« Black Panther » : peut-on griffer une panthère noire ?
Si « Black Panther » reste un bon divertissement comme Marvel sait en produire, il reste avant tout le blockbuster d’un géant hollywoodien, juge l’écrivain Mabrouck Rachedi, qui préfère compter sur l’émergence de figures africaines ou afro-descendantes bien réelles.
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Mabrouck Rachedi
Ecrivain franco-algérien dont le dernier roman est « Krimo, mon frère » (éd. L’École des loisirs).
Publié le 30 mars 2018 Lecture : 5 minutes.
« Black Panther » : pourquoi l’Afrique en est-elle si fière ?
La dernière production Marvel-Disney, « Black Panther », est une aventure de science-fiction entièrement confectionnée dans les studios numériques hollywoodiens. Son extraordinaire succès n’était pas prévisible. Il en dit long sur la soif de reconnaissance des Noirs du monde entier.
Tribune. Avec plus de 1 milliard de dollars de recettes en un mois, Black Panther fait un carton au box-office. Le film de Ryan Coogler a allègrement dépassé le seuil convoité par les studios autant que le vibranium l’est par les Wakandais ! Triomphe phénoménal, le blockbuster produit par Disney suscite sur les réseaux sociaux des débats passionnés. Toute critique est assimilée à une espèce de crime de lèse-majesté par les adorateurs du roi T’Challa – quand elle n’est pas soupçonnée d’être racialement orientée. Pourquoi est-il impossible de griffer la Panthère noire sans déchaîner les passions ?
Black Panther est un nom devenu symbolique. Il est associé par accident au Black Panther Party (BPP), fondé aux États-Unis en octobre 1966 par Bobby Seale et Huey Percy Newton. Trois mois auparavant, son homonyme, premier véritable super-héros noir et africain, apparaissait dans les pages de Fantastic Four, un célèbre Marvel Comics.
La Panthère noire enrichit les actionnaires
La concomitance des dates a alimenté la légende selon laquelle le mouvement révolutionnaire de libération africain-américain se serait inspiré du héros de bande dessinée. Pourtant, on est tout à fait sûr que ses créateurs, Stan Lee et Jack Kirby, ne connaissaient rien du BPP, qui n’était alors qu’en gestation. D’ailleurs, le dessinateur Kirby avait d’abord pensé à un autre nom, Coal Tiger. Littéralement : « tigre de charbon ».
Pour éviter tout amalgame avec le mouvement, jugé trop violent, Black Panther sera provisoirement, à partir de 1972, rebaptisé Black Leopard. Voici ce que répondit T’Challa à la Chose, l’un des Quatre Fantastiques, quand elle l’interrogea sur son changement de nom : « J’envisage un retour dans votre pays [les États-Unis], où ce terme a une connotation politique. Je ne condamne ni n’approuve ceux qui ont pris le nom, mais T’Challa est sa propre loi. D’où le nouveau nom – un point mineur, car la panthère est un léopard. »
Créée par des non-Africains-Américains, produite par un studio dirigé par des non-Africains et tournée hors d’Afrique, la Panthère noire enrichit les actionnaires d’une société cotée à la Bourse de New York
Voilà comment la dimension de politique intérieure a été expurgée du personnage, comme celui-ci se vide de ses forces surnaturelles avant un combat pour le trône du Wakanda.
Black Panther est un film américain qui obéit aux codes des blockbusters, à une notable exception près : les acteurs principaux et le réalisateur sont noirs. Son décor est essentiellement constitué par un omniprésent fond vert qui permet de plaquer à l’envi des effets spéciaux. Le film est financé par des capitaux américains et enrichira l’une des plus grandes compagnies du monde.
Créée par des non-Africains-Américains, produite par un studio dirigé par des non-Africains et tournée hors d’Afrique, la Panthère noire enrichit les actionnaires d’une société cotée à la Bourse de New York. Elle ne doit rien à l’Afrique et ne lui donnera rien.
Isolationnisme ou interventionnisme ?
Le tout-puissant studio Disney, qui l’est davantage depuis qu’il a racheté la 21st Century Fox pour plus de 50 milliards de dollars, produit des standards. Pour le meilleur, quand les castings de ses blockbusters se multiculturalisent et se féminisent. Pour le pire, quand on a l’impression de revoir le même film sous des bannières différentes. La fin de Black Panther ressemble ainsi à celle des Star Wars, autre produit Disney depuis le rachat de Lucasfilm.
Comme dans La Menace fantôme, trois batailles se déroulent simultanément : l’une dans les airs, l’autre entre deux armées et la troisième entre les super-héros ou Jedis. Mettons Anakin Skywalker dans un vaisseau plutôt que l’agent Ross ; remplaçons les Gungans contre les droïdes par la tribu de la Porte contre les Jabaris ; et substituons au combat de Darth Maul Obi-Wan contre Qui-Gon celui opposant Killmonger et Black Panther ; on obtient le même enchaînement de séquences, avec les mêmes retournements de situation.
Plutôt que d’œuvres militantes, si l’on devait rapprocher Black Panther d’autres films, on lorgnerait du côté de l’univers Marvel. À chaque héros, un enjeu et un thème. L’enjeu personnel a souvent à voir avec la famille, tandis que le thème traite volontiers d’un problème de société : Spider-Man évoque la responsabilité conférée par le pouvoir, les X-Men, le traitement de la différence, Captain America, le sens du devoir, et Iron Man, le mauvais usage des armes.
Black Panther s’inspire de légendes mêlées à l’imaginaire collectif, faute de personnalités politiques africaines marquantes, on surinvestit une chimère
L’opposition des personnages de Killmonger et de T’Challa a souvent été comparée à celle entre Malcolm X et Martin Luther King. Mais on peut aussi estimer que le sujet principal du film est le devoir d’ingérence. Isolationnisme ou interventionnisme ? La question prend tout son sens en plein mandat de Donald Trump, marqué par une forte tentation de repli des États-Unis sur eux-mêmes.
Le Wakanda n’existe pas, le vibranium non plus. À lire le tombereau de propos outragés déversés sur le web, on se dit qu’il est décidément bien curieux, voire inquiétant, qu’un personnage qui flatte la fierté africaine mais reste à mille lieues de la réalité du continent suscite autant de controverses.
Un « bon divertissement »
Black Panther s’inspire de légendes mêlées à l’imaginaire collectif. Dans cette psyché où se mire l’air du temps, on peut voir le défaut de représentations positives des Africains. Quand on plaque des fantasmes politiques sur un héros de divertissement, il est permis de s’interroger sur le manque que cela révèle. Faute de personnalités politiques africaines marquantes, on surinvestit une chimère.
Qu’importe si cela doit me valoir la réprobation, je préfère compter sur l’émergence de figures africaines ou afro-descendantes bien réelles
J’ai vu Black Panther et je l’ai aimé pour ce qu’il est : un bon divertissement qui comble l’ancien passionné de comics que je fus. L’adulte que je suis devenu n’a projeté aucun fantasme militant, panafricain ou autre, sur le super-héros Marvel-Disney. Qu’importe si cela doit me valoir la réprobation, je préfère compter sur l’émergence de figures africaines ou afro-descendantes bien réelles.
Espérons qu’elles susciteront autant d’enthousiasme que le film a soulevé de discordes. Car l’une des leçons des destinées croisées de Black Panther et Killmonger est que les passions positives sont celles qui font avancer.
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« Black Panther » : pourquoi l’Afrique en est-elle si fière ?
La dernière production Marvel-Disney, « Black Panther », est une aventure de science-fiction entièrement confectionnée dans les studios numériques hollywoodiens. Son extraordinaire succès n’était pas prévisible. Il en dit long sur la soif de reconnaissance des Noirs du monde entier.
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