Voyage : à Safi, dans l’antre de l’atelier du potier Serghini
Alors que vient d’ouvrir le Musée national de la céramique de Safi, au Maroc, rencontre avec le représentant d’une famille de potiers installée depuis sept générations dans la région.
L’élégante djellaba et la taqiyah jaunes couturées d’orange que porte Ahmed Serghini rappellent la couleur de la glaise qu’il modèle à longueur d’année. Autour de lui, dans son gigantesque atelier de Safi (Maroc), des amoncellements de tuiles bleues, des carreaux, des assiettes, des tajines, des plats de toutes tailles et de toutes couleurs, des cruches, des urnes… Toutes les étapes de la création, de la terre brute à la vente du produit fini, sont résumées ici, d’une pièce à l’autre, entre simplicité et sophistication extrême.
« J’appartiens à la septième génération de céramistes, raconte le créateur, affable. La famille Serghini est arrivée à Safi en 1836, venant de Fès. J’ai tout appris de mon père, je voulais reprendre le métier de mes ancêtres. » De ses huit frères et sœurs, il est le seul à avoir poursuivi l’œuvre familiale. Avec un succès certain, puisqu’il vend certaines de ses pièces aux grands de ce monde, dont le roi Mohammed VI. « Avec Hassan II, nous nous sommes disputés, se souvient Serghini. Et après, nous sommes devenus amis… »
Dans les années 1990, il y avait quelque 200 ateliers de potier ici, mais ce chiffre est aujourd’hui en baisse », explique Ahmed Serghini
Même si le nombre de salariés est passé de 150 il y a vingt ans à 20 aujourd’hui, l’entreprise semble assez prospère, le patron possédant même le riad du pêcheur, au-dessus du port. « Mon fils cadet, Younès, a fait l’école de Limoges et c’est lui qui va reprendre l’affaire, poursuit Serghini. »
Pas de place pour les femmes chez les potiers ? Il se récrie : « Cela fait vingt ans que j’ai fait entrer les filles pour le dessin, la décoration… Mais il faut avouer qu’en ce qui concerne l’usage du tour ce sont toujours les hommes, car il faut de la force. »
Au Maroc, nombreuses sont les régions qui ont développé leur propre style en matière de céramique : dans le Rif, mais aussi à Tamegroute, Meknès, Fès, Safi… Toutes ayant leurs particularités. « Dans les années 1990, il y avait quelque 200 ateliers de potier ici, mais ce chiffre est aujourd’hui en baisse, explique Serghini. Il faut que l’État nous aide pour sauvegarder ce patrimoine, ce qu’il fait avec l’ouverture du Musée national de la céramique de Safi. »
Riche patrimoine
Financé à 95 % par la Fondation OCP pour un montant non communiqué, le musée a ouvert en grande pompe le 3 mars dernier. Il présente de manière succincte mais pédagogique les grandes tendances de la céramique marocaine, de la période préromaine à aujourd’hui, insistant sur les motifs, les méthodes et les couleurs propres à chaque région – avec, bien entendu, une attention particulière accordée à la production de Safi.
Comme la rénovation de Dar El Bacha et la transformation de Dar Si Saïd en Musée national du tissage et du tapis, à Marrakech, cet intérêt porté au patrimoine – et à la culture en général – relève d’un vrai choix politique au Maroc. « Il s’agit de permettre à tous les Marocains, et pas seulement à une élite, de prendre conscience de leur patrimoine, assure Mehdi Qotbi, président de la Fondation nationale des musées. C’est un outil pour faire barrage aux dérives extrémistes et tourner le dos à l’obscurantisme. »
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