Le temps des dictateurs élus

Nous critiquons nos dirigeants suprêmes lorsqu’ils accaparent le pouvoir et refusent de le quitter. Continuerons-nous à le faire avec la même liberté dès lors que leur exemple est suivi par le nouveau timonier chinois ? Pourquoi ce qui semble bon pour la grande Chine serait-il mauvais pour nos petits pays ?

Le président russe Vladimir Poutine (gauche), et le président turc Recep Tayyip Erdogan posent pour une photo lors de leur rencontre au palais présidentiel d’Ankara (Turquie), le 11 décembre 2017 © Alexei Druzhinin/AP/SIPA

Le président russe Vladimir Poutine (gauche), et le président turc Recep Tayyip Erdogan posent pour une photo lors de leur rencontre au palais présidentiel d’Ankara (Turquie), le 11 décembre 2017 © Alexei Druzhinin/AP/SIPA

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Publié le 30 mars 2018 Lecture : 5 minutes.

Édito. Si, comme moi, vous pensiez que notre continent n’exporte que ses matières premières et les produits de son sous-sol, alors détrompons-nous ! La Chine elle-même, vieille nation et grande puissance, vient d’importer d’Afrique un savoir-faire qui porte la marque de cette dernière. Xi Jinping, président de cet immense pays et secrétaire général du parti communiste qui le gouverne, a récemment fait modifier la Constitution pour exercer ces fonctions aussi longtemps que ses forces le lui permettront. Ce faisant, il a pris exemple sur maints chefs d’État africains et demeure, comme eux, dans la « légalité ».

Pourquoi ce qui semble bon pour la grande Chine serait-il mauvais pour nos petits pays ?

Nous critiquons nos dirigeants suprêmes lorsqu’ils accaparent le pouvoir et refusent de le quitter. Continuerons-nous à le faire avec la même liberté dès lors que leur exemple est suivi par le nouveau timonier chinois ? Pourquoi ce qui semble bon pour la grande Chine serait-il mauvais pour nos petits pays ?

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Ni démocratie, ni dictature

Les élections en Afrique sont loin d’être parfaites ; les remporte celui qui sait mieux que ses concurrents utiliser la sociologie tribale de son pays et pratiquer l’art de tricher sans exagérer.

Les observateurs internationaux dont il a accepté la présence relèvent certes quelques anomalies mais le déclarent néanmoins élu. L’écart de voix entre lui et ceux qui lui contestent le poste est si important qu’il est réellement élu pour avoir su rassembler sur son nom une majorité d’électeurs.

Ce n’est évidemment pas la démocratie, car les candidats ne disposent pas des mêmes moyens, pas plus qu’il n’existe les contre-pouvoirs que sont une justice indépendante, une presse libre et la vraie possibilité d’alternance. Mais ce n’est pas non plus la dictature puisque nos présidents sont élus et réélus. Sur ce plan aussi, l’Afrique a fait école.

Tour d’horizon des « dictateurs élus »

La Chine est un cas à part car elle vit depuis près de soixante-dix ans sous la férule d’un parti unique, qui l’a tout de même réunifiée et développée. D’autres pays sont, eux aussi, gouvernés par des dictateurs élus.

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La Russie, grande puissance mondiale par la superficie, la population et le niveau de la recherche scientifique, ne vient-elle pas de réélire triomphalement Vladimir Poutine, qui est à sa tête depuis dix-huit ans ? La Turquie n’a-t-elle pas pour guide suprême depuis le début de ce siècle un dictateur élu ?

Il y a tout juste sept ans, nous avons pensé que le « Printemps arabe » allait balayer l’un après l’autre les dictateurs, élus ou non, qui régnaient alors sur la quasi-totalité des pays arabes. Il en a abattu trois, qui sont d’ailleurs africains : Ben Ali, Kadhafi et Moubarak. Leurs pays sont-ils devenus pour autant des démocraties ?

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>>> À LIRE – Que reste-t-il des printemps arabes ?

La Tunisie n’est plus une dictature. Est-elle pour autant bien gouvernée ? Peu de gens le pensent, et un acteur-observateur aussi avisé que l’expert économique Radhi Meddeb l’écrit :

« En Tunisie, la pratique démocratique est récente et encore balbutiante. […] La plupart des partis politiques n’ont donc ni tradition de réflexion, ni think tanks à leurs côtés pour les alimenter en idées et les enrichir de propositions. Leurs préoccupations sont ailleurs : occuper la scène, recruter, gérer les luttes internes et les échéances électorales. […] La société tunisienne traverse une crise morale et de valeurs. Elle n’a plus autant de respect que par le passé pour ceux qui réfléchissent. Elle n’en a, globalement, que pour ceux qui gagnent de l’argent. Peu importe, d’ailleurs, comment ils y arrivent ! […] Tôt ou tard, l’anachronisme tunisien devra cesser. En Europe, l’âge médian est de 41 ans, nous voyons arriver au pouvoir de plus en plus de dirigeants autour de cet âge et même plus jeunes encore dans certains cas. En Tunisie, l’âge médian n’est que de 31 ans. Ce serait dans l’ordre des choses qu’un jeune trentenaire ou quadragénaire, homme ou femme, s’impose et conduise le pays vers un destin meilleur. »

L’Égypte a renversé, en février 2011, un vieux général usé par trente ans de pouvoir et sous le règne duquel le pays a lentement régressé. Par qui les Égyptiens l’ont-ils remplacé ? Par un maréchal plus jeune et plus frais mais qui pense que son pays n’est pas mûr pour la démocratie et qui, au lieu de l’y préparer, l’en éloigne. Réélu ce mois-ci, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi persévérera dans une dictature encore moins acceptable que celle de ses prédécesseurs, militaires tous les trois.

>>> À LIRE – Présidentielle en Égypte : réélection assurée pour Abdel Fattah al-Sissi

La Libye : Mouammar Kadhafi en a fait, pendant plus de quarante ans, sa propriété et celle de ses enfants. Soutenue par l’étranger, l’insurrection de 2011, que le dictateur a sous-estimée, a fini par le déboulonner. Il a fui la capitale mais a été rattrapé, lynché et assassiné. Sa Jamahiriya a implosé, et le semblant d’unité de la Libye a volé en éclats.

Signe d’un « retour à la case départ », la réapparition sur la scène politique de Seif el-Islam Kadhafi, fils de son père et qui estime à son tour que son heure est revenue.

Pourquoi ne serait-il pas le président de la malheureuse Libye ? Le livre de Philippe Bohn, Profession : agent d’influence, que j’ai cité ici la semaine dernière, rappelle ce qu’a été Mouammar Kadhafi et ce que pourrait être son fils.

« Kadhafi s’est illustré par un destin extravagant, qui l’a conduit des nobles idéaux de la révolution à une dictature souvent sanguinaire et impitoyable. […] Par ses foucades et le côté imprévisible de son action, la brutalité de son pouvoir avec des centaines d’opposants emprisonnés et des exécutions parfois même retransmises à la télévision, le dirigeant libyen épuise toutes les patiences. […] Saïf al-Islam ? Il s’est vu attribuer pour mentors Moussa Koussa et Abdallah Senoussi, les deux maîtres espions du régime. […] Pour fêter ses trente-six ans, il a choisi la baie de Saint-Tropez, avant une escale à Monaco. […] Le yacht de luxe RM Elegant, loué pour l’occasion à 500 000 euros la semaine, dépasse les 70 mètres de long. À bord ont été invitées les plus jolies filles de Saint-Trop, une brochette de milliardaires et d’hommes d’affaires, des Russes, des Indiens, des Italiens, des Anglais, des Américains. »

Pauvre Libye et pauvre Afrique : nous n’exportons pas ce que nous avons de mieux

Pauvre Libye et pauvre Afrique : nous n’exportons pas ce que nous avons de mieux. En passant du général Hosni Moubarak au maréchal Abdel Fattah al-Sissi, l’Égypte est revenue à la case départ. Quant à la Libye, que gagnerait-elle si un jour elle passait de Kadhafi à Kadhafi ?

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