Arts : l’envolée des peintres populaires congolais
Portée par une nouvelle génération talentueuse, la peinture congolaise a pris d’assaut les musées européens, comme le prouve « Congo Paintings », au Musée africain de Namur.
Il fallait oser… Une peinture signée Sam Ilus montrant Patrice Lumumba brandissant un drapeau « Vive l’indépendance, vive l’avenir » accrochée à quelques centimètres d’un buste de Léopold II, artisan de la colonisation sanglante du Congo. La scène se passe dans l’improbable Musée africain de Namur (MAN). Conçu comme un outil de propagande coloniale, l’établissement l’est resté jusqu’au début des années 2000, longtemps pris en charge par des nostalgiques du Congo belge.
On y traverse des salles et des couloirs étroits aux couleurs délavées, éclairés au néon et chargés d’objets hétéroclites (photos, timbres, billets de banque, papillons…) qui replongent dans un passé lointain et mal digéré. C’est pourtant là que se joue jusqu’au 27 mai, grâce au nouveau conservateur François Poncelet, une exposition étonnamment vivante, libre et stimulante : « Congo Paintings. Une autre vision du monde », qui permet de découvrir une génération d’artistes volcaniques.
Popularité de l’art congolais
En tout, 80 toiles du mouvement des peintres populaires congolais (uniquement des hommes, les Congolaises peintres étant quasi introuvables) ont été rassemblées, issues des riches collections du Français Bernard Sexe et des Belges Philippe Pellering et Boris Vanhoutte. Autant de peintures qui osent ce que tant d’œuvres contemporaines ont mis de côté : la figuration, l’érotisme, la satire politique… et même l’humour !
Une constellation de talents qui est longtemps restée dans l’ombre de stars comme Chéri Samba. Ici l’artiste Papa Mfumu’eto Ier peint une scène de cannibalisme où le festin est constitué de trois missionnaires blancs. Là, JP Mika immortalise la Nuit de la francophonie au stade des Martyrs, dans une toile saturée de couleurs où apparaissent le coq français et l’okapi congolais. Plus loin, le provocateur Kiesse imagine des anges déchus affublés de pénis imposants tombant sur des pécheresses qui n’ont pas l’air particulièrement affolées.
On est loin des toiles vendues aux Kinois pour une bouchée de pain […] ou des œuvres échangées « contre une caisse de bières »
Le collectionneur Philippe Pellering, très engagé dans la manifestation, et coauteur avec François Poncelet du catalogue, se félicite du récent retentissement international de l’art congolais. Il égrène les nombreux lieux où il a été mis en avant ces trois dernières années : les Fondations Cartier et Louis Vuitton, à Paris, Bozar, à Bruxelles, Garage Museum of Contemporary Art à Moscou… Un projet d’exposition pourrait faire voyager certaines toiles de Hong Kong à Macao et jusqu’en Corée du Sud.
Valeur en hausse
En parallèle, les cotes montent. En 2014, une toile de Chéri Samba, J’aime la couleur, était adjugée 77 420 euros… On est loin, très loin, des toiles vendues aux Kinois pour une bouchée de pain, dans les bars, par Moke dans les années 1970 ou, il y a encore 20 ans, des échanges d’œuvres « contre une caisse de bières » dont témoigne Bernard Sexe, collectionneur devenu l’ami de plusieurs artistes.
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Loin aussi de ventes très « artisanales ». « Les artistes passaient chez moi, parfois j’étais dans ma piscine, ils étalaient leurs productions autour du bassin et je choisissais », se souvient l’amateur d’art et ancien diplomate, un brin provocateur, qui posséderait aujourd’hui quelque 500 œuvres. « Il y a toujours eu des tarifs divers, glisse Moke fils. On ne vendait pas au même prix à Bernard, qui nous prenait toujours quelque chose et quelque part nous soutenait, qu’à un grand intermédiaire comme André Magnin ou à un riche expatrié… Mais des toiles qui pouvaient partir entre 500 ou 1 500 dollars, en fonction de l’amitié, valent aujourd’hui dix à quinze fois plus. »
La plupart de mes confrères, quand j’ai commencé, n’étaient pas fiers de ce qu’ils faisaient, ils travaillaient en cachette et ne se disaient pas peintres », se souvient Ange Kumbi
Avec les héritiers de grands noms (Moke fils, Bodo fils, Amani Bodo, Trésor Chérin) et leurs disciples (Sapin Makengele, élève de Chéri Chérin), une nouvelle génération de peintres est née, plus cosmopolite, plus soudée, mieux intégrée aux réseaux de collectionneurs. Et des diplômés d’écoles d’art, jusqu’ici honnis, sont venus rejoindre le clan, comme Pita Kalala, Peter Tujibikile ou JP Mika, issus de l’Académie des beaux-arts de Kinshasa.
Nouvelle génération
« Longtemps les académiciens appelaient les peintres populaires les “naïfs”, et nous, nous appelions les académiciens les “déjà-vu” », rigole Sapin Makengele. « On nous a souvent dit que nous n’étions pas des artistes mais des artisans, se souvient Ange Kumbi, figure du mouvement, 66 ans aujourd’hui. La plupart de mes confrères, quand j’ai commencé, n’étaient pas fiers de ce qu’ils faisaient, ils travaillaient en cachette et ne se disaient pas peintres. »
Les nouveaux venus sont moins complexés, même s’ils digèrent toujours mal de n’être pas assimilés aux « artistes contemporains » dans certaines expositions. Ils abordent des thématiques plus diverses et maîtrisent souvent mieux la technique que leurs aînés… ou ont le temps de plus s’appliquer. « Il faut se rappeler que, lorsque mon père était en activité, l’atelier était dans la rue ! explique Moke fils. On disposait quinze toiles sur un mur, je faisais les croquis, parfois les habits, et mon père se déplaçait d’une œuvre à l’autre. »
Nous sommes déjà une centaine aujourd’hui à vivre plus ou moins de notre art, et chaque jour, au Congo, naît un nouvel artiste », raconte Sapin Makengele
Aujourd’hui, « la rareté faisant la valeur », la nouvelle génération ne mise plus sur les multiples. Et s’inspire de ce qu’elle vit, parfois très loin de Kinshasa. « En ce moment je travaille sur une toile de trois mètres de longueur, intitulée La Hollande et l’esprit du vélo, qui montre des personnages célèbres du pays, comme le roi, raconte Sapin Makengele, installé aux Pays-Bas. Notre peinture est née à Kinshasa, mais nous continuons à nous inspirer du pays, car nous suivons tout ce qui s’y passe via internet. Notre mouvement est un état d’esprit avant d’être une localité. Nous nous réinventons partout ! »
Pour Sapin, la peinture populaire congolaise, toujours plus dynamique, est à la veille d’une révolution. « Nous sommes déjà une centaine aujourd’hui à vivre plus ou moins de notre art, et chaque jour, au Congo, naît un nouvel artiste. » « Les Congolais comprennent qu’on peut avoir de l’argent, du succès en devenant peintre, souligne Moke fils, avant d’ajouter dans un sourire un argument imparable. Et quand tu es artiste, les femmes te courent après, même les Européennes… Chéri Samba a bien dit qu’il avait plus de dix compagnes ! »
En manque de matériel
« Peindre a toujours été de la débrouille à Kinshasa, regrette Moke fils. Jusqu’à aujourd’hui, on n’y trouve pas un seul magasin où acheter de la peinture, des pinceaux, des toiles… D’ailleurs il nous est arrivé de peindre sur des toiles découpées dans des sacs de farine de la Minoterie de Matadi, faute de mieux ! »
Pour leurs fournitures, les artistes ont pris l’habitude de solliciter des confrères et des amateurs d’art locaux ou occidentaux qui importent pour eux de quoi créer. Certains échangent même du matériel contre des œuvres. Le calvaire des peintres kinois pourrait néanmoins prendre fin si Moke fils réussit, comme il le souhaite, à ouvrir rapidement une boutique spécialisée dans la ville.
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