Côte d’Ivoire : que veut Jean-Louis Billon ?
Un an après son éviction du gouvernement, l’ex-ministre ivoirien Jean-Louis Billon se verrait bien au sommet de l’État. Reste à savoir si l’homme le plus riche de la Côte d’Ivoire peut s’offrir une place parmi les favoris.
Est-ce pour cet instant où le cœur s’emballe, pour ce sentiment de puissance ou pour cette peur qui saisit les entrailles ? Jean-Louis Billon aime aller vite. S’asseoir au fond du siège de son Audi A6 tout équipée, poser ses mains sur le volant et, d’un coup, accélérer. Certains se rappellent l’avoir vu filer sur l’autoroute qui, depuis Abidjan, mène vers le nord et son fief de Dabakala.
Même du temps où il était ministre, il préférait ne pas avoir de chauffeur. Odeurs d’huile, chaleur de la gomme sur le bitume, charme des belles cylindrées… Lorsqu’il n’est pas en Côte d’Ivoire, en France, au Cameroun ou à Dubaï pour ses affaires, c’est au bord des circuits de formule 1 de Monaco, de Singapour ou d’Abou Dhabi que l’on peut croiser ce grand patron multimillionnaire devenu homme politique. Aller vite, toujours plus vite.
L’une des bêtes noires des proches d’Alassane Ouattara
Ce n’est que par coquetterie que Jean-Louis Billon, 53 ans, ne veut pas révéler ses ambitions. Il les chuchote, entretient les silences, mais sait que personne n’est dupe. Cela fait si longtemps qu’il a éventé le secret… L’impatient a fixé sa ligne d’arrivée à 2020 et s’imagine plus que jamais président. Il y a quelques mois pourtant, il semblait au plus bas.
Débarqué du gouvernement en janvier 2017, évincé en juillet de la présidence de la région du Hambol, cet héritier de l’empire Sifca, premier groupe privé ivoirien, était contraint au silence et renvoyé à la gestion de ses nombreuses entreprises. Une sinécure pour ce franc-tireur qui n’a pas pour habitude de mâcher ses mots.
C’est un traître », lâche-t‑on, les dents serrées, dans l’entourage du président
Elle n’aura pas duré longtemps : promu porte-parole chargé de la « propagande » du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) par Henri Konan Bédié, Billon est devenu l’un de ses porte-flingues, l’un des moins favorables à une alliance avec le Rassemblement des républicains (RDR). Ouvertement hostile à un parti unifié, fervent défenseur d’une candidature d’un cadre du PDCI en 2020, il est l’une des bêtes noires des proches d’Alassane Ouattara. « C’est un traître », lâche-t‑on, les dents serrées, dans l’entourage du président.
Relations tendues avec Amadou Gon Coulibaly
Rares sont les démis d’un gouvernement à déboucher le champagne pour célébrer leur départ. « Pour moi, c’était un soulagement », assure Billon. Il explique que, cinq ans plus tôt, il avait hésité à accepter le portefeuille du Commerce que lui proposait Ouattara. « J’avais peur de ne pas avoir assez de marge de manœuvre », dit-il. Mais, pour cet ambitieux, pareil poste ne se refuse pas vraiment.
On lui a fait confiance, et il n’a pas brillé. Qui se souvient de ce qu’il a fait au ministère ? Billon, c’est du passé », affirme un de ses proches
Se sont néanmoins ensuivies des années de malaise : manque de moyens, nominations bloquées, désaccords sur la ligne politique… égrène un ancien membre de son cabinet. « Je m’ennuyais », ajoute l’ex-ministre. En face, on déplore son manque de loyauté. Les relations sont surtout compliquées avec Amadou Gon Coulibaly, alors tout-puissant secrétaire général de la présidence, devenu depuis Premier ministre.
Du côté de ce dernier, les rancœurs demeurent : « On lui a fait confiance, et il n’a pas brillé. Qui se souvient de ce qu’il a fait au ministère ? Billon, c’est du passé », lâche un de ses proches.
Les deux hommes ne se sont jamais appréciés, mais c’est l’octroi de la concession du deuxième terminal à conteneurs du port d’Abidjan à un groupement emmené par Bolloré, en 2013, qui envenime le conflit. Déjà ministre, Billon se pose en chantre de la gouvernance et en défenseur des entrepreneurs. Il prône des méthodes propres et s’insurge contre l’opacité de certaines affaires. En l’occurrence, il dénonce le renforcement du monopole du français, déjà concessionnaire du premier terminal à conteneurs, alors que l’opération était censée ouvrir le port à la concurrence.
Gbagbo, Ouattara et Bédié
La riposte viendra de Hamed Bakayoko, à l’époque ministre de l’Intérieur. En direct à la télévision publique, ce proche du président tacle son confrère : « Je vais le dire, quand même… Il est mal placé. Dans cette affaire, sa famille est impliquée. » Movis, une société dirigée par David Billon, le petit frère de Jean-Louis, était en effet candidate pour obtenir le marché.
Patron vertueux ou redoutable chef d’entreprise ? Le port d’Abidjan occupe en tout cas une place à part dans l’histoire de cet homme pour lequel la politique et les affaires ont toujours été étroitement mêlées. En 2004, c’était déjà à cause de l’octroi du terminal à conteneurs – le premier, cette fois-ci – à Bolloré que Billon s’était brouillé avec les proches de Laurent Gbagbo.
Gbagbo, Ouattara et aujourd’hui Bédié… Billon change d’allié au gré du vent
Il était alors, depuis deux ans, le patron de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire, un poste remporté grâce à l’appui du président socialiste, dont il avait soutenu la candidature au scrutin de 2000. « Je n’ai jamais cru en la sincérité de cet homme. C’est un opportuniste », estime aujourd’hui un ancien cacique du régime Gbagbo.
Gbagbo, Ouattara et aujourd’hui Bédié… À la manière d’une girouette, Billon change d’allié au gré du vent. Une inconstance que ses ennemis ne manquent pas de souligner, rappelant que ce cadre du PDCI a été élu sous les couleurs du RDR en 2013 au conseil régional du Hambol, la région dont il est originaire. Une étiquette devenue le prétexte de sa suspension en juillet 2017, qui relevait en réalité d’un règlement de comptes visant à le priver de tout ancrage local. « Sans nous, il n’aurait jamais remporté le Hambol. Là-bas, il ne pèse rien. Et sans enracinement, il n’a aucune chance d’avoir un destin national », estime un cadre RDR de la région.
Un incontournable du pays
Billon préfère souligner son ouverture et sa capacité à parler à tous, comme lorsque, en 2001, il a été élu maire de Dabakala avec une équipe composée de personnalités de tous bords. Son nom lui a aussi ouvert de nombreuses portes : son père, Pierre, fondateur de Sifca, était un ami intime de Félix Houphouët-Boigny et d’Henri Konan Bédié, dont Jean-Louis est aujourd’hui l’un des protégés.
Cet homme affable, formé entre la France et les États-Unis, a été élevé au sein des grandes familles, les happy few qui, depuis l’indépendance, occupent les postes clés de la Côte d’Ivoire. Il s’est marié à Henriette Gomis, la fille de Charles Gomis, actuel ambassadeur en France et proche des Ouattara – Dominique, la première dame, était l’un de ses témoins de mariage.
Selon Forbes, Jean-Louis Billon est l’homme le plus riche de Côte d’Ivoire
Qu’on l’aime ou pas, il possède une puissance économique qui fait de lui un acteur incontournable du pays depuis qu’en 2001 il a hérité de Sifca, mastodonte de l’agroalimentaire qui emploie près de 30 000 personnes dans le pays et affichait en 2016 un chiffre d’affaires d’environ 690 millions d’euros. Sans compter ses autres intérêts : Comafrique, Europ’Auto… Selon Forbes, Jean-Louis Billon est l’homme le plus riche de Côte d’Ivoire. L’un des rares aussi à pouvoir financer seul une campagne électorale. Cela peut-il suffire pour atteindre le sommet de l’État ?
Hyperactif sur les réseaux sociaux, il dit s’inspirer d’Houphouët-Boigny et de Chirac, auprès desquels il jouait enfant, plutôt que d’Obama ou de Macron. Cet iconoclaste bien né tente de cultiver son image d’homme proche du peuple et rêve d’être l’atout jeune du PDCI pour la prochaine présidentielle. Mais il sait que le chemin est encore semé d’embûches. Et que, à vouloir aller trop vite, une sortie de route est rapidement arrivée.
Un carnet d’adresses éclectique
Électron libre, Jean-Louis Billon a un réseau très éclectique. Depuis des années, il est entouré de la même poignée de fidèles, comme Carole Methivier Toutoukpo, son ex-chef de cabinet, Innocent Youté, un cadre du FPI élu député en décembre 2016, ou encore Paul Ouattara, conseiller régional dans le Hambol. Au sein du PDCI, il entretient des relations avec l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny, Nicolas Djibo, le maire de Bouaké, ou encore Noël Akossi Bendjo, le maire de la commune du Plateau, à Abidjan.
Mais ses proches viennent surtout du milieu des affaires, à l’image de Jean-Louis Giacometti, le patron de la Chambre de commerce et d’industrie française en Côte d’Ivoire, qu’il a fait venir à Abidjan. Il connaît également bien Timothy Shriver, le petit-neveu de Kennedy.
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