Guinée : le fabuleux destin du Terya Circus

De Paris à Marseille, la compagnie poursuit sa tournée triomphale en France. Pendant ce temps, les athlètes et apprentis acrobates qui s’apprêtent à rejoindre la troupe s’entraînent à Conakry.

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Publié le 14 mars 2018 Lecture : 5 minutes.

Un chauffeur de taxi à Conakry, e,n 2014. © Youri Lenquête pour Jeune Afrique.
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La Guinée face au choc social

La croissance est forte et soutenue. Les revendications sociales le sont aussi en matière de pouvoir d’achat, d’accès aux services de base et, surtout, d’emploi des jeunes. Les Guinéens veulent du changement. Et ils le font savoir.

Sommaire

Stade du 28-Septembre, 14 heures. Sous un soleil de plomb, surgit Bakala Ousmane Sory Camara. Le fondateur du Terya Circus tend une main ferme. « Les gars sont là, dit-il. Ils s’entraînent. »

Passé le porche du célèbre stade conakryka, partout, des jeunes courent ou font des pompes le long de la voie qui mène aux studios du centre d’art acrobatique Keita Fodéba, établi depuis 1998 dans l’enceinte du stade. On dirait que toute la jeunesse de la capitale est là, qui s’entraîne. Et on se demande à quoi.

Tous ces jeunes, qu’est-ce qu’ils vont faire si on ne leur propose rien ? Ils vont partir vers la Libye !

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Bakala Camara sourit. « Tous ces jeunes, qu’est-ce qu’ils vont faire si on ne leur propose rien ? Ils vont partir vers la Libye ! Il faut leur donner les moyens de rester ici. Nous, au Terya Circus, on essaye de leur donner une place dans la société, une identité. »

Devant un immense bâtiment en béton, six athlètes apparaissent. Ce sont « les gars » qui s’entraînent, avant d’aller remplacer d’autres membres de la troupe en tournée.

Ascension

Créée en 2008, la compagnie fusionne les acrobaties, la danse et les musiques guinéennes : un tourbillon de numéros originaux, une maîtrise confinant à la magie, une cohésion et un tonus époustouflants…

Depuis 2015, avec son spectacle Boulevard Conakry, construit autour de la vie et de l’atmosphère parfois surréaliste des rues de la capitale, la troupe enchaîne les représentations en Afrique et en Europe.

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Une tournée très remarquée, notamment en Belgique et en France, où, après s’être produit, entre autres, à la Fondation Louis-Vuitton, à Paris, à la Villa Arson, à Nice, et au Festival d’Avignon, Terya Circus a fait salle comble pendant trois semaines à Paris, cette fois au Musée du Quai-Branly, en décembre 2017, puis à Nantes, aux Machines de l’île, pour les fêtes de fin d’année, et mi-février à Marseille, lors de la Biennale internationale des arts du cirque (Biac).

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L’esprit de famille

Pendant ce temps, ceux qui restent à Conakry s’exercent. Dans la salle, des gaillards musclés s’échauffent. On les compare à des fauves bondissants, c’est dire l’énergie qu’ils dégagent. À l’image de ce cordiste qui virevolte sans plus jamais s’arrêter, comme un astre autour du Soleil.

J’ai toujours rêvé de faire ça, je travaille dur pour être à la hauteur de mes grands frères du Terya Circus

Quand il touche enfin le sol, on se rend compte qu’Abou Mangue Sylla, 23 ans, a bien les pieds sur terre. « J’ai toujours rêvé de faire ça. Je travaille dur pour être à la hauteur de mes grands frères du Terya Circus, faire comme eux des tournées et revenir ici pour aider les jeunes, dit-il. Et puis, j’aimerais un jour travailler avec du bon matériel. Regardez là, tout est gâté. »

Cordes élimées, cerceaux chinois bricolés avec de vieux tuyaux d’arrosage, tapis de sol usés… Sur l’un d’eux, un contorsionniste longiligne fait des nœuds avec son corps. Plus loin, deux jongleurs se renvoient leurs massues à une vitesse fulgurante.

« Le relais du Circus Baobab »

Depuis le fond de la salle, Bakala Camara les observe, distribuant quelques conseils. Lorsque cet ancien percussionniste a fondé le cirque Terya (« amitié », en mandingue) il y a dix ans, c’était pour prendre le relais du Circus Baobab, le premier cirque aérien de Guinée, créé en 1997 par le Français Pierrot Bidon (fondateur d’Archaos et grande figure du cirque contemporain), dont l’aventure venait de s’achever.

Terya Circus, c’est l’esprit de famille

« J’étais coordinateur général du Circus Baobab. Lorsque la compagnie s’est dissoute, je me suis dit qu’il fallait continuer, créer une troupe homogène, solidaire, et aller encore plus loin, raconte Bakala Camara. Je voulais aider ces jeunes qui ont eu la même enfance difficile que moi, car je viens aussi de la rue. Terya Circus, c’est l’esprit de famille. »

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Un principe aussi essentiel en terre africaine que dans le monde du cirque, où la règle est de se passer le témoin d’une génération à l’autre et d’assurer un « roulement » entre les artistes. Ceux qui s’entraînent ce jour-là rejoindront bientôt la tournée, pendant que d’autres membres de la troupe rentreront à Conakry.

En attendant, la réalité est moins folichonne. À la fin de l’entraînement, les athlètes retrouvent leurs chambrettes, provisoirement aménagées dans des locaux jouxtant la salle de sport : des box construits avec des planches, où, derrière des pagnes faisant office de rideaux, s’entassent de vieux matelas en mousse et des vêtements entortillés en guise d’oreillers.

Une ribambelle d’enfants

Bakala Camara remonte dans sa voiture, direction la maison des jeunes de Dixxin, toute proche. « En Guinée, le cirque a toujours été un art et un spectacle de rue, explique-t-il. Autrefois, les enfants pauvres faisaient de petits shows lors des mariages pour gagner un peu d’argent. C’est là qu’est née la tradition, elle vient de la rue. D’où notre spectacle : Boulevard Conakry ! »

Avant ces enfants dormaient dans la rue, maintenant ils couchent à l’étage sur une natte

Le 4×4 s’arrête devant un grand bâtiment de deux étages. À l’intérieur, une ribambelle d’enfants font des pirouettes, saltos avant, arrière, d’autres jouent au football.

« C’est ici que le cirque recrute ses futurs artistes, et c’est le cœur de notre projet. Avant, ces enfants dormaient dans la rue, maintenant ils couchent à l’étage, sur une natte. On les nourrit, on leur donne des cours, on leur enseigne les arts en général, on leur apprend même à coudre, dans l’atelier, avec les artisans. On nous a prêté cette salle, mais nous voulons construire notre propre centre, quand nous aurons les budgets. »

Bakala Camara vit six mois de l’année à Conakry, les six autres à Marseille. « Les idées, c’est ici, les cachets, c’est là-bas, résume-t-il. Et c’est pour investir ici, pour que demain les jeunes n’aient plus besoin d’émigrer. Je ne suis pas socialiste, je ne fais pas de politique, j’essaye juste d’améliorer le sort des jeunes dans mon pays. Et tout le monde peut nous aider. » À bon entendeur.

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