Style : Noureddine Amir, maître en la matière
Les prodigieuses robes du couturier marocain Noureddine Amir font l’objet d’une exposition temporaire dans le tout nouveau Musée Yves-Saint-Laurent de Marrakech, avant de défiler à Paris début juillet.
«J’ai toujours pris le soin de distinguer les couturiers qui se servaient des femmes de ceux qui les servaient », disait le mécène Pierre Bergé. Aussi, rien d’étonnant à ce que l’œuvre du couturier marocain Noureddine Amir ait tapé dans l’œil du partenaire d’Yves Saint Laurent. C’était en 2014. Noureddine Amir exposait alors son travail à l’Institut du monde arabe, à Paris.
Deux ans plus tard, le natif de Rabat, diplômé de l’Esmod Casablanca (École supérieure des arts et techniques de la mode) en 1996, voit son travail mis à l’honneur par la Fondation Pierre-Bergé-Yves-Saint-Laurent, toujours dans la capitale française. « Lors de notre première rencontre, Pierre Bergé m’a demandé si je suivais les tendances. Quand je lui ai répondu par la négative, il m’a dit qu’il s’y attendait et qu’il aimait mon travail parce que je ne copiais personne », confie Noureddine Amir.
Inspiration végétale et minérale
En cette fin de mois de février, à l’occasion de la Foire d’art contemporain africain 1-54, qui se tient à Marrakech pour la première fois, Noureddine Amir démontre toute la singularité de son travail avec une exposition au jeune Musée Yves-Saint-Laurent de la Ville ocre. Pierre Bergé lui avait promis cette exposition longtemps avant sa disparition, l’année dernière. Le musée était alors en construction.
Dans l’espace d’exposition temporaire de l’établissement, le visiteur pénètre dans un univers onirique et féerique où les quelques jeux de lumière ne servent qu’à permettre la contemplation des robes magistrales du couturier. La musique folk de l’Iranienne Sussan Deyhim vient parfaire une sublime mise en scène où les robes d’Amir, véritables œuvres d’art, offrent leurs formes sculpturales, architecturales, dont la puissance peut désarçonner. Le minutieux travail sur la matière révèle des créations d’inspiration végétale et minérale semblant venir d’un autre monde. Robes feuillage, plantes d’une autre galaxie, saule pleureur mutant et lave solidifiée d’une étrange couleur… Mais contrairement à ce que l’on pourrait attendre, les robes ne sont pas enracinées, elles sont suspendues.
Avant de me lancer dans la confection d’une robe, je crée d’abord la matière. Elle est primordiale et me guide. Je ne dessine plus du tout car cela ne me procure aucun plaisir
« Avec cet assemblage de créations signées Noureddine, on a l’impression d’entrer dans une forêt, affirme le scénographe de l’exposition, Christophe Martin. Et j’ai choisi d’installer cette forêt dans l’espace. Je l’ai imaginée sur la planète Vénus. Nous sommes entre le rêve et la réalité. En suspendant les robes, j’ai voulu créer des tensions entre plusieurs espaces. J’ai travaillé sur la base des magnifiques mannequins que le couturier confectionne lui-même. »
Raphia, mousseline de soie, organza, laine, coton, sabra, toile de jute, métal… Noureddine Amir est un orfèvre de la matière, qu’il inscrit au cœur de son travail. « Avant de me lancer dans la confection d’une robe, je crée d’abord la matière. Elle est primordiale et me guide. Je ne dessine plus du tout car cela ne me procure aucun plaisir. Je travaille directement, à la main et sans patronage, sur le mannequin sculpté à partir de feuilles de cuivre. » Tubes de mousseline ou d’organza travaillés en spirales, utilisés comme ornements ou garnis de fils métalliques, argentés ou peints. Raphia teint au henné, sabra tricoté ou torsadé, etc. L’artiste cherche à créer des robes inspirées par la nature dans ce qu’elle a de plus vierge.
La nature, cette femme
« La nature m’inspire, et je considère que la femme, c’est la nature », soutient Amir. Les œuvres réunies pour cette exposition ont été créées entre 2002 et 2018, à quelques jours de l’exposition. Nombre d’entre elles ont déjà défilé, de Marrakech à Londres en passant par Bruxelles. Mais combien valent-elles ? Si Noureddine Amir juge inutile d’aborder la question du prix, on apprendra plus tard que, pour s’offrir l’une d’elles, il faudrait disposer de quelques milliers d’euros.
Né en 1967, le couturier a grandi à Rabat. Après avoir travaillé à New York comme costumier pour la vidéaste et photographe iranienne Shirin Neshat, il a fait son retour au pays natal en 2001. « Un besoin de retrouver le Maroc », justifie l’artiste, qui s’est depuis installé à Marrakech.
Mes robes sont des armures qui protègent le corps de la femme
Pour Björn Dahlström, directeur du Musée Yves-Saint-Laurent, mettre en avant un couturier marocain afin de faire écho à la première édition marrakchie de la Foire 1-54 était une évidence. « Sans compter que Noureddine Amir est un véritable artiste, avance-t-il. La force et la magie de son œuvre résident dans son habileté à mêler tradition marocaine et contemporanéité. »
Mais comment Noureddine Amir considère-t-il un couturier comme Yves Saint Laurent, lui qui se refuse à suivre les tendances ? « Il fait partie des créateurs qui ont marqué mon existence par son audace et son respect pour la femme. Moi, je la respecte autrement. Mes robes sont des armures qui protègent son corps. » Des armures qui défileront du 1er au 5 juillet au cours de la prochaine Fashion Week de Paris. Le créateur a été invité, cette année, à prendre part au défilé haute couture de ce grand raout. Il était temps.
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