Bachir el-Khoury : « Beaucoup d’espoirs ont été déçus en Afrique du Nord »

L’économiste libanais, auteur de « Monde arabe : les racines du mal » (« L’Orient des livres », Actes Sud, 2017), Bachir el-Khoury livre son analyse sur les printemps arabes et l’évolution des pays concernés depuis 2011.

Bachir El Khoury, auteur du « Monde arabe : les racines du mal » à Paris, 19 mars 2018 © Bruno Levy pour ja

Bachir El Khoury, auteur du « Monde arabe : les racines du mal » à Paris, 19 mars 2018 © Bruno Levy pour ja

CRETOIS Jules

Publié le 3 avril 2018 Lecture : 2 minutes.

Jeune Afrique : Qu’est-ce qui a changé depuis les soulèvements de 2011 ?

Bachir el-Khoury : On observe à la fois des ruptures et des logiques de continuité. En Égypte, l’extension du canal de Suez, un projet à plus de 8 milliards de dollars, sans doute utile mais pas créateur d’emplois, symbolise, jusque dans les effets d’annonce tonitruants, une continuité avec les anciennes pratiques. Le canal est une source de rente. Rien n’indique en Égypte la volonté de diversifier l’économie et de stimuler les secteurs à forte valeur ajoutée.

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Quels sont les pays qui ont osé faire des réformes ?

On peut relever les efforts d’industrialisation du Maroc, qui essaie de remonter la chaîne de production, de ne plus se cantonner à la phase finale de la chaîne industrielle. Le plan de diversification de l’économie saoudienne, incarné par la Vision 2030, est aussi un exemple marquant.

Il est pourtant porté par un régime politique assez fermé…

En effet. Mais la prise de conscience est là : le prince Mohamed Ibn Salman, puis le ministre de l’Énergie ont dénoncé la dépendance au pétrole et préparent le terrain à l’introduction de nouvelles taxes et au développement du secteur privé. Ils insistent sur la nécessité de sortir de l’économie de rente et d’offrir des emplois de qualité aux jeunes.

La pression démographique, combinée à une absence d’emplois, est à l’origine de la révolution tunisienne

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Y a-t-il un risque d’explosion dans des pays peu enclins à réformer ?

Difficile de l’affirmer avec certitude, mais la torpeur algérienne, par exemple, ne peut pas déboucher sur une situation saine. Alger perpétue une négligence vis-à-vis de l’agriculture et de pans entiers de l’industrie qui est au fondement de la dépendance pathologique du monde arabe aux importations.

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On observe aussi une augmentation des tentatives de départ de jeunes Algériens vers l’Europe. La pression démographique, combinée à une absence d’emplois et surtout d’emplois valorisants pour les diplômés, est à l’origine de la révolution tunisienne…

Nombre des options du FMI et des institutions internationales font fi du contexte social

Les manifestations ont d’ailleurs repris en Tunisie…

On assiste à de nouvelles vagues de manifestations dans le Rif marocain et en Tunisie. Beaucoup d’espoirs ont été déçus en Afrique du Nord. À propos du canal de Suez, Abdel Fattah al-Sissi n’a fait que reprendre des promesses de campagne de 2012 du Frère musulman Mohamed Morsi, pas toujours audacieuses.

Les institutions internationales, au premier rang desquelles le FMI, ont beau avoir révisé leur discours, elles continuent de susciter la méfiance, parfois à juste titre… Nombre de leurs options font fi du contexte social. Toutes leurs propositions ne sont pas infondées, mais il faut assurer la protection des citoyens et des producteurs locaux pour accompagner l’ouverture économique.

Or rares sont les pays qui ont adopté une politique fiscale plus équitable depuis 2011, et la corruption empêche la fiscalité progressive. C’est là que la pression politique peut agir sur l’économie : si les manifestants imposent un dispositif fiscal juste et efficace, cela facilitera les réformes.

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