« Black Panther » : une allégorie dans l’air du temps
Avec son blockbuster « Black Panther », Marvel ne fait pas œuvre de philanthropie en mettant en scène la part lumineuse de l’héritage africain, il s’en fait l’écho parce que les temps s’y prêtent, analyse la romancière Hemley Boum.
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Hemley Boum
Romancière camerounaise, Grand prix littéraire d’Afrique noire
Publié le 30 mars 2018 Lecture : 5 minutes.
« Black Panther » : pourquoi l’Afrique en est-elle si fière ?
La dernière production Marvel-Disney, « Black Panther », est une aventure de science-fiction entièrement confectionnée dans les studios numériques hollywoodiens. Son extraordinaire succès n’était pas prévisible. Il en dit long sur la soif de reconnaissance des Noirs du monde entier.
Tribune. La probabilité pour qu’un pays africain richissime évolue en toute discrétion dans un voisinage de relative pauvreté sans partager de frontière avec quiconque est inexistante. Un pays africain riche de son sous-sol, de ses hommes et de sa technologie vivant en autarcie ? Allons bon !
Tous ces siècles de tourments pour le reste d’entre nous et, pour eux, pas un esclavagiste oriental ou occidental en goguette ? Pas de missionnaire arrivé exsangue, la Bible à la main, les belles paroles sur le salut de chaque âme masquant un bataillon surarmé bien décidé à « découvrir » le Wakanda comme Colomb l’Amérique ?
Le Seigneur des anneaux, allégorie du combat mondial contre les forces nazies ?
Même dans l’hypothèse saugrenue où l’avidité impérialiste n’aurait pas repéré cet improbable eldorado, comment aurait-il pu échapper à ses voisins dans le besoin ? Aucun Africain riche ne se dérobe durablement aux sollicitations de la famille proche ou lointaine. Pas de frère de langue et de coutume dont les Wakandais seraient arbitrairement séparés par des frontières artificielles et poreuses ? Pas de cousins à plaisanterie ?
Alors oui, il s’agit d’une science-fiction de première catégorie dans le fond et dans l’ambition, d’un blockbuster américain destiné à s’adapter à un marché hétéroclite et à rapporter beaucoup d’argent. Pas d’un film d’auteur porteur d’un message transcendantal.
Mais parlons de Tolkien, par exemple, son livre Le Seigneur des anneaux paraît au milieu des années 1950 après les traumatismes de la Première puis de la Deuxième Guerre mondiale. Personne ne pense sérieusement qu’hommes, elfes, Hobbits magiciens et autres personnages de la mythologie celtique s’allient pour contrarier Sauron dans son monstrueux projet de soumettre et de dominer le monde.
Les blockbusters américains ne sont pas réputés pour leur finesse, mais ils disent l’air du temps
Malgré tout, Le Seigneur des anneaux est un chef-d’œuvre de la littérature du genre, « un conte de fées pour adultes, dira l’auteur, écrit pour amuser, dans le sens noble du terme […], pour être agréable à lire ». Le récit détaillé, fantastique est truffé de références et de personnages hors-sol, et l’intrigue est assez banale.
On y parle du triomphe de l’amitié, du courage, de l’amour sur la dictature et les forces du mal. Une fiction, vous disais-je, et pourtant des générations de lecteurs y verront une allégorie remarquable du combat mondial contre les forces nazies. Et le monde entier s’émouvra lorsque Peter Jackson en fera une adaptation cinématographique à la hauteur du livre.
Dans Black Panther, les Noirs sont des titans invaincus, des Antée revisités qui n’auraient jamais perdu pied
Les blockbusters américains ne sont pas réputés pour leur finesse, mais ils disent l’air du temps et s’y adaptent avec l’efficacité que confère la recherche d’un profit commercial maximal.
Un public prêt à payer pour des utopies qui lui ressemblent
Il existe dans la mythologie grecque et berbère un roi nommé Antée, fils de Gaïa, la Terre mère, et de Poséidon, dieu de la mer. Antée tire sa puissance de son contact physique avec la Terre, sa mère. Tant qu’il a les pieds sur terre, en substance, Antée est invincible ; séparé d’elle, il perd toute force et devient une proie facile. Héraclès vaincra Antée en inventant un stratagème pour le soulever du sol.
Dans Black Panther, les Noirs sont des titans invaincus, des Antée revisités qui n’auraient jamais perdu pied. Il s’agit du premier film de ce type issu de la grande Mecque du cinéma, distribué dans le monde entier et dans toutes les métropoles africaines à des prix oscillant entre 2 et 6 euros. Le succès était espéré, il sera fulgurant : les salles de cinéma d’ordinaire désertées à Douala, à Lagos ou à Abidjan sont combles.
Il met en scène l’Afrique, un continent dont le portrait dégradé n’existe dans l’imaginaire et la fiction qu’à travers un prisme misérabiliste
Depuis des semaines, le film truste les réseaux sociaux. Les communautés noires aux États-Unis, en Amérique latine, en Europe et dans les Caraïbes l’ont abondamment commenté. Grâce à la puissance financière et à la méthodologie parfaitement huilée qui est sa marque de fabrique, l’industrie du cinéma a soigné sa performance : les références communautaires, les clins d’œil historiques, la communication et une intrigue à la portée de tous. Sauf que, pour la première fois, elle met en scène l’Afrique : un continent dont le portrait dégradé n’existe dans l’imaginaire et la fiction qu’à travers un prisme misérabiliste et qui, pour certains, doit encore faire face à un défi « civilisationnel ».
Sauf que dans la chair de chaque Noir sur cette terre existent les stigmates d’une histoire qui empuantit le présent, le manque désespéré d’un lopin de terre promise ainsi que la nostalgie d’un autrement qu’il ose à peine rêver. Obéissant au miroir déformant que leur tend le monde, les Noirs s’identifient trop souvent à ces flétrissures, négligeant la force, mais aussi la vulnérabilité, l’opiniâtreté et l’espoir forgés dans des décennies de luttes pour la dignité dont elles sont le ferment.
Marvel ne fait pas œuvre de philanthropie en mettant en scène la part lumineuse de l’héritage africain ; il s’en fait l’écho parce que les temps s’y prêtent. Après les succès oscarisés de Lupita Nyong’o et de Viola Davis, le film Black Panther est le signe qu’un public noir, transversal, mondial commence à être pris en compte dans l’industrie hollywoodienne. Une niche constituée de personnes jusqu’ici laissées pour compte, désormais prêtes à payer pour des utopies qui leur ressemblent.
L’action du film se déroule dans une Afrique mythifiée, orgueilleuse, au centre de son univers et non en périphérie d’autres mondes
Car il s’agit bien d’un film à gros budget réalisé par un Noir, avec un casting presque exclusivement composé de Noirs, dont l’action se déroule dans une Afrique mythifiée, orgueilleuse, au centre de son univers et non en périphérie d’autres mondes.
Au-delà de l’Afrique, peut-être aussi l’idée d’une société idéale où la féminité serait inspirante et sans entrave, où la technologie avant-gardiste, sous l’influence d’une spiritualité ancienne, éprouvée et non prosélyte, serait l’instrument du bien-être de tous, où le monarque devrait se débarrasser de ses « super-pouvoirs » avant d’affronter les candidats à sa succession dans un combat équitable… De la science-fiction, vous disais-je.
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« Black Panther » : pourquoi l’Afrique en est-elle si fière ?
La dernière production Marvel-Disney, « Black Panther », est une aventure de science-fiction entièrement confectionnée dans les studios numériques hollywoodiens. Son extraordinaire succès n’était pas prévisible. Il en dit long sur la soif de reconnaissance des Noirs du monde entier.
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