Des pistes pour relancer la croissance marocaine
Endettement, chômage des jeunes, compétitivité des entreprises… JA dresse un bilan de la situation économique du Maroc et avance des pistes pour doper sa croissance.
Après quelques semaines d’accalmie, la contestation a repris à Jerada, ville minière pauvre du nord-est du Maroc, malgré les interdictions de manifester décrétées par les autorités. Depuis dix-huit mois, les régions défavorisées du royaume sont le théâtre de mouvements de protestation populaires. Les citoyens réclament plus de justice sociale et dénoncent la hogra (le mépris) dont ils se sentent victimes.
S’adressant aux représentants de la nation, lors de l’ouverture de la session parlementaire, le 13 octobre 2017, le roi a reconnu que le développement du pays ne donnait plus entière satisfaction. Quelques semaines plus tard, il avait d’ailleurs fait limoger plusieurs ministres, secrétaires généraux de ministères et hauts fonctionnaires, coupables d’avoir tardé dans la mise en œuvre de projets de développement dans la région d’Al Hoceima, point de départ des premières manifestations.
Une politique économique discutable
L’autocritique de Mohammed VI, entamée lors du discours de la fête du Trône au mois de juillet, a brisé un tabou. De nombreux économistes qui réclamaient jusque-là en vain une remise à plat du modèle marocain y voient une opportunité salutaire.
Car, s’il lui arrive encore d’être donné en exemple, le royaume souffre à l’évidence de nombreux maux. « Apparemment épargnés par les grosses turbulences du Printemps arabe de 2011, on commençait à croire que tout allait bien. En réalité, nous connaissons une aggravation des disparités sociales », constate Mehdi Lahlou, économiste et professeur à l’Institut national de statistique et d’économie appliquée de Rabat.
Depuis le début du millénaire, le Maroc enregistre des taux de croissance en dents de scie
Pour nombre d’experts, le Maroc pâtit de l’absence d’une politique économique affichant des objectifs à long terme et englobant l’ensemble des secteurs, mais aussi de choix d’investissements publics discutables et d’un manque de compétitivité des entreprises nationales.
« Il faut reconnaître tout de même qu’au cours des seize dernières années le pays a réalisé des avancées incontestables », tempère Mohamed Berrada, économiste et ancien ministre de l’Économie et des Finances. Depuis le début du millénaire, le Maroc enregistre des taux de croissance en dents de scie.
Un industrie trop faible malgré des efforts
En 2017, il a atteint 4,6 %, grâce notamment aux 95 millions de quintaux de blé produits. Mais, un an plus tôt, il avait à peine dépassé 1 %, notamment à cause d’une courte période de sécheresse. « La croissance de l’économie reste trop faible, totalement dépendante des aléas climatiques », regrette Mehdi Lahlou. Une vulnérabilité dont le pays peine à se défaire.
Si le Maroc constitue l’une des économies les plus diversifiées d’Afrique francophone, le poids de l’industrie demeure trop faible. Son influence a même reculé depuis le début du règne de Mohammed VI. Entre 2002 et 2013, le pays a pourtant attiré plus de 47 milliards de dollars (38 milliards d’euros) d’investissements étrangers. Seuls deux pays africains font mieux selon la Banque mondiale.
En 2017 la croissance des secteurs non agricoles a plafonné à 2,7 %, et celle des industries métallurgique, mécanique et électrique a chuté de 2,4 %
Attaché à améliorer son attractivité, Rabat a mis en place des zones franches à Tanger, à Kenitra, à Dakhla et à Laayoune, créé la place financière de Casablanca… Autant d’efforts qui lui permettent aujourd’hui d’occuper la 69e place du classement « Doing Business » et d’avoir la cote auprès des multinationales. À la clé, l’implantation d’usines à l’image de celles de Renault ou de Safran.
Reste que cette politique d’ouverture commencée au début des années 2000 n’a pas encore rempli sa mission initiale : faire décoller la croissance. Selon le Haut-Commissariat au plan, en 2017 la croissance des secteurs non agricoles a plafonné à 2,7 %, et celle des industries métallurgique, mécanique et électrique a chuté de 2,4 %.
« Il faut apprécier l’essor de ces nouvelles industries en déduisant des exportations les importations des pièces incorporées dans le produit final », précise Mohamed Berrada. Le taux d’intégration reste relativement bas. Pour ses deux usines au Maroc, Renault ne s’approvisionne qu’à 50 % sur le marché marocain, soit un milliard de dirhams (88 millions d’euros). En parallèle, le secteur automobile, dans sa globalité, a importé pour presque 18 milliards de dirhams de marchandises en 2017.
Déséquilibre de la balance commerciale
Conséquence : la balance commerciale souffre d’un déficit chronique que les gros investissements directs étrangers n’ont jamais réussi à compenser. En 2017, les exportations n’ont couvert que 56,3 % des importations du royaume. Le Maroc importe, par exemple, pratiquement l’ensemble de ses besoins en énergie.
« Nous avons libéralisé le commerce extérieur sans préparer notre industrie à une compétition internationale », rappelle l’économiste marocain Mohamed Berrada
Quant aux exportations, les marchés européens constituent leurs principaux débouchés. « Nous sommes rattachés à une locomotive, l’Europe, où les taux de croissance ont navigué ces dernières années entre – 1 % et 2 %, alors que notre économie a besoin de taux bien plus importants », estime Mohamed Berrada.
Pour alimenter le moteur de son développement, le Maroc a aussi beaucoup misé sur une combinaison mêlant demande intérieure et investissement public. Là encore, les résultats ne sont pas à la hauteur. Outre la stagnation des salaires observée depuis quelques années, l’incapacité des entreprises locales à répondre aux attentes des Marocains accentue également le déséquilibre de la balance commerciale.
« Nous ne sommes pas un pays qui a une culture industrielle. Nous avons libéralisé le commerce extérieur sans préparer notre industrie à une compétition internationale », rappelle Mohamed Berrada. Résultat des courses, beaucoup d’usines ont fermé, détruisant des milliers d’emplois. Les entrepreneurs marocains ont préféré se tourner vers l’immobilier ou encore le commerce qui créent très peu de valeur ajoutée.
« Les investissements publics ne sont pas à eux seuls suffisants. À présent, ils doivent être relayés par des gains de productivité dans les entreprises », estimait récemment lors d’un débat public Jean-Pierre Chauffour, économiste principal pour le Maroc à la Banque mondiale. D’autant que, si le royaume a beaucoup investi depuis plus de quinze ans – les montants ont triplé entre 2000 et 2014, passant de 98 milliards à près de 273 milliards de dirhams –, l’économie en a peu bénéficié.
« Le Maroc a fait des choix très discutables. Quand certaines régions avaient besoin de routes pour être désenclavées, on a préféré construire des autoroutes dans celles qui étaient déjà correctement reliées. On a parfois choisi des infrastructures de démonstration comme la ligne à grande vitesse entre Tanger et Kenitra », estime Mehdi Lahlou.
Le chômage, bombe à retardement
Le bon point du Maroc, c’est d’avoir malgré tout maîtrisé ses équilibres macroéconomiques. Le passif du royaume s’alourdit certes, mais reste acceptable du point de vue de ses partenaires. La dette du Trésor a atteint 64,7 % du PIB en 2017, soit 673,1 milliards de dirhams, et devrait se stabiliser.
À Al Hoceima, le pourcentage d’actifs sans emploi dépasse 21 %, soit le double de la moyenne nationale
L’arrêt des subventions sur les carburants en 2017 a rendu une certaine marge de manœuvre au gouvernement, alors que cette mesure n’était pas satisfaisante en matière de redistribution, analyse Juan Ramon De Laiglesia, économiste au sein du centre de développement de l’OCDE. Le déficit budgétaire tend néanmoins à se creuser. Il était de 2,6 % du PIB en moyenne entre 2000 et 2007 ; depuis, il dépasse 4 %.
Il n’est pas étonnant que l’essoufflement du modèle chérifien se traduise par des vagues de contestation sociale. À Al Hoceima, le pourcentage d’actifs sans emploi dépasse 21 %, soit le double de la moyenne nationale. « Quand il y a un tremblement de terre en surface, c’est expliqué par des mouvements profonds », prévient Mohamed Berrada, qui est convaincu que le plus gros danger pour le Maroc n’est autre que le chômage, et principalement celui des jeunes.
En 2017, 26,5 % des 15-24 ans n’avaient pas de travail. Ils étaient 42,8 % en milieu urbain. Et parmi eux, paradoxalement, les diplômés sont les plus touchés, quand les femmes constituent la majorité de ces chômeurs. Une vraie bombe à retardement, alors que le pays compte plus de 5 millions de pauvres, vivant avec moins d’un dollar par jour, sur une population totale de 35 millions d’habitants.
Pari jeune
Et les perspectives ne sont pas forcément réjouissantes. L’économie marocaine ne crée en effet que peu d’emplois. « Le pays a des difficultés à convertir sa transition démographique en une aubaine », souligne l’économiste Larbi Jaidi. La situation aurait même tendance à se dégrader. Si, entre 2000 et 2008, 168 000 postes par an étaient créés, on en comptait que 56 000 entre 2013 et 2016, et 86 000 en 2017.
Le 19 février, le roi, à travers un discours lu par son conseiller Abdeltif Menouni devant la deuxième chambre du Parlement, s’est à nouveau adressé aux élus pour livrer les priorités de la nouvelle feuille de route du gouvernement. Le souverain a réclamé une « réflexion d’envergure nationale ».
Pour Mohammed VI, l’effort doit avant tout porter sur la jeunesse, « vrai capital » et « richesse inépuisable » du pays. Il a aussi appelé à une réforme de l’administration, une constante dans ses discours ces dernières années. Ce « nouveau modèle de développement » ne doit pas se limiter à un recensement des politiques sectorielles, prises de façon isolée, mais doit au contraire être le résultat d’une vision intégrée alliant le modèle politique économique et social du Maroc avec le système de gouvernance centrale et territoriale.
Métallurgie, chimie, pharmacie, agroalimentaire : les secteurs prioritaires
« Le Maroc souffre d’une élaboration de la décision qui prend beaucoup de temps et d’une exécution qui n’est pas optimale. Nous n’avons pas eu cette capacité à fédérer les différents départements ministériels. Ce n’est pas suffisamment collaboratif, et, de facto, ça devient très peu inclusif », reconnaît le banquier Ahmed Rahhou, président de la commission des affaires économiques et des projets stratégiques au Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Le dirigeant estime que, pour amener plus de cohérence aux prises de décisions, en plus des ministères il faut davantage consulter les représentants syndicaux et patronaux. Mais encore faut-il que ces organes renforcent leur légitimité, estime-t-il, souhaitant que la reconnaissance de leur représentativité puisse être inscrite dans la loi.
« Il n’y a que l’industrie qui puisse sauver le Maroc. Historiquement, c’est comme cela que les économies se sont développées », martèle Mohamed Berrada
Pour doper la croissance du pays, il faudra surtout mettre un terme à sa dépendance vis-à-vis de l’agriculture. « Il n’y a que l’industrie qui puisse sauver le Maroc. Historiquement, c’est comme cela que les économies se sont développées », martèle Mohamed Berrada. Un avis partagé par le Cese dans son dernier rapport. « Il n’y a aucun pays qui soit sorti du sous-développement sans l’industrie. C’est une réalité. Ce n’est pas parce que sa valeur ajoutée est énorme, c’est plus grâce à son effet d’entraînement extrêmement fort sur le reste de l’économie », analyse Ahmed Rahhou.
Parmi les secteurs prioritaires, l’économiste identifie notamment la métallurgie, la chimie, la pharmacie et surtout l’agroalimentaire. « La transformation des produits agricoles au Maroc est à un niveau très bas. Ce type d’industrie peut être un réel relais de croissance. Il permettra la création d’emplois dans des zones éloignées, car les usines sont généralement proches des sites de production », justifie-t-il.
Améliorer la formation
Du côté de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), on voit également dans le message du roi un appel à une libéralisation accrue pour renforcer la compétitivité du secteur privé. « Le système fiscal doit taxer la consommation et le profit, pas le travail et la production comme c’est le cas actuellement », espère Hakim Marrakchi, industriel et membre de la CGEM. Autant de questions prioritaires, auxquelles nos interlocuteurs ajoutent la nécessité d’améliorer le niveau des formations générales et professionnelles dispensées.
Selon les chiffres repris par l’OCDE dans son analyse de l’économie marocaine dévoilée en juillet 2017, 60 % des actifs n’ont aucun diplôme. La formation des compétences se trouve au cœur des défis nationaux. L’enseignement secondaire peine à se généraliser. Mais il est essentiel de mettre les cursus en adéquation avec la demande de compétences des acteurs de l’économie, insiste Juan Ramon De Laiglesia.
Alors que toute la société marocaine semble agitée par ce débat essentiel sur l’économie nationale, le silence du gouvernement en dit cependant long sur sa difficulté à définir un nouveau modèle de développement. Malgré nos demandes, aucun ministre n’a souhaité répondre à nos questions.
Polémique sur les chiffres de l’emploi
Depuis le début du règne de Mohammed VI, les gouvernements successifs ont lancé une douzaine de plans sectoriels, du tourisme à l’agriculture en passant par l’industrie et les énergies renouvelables, avec toujours comme priorité la création d’emplois. « On sentait une certaine surenchère avec souvent des objectifs démesurés. L’échec de nos politiques sectorielles commence là », rapporte un ancien ministre.
En 2014, Moulay Hafid Elalamy (MHE), ministre de l’Industrie, fraîchement nommé, a par exemple promis la création de 500 000 emplois grâce à son Plan d’accélération industrielle prévu pour s’achever en 2020. Les derniers chiffres du Haut-Commissariat au plan estiment son impact à seulement 7 000 postes en 2017, et à 10 000 en moyenne les deux années précédentes.
Ce bilan est néanmoins contesté par MHE. Le 22 mars, s’appuyant sur des chiffres de la direction générale des impôts et de la caisse nationale de sécurité sociale, il assure pouvoir tenir son objectif. Selon lui, 46 036 emplois auraient été créés en 2017.
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