Mohamed Bouzoubaâ (TGCC) : « Notre levier de croissance se trouve au sud du Sahara »
Avec l’appui du fonds Mediterrania Capital Partners, l’entreprise marocaine de BTP, Travaux généraux de construction de Casablanca (TGCC), espère doubler la part de ses revenus en Afrique subsaharienne d’ici à 2020. Entretien avec son fondateur, Mohamed Bouzoubaâ.
Le bilan en demi-teinte des villes nouvelles africaines
Le début du XXIe siècle a vu se multiplier les projets de villes nouvelles à travers le continent, du Maghreb au Rwanda en passant par le Sénégal et le Cameroun. Mais une quinzaine année plus tard, les objectifs ne sont que très partiellement atteints.
Devenue en vingt-sept ans l’un des plus gros acteurs du secteur marocain du BTP, l’entreprise Travaux généraux de construction de Casablanca (TGCC), 2,8 milliards de dirhams (246 millions d’euros) de chiffre d’affaires en 2017, a été partie prenante dans de nombreux projets tels l’aéroport de Marrakech, deux gares de TGV (à Rabat et à Casablanca), le Grand Stade de Tanger, et participe à celui de la plus haute tour d’Afrique (220 m), qui sera livrée à Salé en 2020.
Alors que les commandes publiques faiblissent dans le royaume, TGCC a accueilli en janvier un nouvel actionnaire à son tour de table, le fonds Mediterrania Capital Partners (MCP), qui a investi 550 millions de dirhams. Avec cet appui, TGCC entend doubler à 20 % d’ici à 2020 la part de ses revenus en Afrique subsaharienne. Son fondateur, l’homme d’affaires Mohamed Bouzoubaâ, a accepté de répondre à JA.
Jeune Afrique : Vous avez réalisé l’une des plus grosses levées de fonds de ces dernières années auprès de MCP dans le cadre d’une augmentation de capital. Pourquoi ne pas avoir préféré une introduction en Bourse ?
Mohamed Bouzoubaâ : L’occasion ne s’est pas présentée. Une introduction en Bourse est fortement envisageable, mais dans quatre ou cinq ans, quand nous serons prêts. Cette première ouverture de capital, à hauteur de 15 %, nous permet d’améliorer nos organes de gouvernance et de rehausser le niveau des standards avec lesquels nous travaillons.
Quels objectifs vous êtes-vous fixés ?
Avec le fonds Mediterrania Capital Partners, nous souhaitons une présence plus substantielle en Afrique, et nous avons besoin de financer nos futurs projets sur place. Honnêtement, nous avions un peu de mal à lever des fonds pour les grosses opérations au sud du Sahara, telles que la construction d’un port ou d’un stade. Avec MCP à notre tour de table et grâce à la récente levée, nous avons acquis plus d’assurance.
Comment comptez-vous accroître votre présence au sud du Sahara ?
Nous sommes actuellement présents dans seulement deux pays et depuis moins de cinq ans. Au Gabon, nous avons réalisé et livré un projet immobilier pour le compte de l’État. C’est notre première expérience en dehors du Maroc. Nous avons aussi bâti un centre de formation à Libreville pour environ 1 000 élèves, offert par la Fondation Mohammed VI.
Nous avons identifié une dizaine de pays qui nous intéressent, comme le Sénégal, le Cameroun, Djibouti ou encore l’Éthiopie
L’activité a un peu faibli depuis quelques années au Gabon, contrairement à celle de la Côte d’Ivoire, où nous sommes très dynamiques. Nous y avons déjà livré un hôtel trois étoiles à un client privé, et nous construisons un cinq-étoiles de 24 étages sur la baie de Cocody, en plus de la gare routière d’Abidjan et de quelques petits chantiers. L’ambition de TGCC est qu’en 2020 nos filiales subsahariennes contribuent à 20 % de notre chiffre d’affaires. Pour le moment, cette activité représente moins de 10 % de nos revenus. C’est là que nous irons chercher notre croissance.
Nous espérons réussir une nouvelle implantation chaque année. Dans notre feuille de route, nous avons identifié une dizaine de pays qui nous intéressent, comme le Sénégal, le Cameroun, Djibouti ou encore l’Éthiopie. Nous scrutons l’ensemble des appels d’offres, notamment pour les gros projets en infrastructures. Quelques consultations sont en cours, mais nous n’avons pas eu de retours pour le moment.
Comment la conjoncture, très peu favorable au secteur marocain des BTP en 2017, a-t-elle impacté votre bilan ?
Nous n’avons pas encore tenu notre conseil d’administration, mais nous connaissons nos résultats dans les grandes lignes. Malgré une année assez difficile, effectivement, durant laquelle la commande publique a été très faible, nous avons réussi à consolider notre chiffre d’affaires, qui atteint 2,8 milliards de dirhams, pour un Ebitda [l’excédent brut d’exploitation] qui dépasse les 400 millions de dirhams. Notre dette nette a reculé, elle avoisinait les 400 millions de dirhams à la fin de décembre 2017, pour 500 millions de capitaux propres.
N’est-ce pas un niveau d’endettement inquiétant ?
Pour une entreprise comme la nôtre, c’est très raisonnable. Nous avons plus de 1 milliard de dirhams en créances clients, ce qui couvre largement notre dette. D’autant plus que nous avons récemment effectué une augmentation de capital.
N’êtes-vous pas fragilisé par le fait que la commande publique est jusqu’ici votre unique levier de croissance ?
Depuis le début, les projets réalisés pour l’État représentent en moyenne entre 30 % et 50 % de notre chiffre d’affaires. Au cours des deux derniers exercices, le nombre d’appels d’offres a été réduit. Nous espérons que 2018 sera meilleure, car, oui, c’est ce qui nous permet d’assurer notre croissance annuelle.
Nous prévoyons aussi d’atteindre un chiffre d’affaires compris entre 3,5 et 4 milliards de dirhams en 2020
L’État a annoncé une belle enveloppe de 195 milliards de dirhams d’investissements en 2018. Croyez-vous à un sursaut de l’activité ?
Sur le papier, c’est encourageant. Les annonces faites par le gouvernement doivent maintenant être confirmées sur le terrain. Sauf que nous ne sommes qu’au troisième mois de l’année. Nous n’avons donc pas une grande visibilité. Notre carnet de commandes dépasse les 6 milliards de dirhams sur les dix-huit prochains mois. Nous prévoyons aussi d’atteindre un chiffre d’affaires compris entre 3,5 et 4 milliards de dirhams en 2020.
Malgré tout, les craintes de la profession concernant la crise du secteur demeurent. Les partagez-vous ?
Le péril rôde autour de la profession, qui est d’ailleurs le premier employeur au Maroc. Le nombre d’entreprises qui mettent la clé sous la porte grandit année après année. Nous nous attendons à ce qu’un contrat-cadre soit signé par la fédération et l’État, qui aura pour objectif l’organisation de tout le secteur.
L’État a tout intérêt à accorder des marchés publics aux sociétés marocaines
Qu’attendez-vous de l’État ?
La profession milite pour une généralisation de la préférence nationale lors des appels d’offres. Il faut tout simplement l’appliquer automatiquement à chaque appel d’offres. L’État pourrait par exemple choisir une entreprise marocaine même si son offre financière est 15 % plus élevée que celle d’un concurrent étranger. Le taux peut changer, et il dépendra de plusieurs facteurs à déterminer plus tard, comme la taille du marché.
L’État a tout intérêt à accorder des marchés publics aux sociétés marocaines. Elles investissent lourdement localement. Leur gain est automatiquement réinjecté dans l’économie nationale, contrairement à celui des entreprises étrangères, qui vont en toute logique rapatrier les résultats. Ces dernières ne sont pas toujours meilleures que nous.
D’ailleurs, quelques-unes parmi celles à qui l’État avait confié une grande partie de la ligne à grande vitesse ont failli à leurs engagements. Elles ont été remplacées par des entreprises marocaines, qui ont rattrapé le retard.
Une réserve foncière importante
Mohamed Bouzoubaâ a créé il y a six ans une composante immobilière qui n’est présente qu’au Maroc. Malgré une conjoncture légèrement difficile, l’homme d’affaires se dit satisfait des résultats de cette petite filiale. C’est la composante BTP qui construit tous les projets, ce qui représente 10 % de son chiffre d’affaires. Selon son fondateur, TGCC Immobilier bénéficie d’une réserve foncière assez importante qui devrait faciliter sa croissance.
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