Faranah, et leur responsable, Mamadou Diallo, vient de l’École nationale d’agriculture et d’élevage de Koba (région de Boffa).

Zébu, Holstein et ndama

« Qu’est-ce qu’elles ont ? » interroge Alpha Bacar Barry en désignant trois chèvres isolées de leurs congénères. La ferme en compte une vingtaine, et autant d’ovins. « Elles ont la PPR [peste des petits ruminants], répond Nicolas Tagbino, le vétérinaire. C’est une maladie virale contagieuse qui peut rapidement décimer le bétail. » Il a donc mis les bêtes en quarantaine et, le vaccin étant arrivé tardivement à cause de l’isolement de la ferme, il leur administre un traitement symptomatique à base d’antibiotiques.

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Tout le reste du cheptel est sauf, y compris les douze canards barbotant dans un bassin et, surtout, les quatre zébus récemment importés du Mali en prévision d’une insémination artificielle. Ils pâturent avec deux jeunes bovins, une femelle et un mâle de 5 et 7 mois, issus du croisement d’un zébu avec un taureau Holstein (race belge), lequel n’a malheureusement pas survécu aux conditions climatiques du terroir.

Bientôt vous mangerez le riz que vous allez produire !

En Guinée, les pasteurs peuls pratiquent un élevage itinérant et dit « de prestige » (pour celui que confère la possession de bovins), principalement avec des vaches ndama, une race résistante qui fournit au moins un litre de lait par jour et 200 à 300 kg de viande par tête. Alpha Bacar Barry veut quant à lui développer l’élevage commercial et créer une nouvelle race qui soit au moins aussi rentable que la ndama. Il a en revanche préféré laisser au repos les terres de ses ancêtres et acheter 16 ha à la confluence des rivières Tènèwol, Ditinnwol et Sadiowol, où il cultive du maïs et des haricots, des tomates et des piments, des papayes et des melons, et bientôt du riz.

Alors que les premières étoiles scintillent dans le ciel de Darou, devant la maison, l’agripreneur et ses employés se retrouvent autour d’un bol de riz sauce arachide. L’occasion de faire la liste des besoins de l’exploitation : des traitements pour les bêtes et, pour les hommes, des pulls, des provisions… « Bientôt vous mangerez le riz que vous allez produire ! » dit Alpha Bacar Barry en souriant.

Des tomates toute l’année dans le Fouta

À Timbi-Madina (préfecture de Pita), au cœur de la Moyenne-Guinée, Moussa Para Diallo expérimente la culture de tomates sous serre, qu’il a importée de France, de même que la semence de ses plants, venus de la Marmande. Jusqu’à présent, les tomates ne pouvaient être cultivées que six mois par an, pendant la saison sèche, et sur des périmètres réduits, dans des jardins longeant les cours d’eau.

Désormais, il peut en approvisionner le marché même pendant l’hivernage (période de soudure). Si les conditions sont favorables, on peut faire trois récoltes par plant, chacun d’eux donnant des fruits sur trois niveaux différents au fur et à mesure de sa croissance.

Président de la Confédération nationale des organisations paysannes de Guinée (CNOPG) et de la Fédération des paysans du Fouta-Djalon, et à l’origine, entre autres, du succès de la pomme de terre labellisée Belle-de-Guinée, Moussa Para Diallo espère inspirer d’autres producteurs. Dans son exploitation, sur 1 hectare, sont désormais installées 20 serres de 56 mètres de long et 9 mètres de large, abritant chacune quelque 745 plants. En 2017, le rendement a été d’environ 35 tonnes, soit presque le double qu’en 2016, première année d’exploitation, où 16,8 t ont été récoltées.

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