L’ère du cobalt
Qui a rendu visite cette semaine aux (dirigeants) Africains ?
Quels hauts responsables étrangers ont consacré beaucoup de leur précieux temps à un continent dont l’actuel président des États-Unis disait, il y a peu, qu’il était composé de pays « trous de merde » ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est tout d’abord le secrétaire d’État – ou ministre des Affaires étrangères – américain, numéro trois (en principe) des États-Unis. Il a sillonné notre continent à bord d’un avion gigantesque, signe de sa (supposée) puissance.
Rex Tillerson en personne a dégagé une semaine entière, du 6 au 13 mars, pour visiter cinq pays africains : Tchad, Djibouti, Éthiopie, Kenya et Nigeria.
Et comme il a fait escale en Éthiopie, il s’est entretenu, à Addis-Abeba, avec les dirigeants de l’Union africaine (UA).
Pourquoi, à votre avis, ces personnalités importantes et dont le temps est compté ont-elles fait le pied de grue dans des hôtels de Kinshasa ? Pourquoi le président de la RD Congo a-t-il donné l’impression de prendre plaisir à les faire attendre ? Dans quelles langues ont-elles exprimé leurs réserves et leurs souhaits à l’homme qui a bien voulu leur accorder cette exceptionnelle audience ?
De ces deux déplacements de personnalités en Afrique, le plus important, malgré les apparences, n’est pas le périple de Rex Tillerson.
Le budget du département d’État a été réduit d’un tiers au profit du Pentagone, la moitié des postes diplomatiques sont toujours sans titulaires et, à Washington, où règne un certain chaos, le secrétaire d’État, privé de presque toutes ses prérogatives, est désœuvré. Pour l’occuper, ses collaborateurs ont imaginé ce voyage en Afrique, de la mer Rouge à l’Atlantique.
Il a sillonné notre continent en « réparateur de dégâts ». Et pour faire pièce à la Chine, autant que faire se peut.
Rex Tillerson sera-t-il encore secrétaire d’État le mois prochain ? Passera-t-il l’année ? Nul ne le sait, et l’on ignore s’il démissionnera ou sera « viré ».
C’est donc le déplacement à Kinshasa des patrons miniers de la planète – Orient et Occident rassemblés – qui compte le plus. On s’y référera l’année prochaine quand, à Kinshasa, sera installé un nouveau pouvoir.
On sait que la RD Congo recèle 50 % à 60 % des réserves mondiales de cobalt et qu’elle sera à cette précieuse matière première, pour des décennies, ce que l’Arabie saoudite est, depuis près d’un siècle, au pétrole.
Le pouvoir qui régira le pays et ses ressources devra donc, comme son équivalent saoudien, se montrer docile ou, à tout le moins, raisonnable. Il sera « géré » par les grands pays industriels.
Car le cobalt est un composant essentiel des batteries équipant les voitures électriques et, demain, les avions. Il est déjà utilisé pour les batteries des smartphones et des ordinateurs.
Son prix s’est envolé (voir infographie page suivante) et continuera de grimper. Les sept grandes sociétés minières qui en assurent la production et la commercialisation, dont la célèbre Glencore, espèrent acquérir, au cours de ce siècle, l’importance que « les sept sœurs » ont eue, au XXe siècle, pour le pétrole. Qui a oublié les guerres du XXe siècle pour le pétrole, dont la plus importante a été menée en 1991 par les États-Unis pour protéger l’Arabie saoudite et libérer le Koweït des armées de Saddam Hussein ?
Pourquoi les patrons des grandes sociétés minières d’Occident et de Chine se sont-ils déplacés à Kinshasa, acceptant de faire antichambre avant d’être reçus par le président Kabila ?
Que veulent-ils, que veulent leurs gouvernements ?
Dans l’immédiat, persuader le pouvoir de Kinshasa d’être moins gourmand lors de l’augmentation de la redevance minière que la RD Congo perçoit sur l’exportation du minerai.
Ce pouvoir a en effet entrepris de multiplier cette redevance par quatre, comme l’avaient fait les pays exportateurs de pétrole il y a quarante-cinq ans, ce qui avait provoqué, souvenez-vous, le premier « choc pétrolier ».
Mais pour eux et leurs gouvernements, ce sont le moyen et le long termes qui comptent le plus.
La demande de cobalt quintuplera, et ils se trouvent dans l’obligation de s’assurer, comme hier pour le pétrole, que l’extraction et l’exportation de ce minerai, en quantité suffisante, à un prix stable et raisonnable, se feront sans heurts ni secousses.
Il leur faut donc, en face d’eux à Kinshasa, un pouvoir accepté par la population, qui se comporte de manière prudente et rationnelle.
Joseph Kabila, que l’Occident a contribué à installer au pouvoir au début de 2001, a, selon eux, fait son temps. Le consensus international sur son avenir, que Nikki Haley – ambassadrice américaine auprès des Nations unies et successeur possible de Rex Tillerson – a communiqué à l’intéressé lorsqu’il l’a reçue le 27 octobre 2017 à Kinshasa, est qu’il accepte et organise son départ du pouvoir à la fin de cette année.
C’est à mon avis ce qu’il fera en échange de garanties qui sont en cours de négociation.
Ni l’Union africaine, ni la Communauté de développement d’Afrique australe (CDAA) – organisation régionale dont fait partie la RD Congo –, ni les voisins de ce grand pays africain n’ont voix au chapitre ; les puissances occidentales et la Chine sont à la manœuvre, car il y va de la bonne santé de leurs économies.
La Chine a « découvert » l’Afrique il y a vingt ans, mesuré ses potentialités et en a fait sa « nouvelle frontière ». C’est la présence chinoise en Afrique qui a obligé les États-Unis, la France et d’autres pays européens, ainsi que le Japon et l’Inde, à s’intéresser à ce continent, à tenter de s’y refaire une place.
Rien d’important en Afrique ne se fera désormais sans la participation et l’accord de Pékin.
L’identité des futurs dirigeants de la RD Congo et leur mode de gouvernance sont désormais un problème international, dont la solution devra être agréée par la Chine.
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