Industrie : Rougier a la gueule de bois
Placée en redressement judiciaire le 12 mars, Rougier Afrique international, la filiale africaine du groupe qui compte près de 3 000 salariés sur le continent, a désormais douze mois devant elle pour se « restructurer ». Si le français incrimine l’engorgement du port de Douala pour expliquer ses déboires, il est aussi malmené depuis longtemps par la concurrence asiatique et paie une stratégie risquée.
« Je savais que le groupe Rougier n’allait pas bien, mais le dépôt de bilan… on était très loin de s’imaginer… » Le président de l’ONG Brainforest Gabon, Marc Ona, est estomaqué. La déclaration de cessation de paiements auprès du tribunal de commerce de Poitiers (France) de l’acteur historique de la filière bois en Afrique centrale, le 2 mars, puis le placement en redressement judiciaire de sa filiale africaine, Rougier Afrique International (RAI), dix jours plus tard, a eu l’effet d’une déflagration.
Et pas seulement au Gabon (1 500 salariés). Sa filiale, Rougier Afrique International (RAI), qui représente 80 % du chiffre d’affaires du holding Rougier SA (138 millions d’euros en 2017, – 7,5 % par rapport à 2016) et 97 % de ses presque 3 000 salariés, est également présente au Cameroun (700 salariés), au Congo (500 salariés) et, depuis 2015, en République centrafricaine. Selon une source proche de la direction, « l’ensemble des employés camerounais » est aujourd’hui « au chômage technique ».
Pour expliquer cette débandade, le groupe met en avant « des retards dans le remboursement des crédits de TVA dans les filiales africaines », et plus encore « l’engorgement chronique du port de Douala », qui a « provoqué des tensions de trésorerie ». À la fin de 2016, les créances auprès des gouvernements camerounais (8 millions d’euros), gabonais (5,7 millions d’euros) et congolais (2 millions d’euros) étaient importantes. Elles ont encore crû depuis, alors que le groupe affichait la même année un résultat net part négatif de 3,9 millions d’euros.
Érosion des prix de vente
En 2017, le directeur général depuis 2015, Éric-Bastien Ballouhey, identifiait d’autres facteurs pour expliquer des résultats déjà « très largement inférieurs au niveau attendu ». Dans le rapport annuel, il soulignait « la faiblesse de la demande en Asie » (30 % du chiffre d’affaires) et « l’érosion des prix de vente pour certaines essences ».
Passant sous silence la nouvelle concurrence asiatique, qui n’a pas fait le choix d’une certification environnementale très gourmande en investissements, contrairement à Rougier, dont près de la moitié des concessions en Afrique (1,16 million sur 2,3 millions d’hectares) sont labellisées par l’ONG Forest Stewardship Council. Or, comme le regrette avec force Marc Ona, aujourd’hui « l’essentiel de la production forestière dans le bassin du Congo part en Asie, c’est-à-dire des marchés que ces certifications n’intéressent pas forcément ».
En réponse, le groupe, actif en Afrique depuis 1952, avait adopté une stratégie de développement ambitieuse alors qu’il traînait une dette proche de 50 millions d’euros depuis des années. En 2015, RAI, détenu à hauteur de 35 % par la Caisse des dépôts et consignations du Gabon, remportait un appel d’offres portant sur 270 000 ha de concessions forestières en République centrafricaine.
Plan de sauvegarde
Deux ans plus tard, il signait un accord de financement de 15 millions d’euros avec Proparco afin de « poursuivre son développement dans le bassin du Congo ». Pourtant, le pari centrafricain se révélait déjà perdant. Un employé de Rougier Gabon nous a ainsi confirmé que « ces investissements risqués n’ont pas pu être valorisés, puisque le bois ne pouvait pas sortir d’Afrique, notamment à cause du goulot d’étranglement au port de Douala, connu de longue date. […] Heureusement, nous n’avons pas poussé l’erreur plus loin avec de nouvelles acquisitions ».
Le groupe Rougier, qui a déjà présenté au tribunal de commerce de Poitiers un plan de sauvegarde, se dit « déterminé à sauver l’entreprise » et entend pour cela « se recentrer sur ses activités à forte valeur ajoutée » selon une source proche du dossier. La recherche d’un repreneur au cours de la période d’observation fixée par le tribunal à douze mois n’est toutefois pas à exclure. Selon un ex-salarié, la famille Rougier a cherché à vendre dès 2011. Des discussions ont même eu lieu avec Olam. Mais le prix demandé (entre 100 et 120 millions d’euros) était trop élevé.
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