Gabon : Magloire Ngambia dans la gueule du Mamba

Pris dans les filets de l’opération anticorruption, Magloire Ngambia attend son procès, qui devrait bientôt s’ouvrir à Libreville. Depuis la prison, l’ancien ministre jure n’être qu’un bouc émissaire. Portrait d’un homme dont l’ascension fut aussi rapide que la chute.

Magloire Ngambia, en 2010 au siège du FMI. © REUTERS/Jonathan Ernst

Magloire Ngambia, en 2010 au siège du FMI. © REUTERS/Jonathan Ernst

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Publié le 11 avril 2018 Lecture : 7 minutes.

Nous sommes le 10 janvier 2017. Sur les rives de l’estuaire de Libreville, une fois n’est pas coutume, on parle peu politique. Certes, la victoire d’Ali Bongo Ondimba (ABO) à la présidentielle est toujours contestée par l’opposition, et Jean Ping ne désarme pas. Mais les Gabonais s’apprêtent à accueillir la Coupe d’Afrique des nations. Ils espèrent que leurs Panthères y réaliseront un exploit.

Magloire Ngambia, conseiller à la présidence, a d’autres soucis. Voilà des mois qu’il se sait menacé. Il ne reçoit plus à son domicile que les visiteurs ayant montré patte blanche à ses gardes. Et l’ancien ministre est au bord du gouffre. Écarté du gouvernement en 2015, il n’a été nommé au Palais du bord de mer que pour sauver les apparences. Il n’y gère que peu de dossiers, et les critiques pleuvent.

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Lourdes accusations

Son implication dans la réélection d’ABO a été jugée faible. Ancien cadre de la Beac, il s’est pourtant chargé de faciliter les contacts entre les équipes du président et ses homologues de la région, notamment le Tchadien Idriss Déby Itno et l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, plutôt favorables à Jean Ping. Mais dans l’entourage du chef de l’État, certains le jugent trop ambitieux. Enfin, son image est écornée par plusieurs affaires financières dans lesquelles son nom a été cité depuis 2013.

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Et ce 10 janvier 2017, le couperet tombe. Magloire Ngambia est incarcéré à la prison centrale de Libreville, surnommée Sans famille. Quinze mois plus tard, il y croupit toujours, parmi les cibles de l’opération anticorruption Mamba, et attend de répondre d’accusation de détournements de fonds publics – on parle de plus de 750 millions d’euros – et de corruption passive, dans des dossiers de construction de logements et de routes notamment liés à l’homme d’affaires italien Guido Santullo, devant la Cour criminelle spéciale. Celle-ci juge depuis le 15 mars le premier accusé de Mamba, Blaise Wada, et se penchera sur le cas de Ngambia entre mi-avril et mi-mai.

Une ascension fulgurante

Magloire Ngambia s’est-il brûlé les ailes à vouloir voler trop près du pouvoir gabonais ? Si sa chute s’annonce vertigineuse, son ascension a été fulgurante. Fils de diplomate né le 2 avril 1971 à Mounana, dans ce Haut-Ogooué acquis aux Bongo, il a passé son enfance entre le Gabon, la RD Congo et la Roumanie, au gré des postes de son père, conseiller en ambassade. Lycéen dans la capitale gabonaise aux côtés d’Yves Fernand Manfoumbi (futur ministre de l’Agriculture finalement limogé le 20 février dernier), puis étudiant en sciences économiques à l’université Omar-Bongo, il fait ses armes de banquier à l’Institut national des sciences de gestion du Gabon.

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C’est donc tout naturellement qu’il tente le concours d’entrée à la Beac, en 2002. Une réussite. Le jeune diplômé intègre l’institution et en gravit les échelons à Yaoundé. « Premier arrivé le matin, dernier parti le soir », selon un ancien camarade, il devient le premier de sa promotion à atteindre le grade de directeur adjoint, au département des investissements, en 2007. Il gère les projets immobiliers de la Beac et supervise notamment la construction de son siège de Libreville. Peu le connaissent.

Nomination surprise

En 2009, à la mort d’Omar Bongo Ondimba, tout s’accélère. Son fils Ali accède à la présidence. Il est urgent pour lui d’installer ses hommes dans les sphères du pouvoir, notamment aux finances. Le nom d’Henri-Claude Oyima, PDG de BGFIBank, circule pour le ministère de l’Économie. Celui-ci refuse le poste mais suggère de nommer Magloire Ngambia, sur proposition d’Yves Fernand Manfoumbi, évoluant alors à la Direction générale du budget.

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Pour beaucoup, c’est une surprise. Régis Immongault, conseiller du ministre sortant, Blaise Louembe (un proche de Pascaline Bongo écarté et nommé au Budget et aux Comptes publics), voit ainsi le portefeuille lui passer sous le nez et doit se contenter de celui de l’Énergie et des Ressources hydrauliques. Il lui faudra attendre octobre 2014 pour finalement obtenir le ministère convoité.

Peu loquace, parlant rarement et « faisant tout pour passer inaperçu », selon un ancien collègue au gouvernement, Magloire Ngambia se fond mal dans le paysage politique. « Lors d’une réunion, il va s’asseoir au fond de la salle en attendant la fin et se soucie peu de se montrer », confie un proche.

Il était très proche de Maixent, à tel point qu’on se disait qu’il ne décidait rien tout seul, précise un ministre de l’époque

En 2009, le nouveau ministre, rapatrié de Yaoundé à Libreville, détonne d’autant plus qu’il n’a pas participé à la campagne pour l’élection d’ABO. Les anciens barons d’Omar Bongo Ondimba ne l’acceptent que de mauvaise grâce… Mais le président est rassuré par ce jeune Téké d’Akiéni (Haut-Ogooué) qu’il considère comme un petit-cousin du fait de sa proximité avec sa mère, l’ancienne première dame Patience Dabany. Il l’apprécie de plus en plus et en fait même son filleul en franc-maçonnerie au sein de la Grande Loge du Gabon, qu’il dirige.

Début 2012, Magloire Ngambia est promu : il prend la tête d’un superministère de la Promotion des investissements, des Transports, des Travaux publics, de l’Habitat, du Tourisme et de l’Aménagement du territoire. Plus personne ne doute de sa puissance au Palais. Il fait partie du premier cercle du chef de l’État, aux côtés de trois hommes : Yves Fernand Manfoumbi, directeur général du budget, Liban Soleman, chef de cabinet d’ABO, et Maixent Accrombessi, directeur du cabinet. Rien ne se passe alors sans qu’un de ces fidèles soit consulté. « Il était très proche de Maixent, à tel point qu’on se disait qu’il ne décidait rien tout seul », ajoute un ministre de l’époque. Mais des nuages commencent à s’amonceler.

Nombreux ennemis

Le nom de Magloire Ngambia apparaît dans plusieurs affaires de malversations financières supposées. Surtout, il se fait des ennemis. Dans le Haut-Ogooué et au Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) d’abord : ABO en fait la tête de liste pour les municipales à Akiéni, fief de Patience Dabany, qui le soutient ouvertement.

Des poids lourds régionaux du parti grincent des dents : Ernest Mpouho Epigat, ministre de la Défense, Ali Akbar Onanga Y’Obegue, secrétaire général adjoint du gouvernement, et Jean-Pierre Oyiba, éphémère directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba et candidat à Franceville. « On le considérait comme un parvenu », explique un de ses anciens collaborateurs.

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Est-ce le soutien de l’ancienne première dame qui va précipiter sa chute ? En cette année 2013, la toute-puissance de Maixent Accrombessi agace, notamment dans le Haut-Ogooué, où l’on considère qu’un fils de la région devrait le remplacer. Ali Akbar Onanga Y’Obegue joue sa carte personnelle.

Mais le nom de Magloire Ngambia, « quelqu’un de très respectueux et de bien élevé », se souvient un ancien collègue, est le plus sérieux. Patience Dabany va jusqu’à l’évoquer personnellement, et fermement, auprès de son fils. Elle n’obtient pas gain de cause. « Maix » est maintenu. Ngambia, lui, commence à s’inquiéter, d’autant que sa relation avec le Premier ministre Raymond Ndong Sima est, au mieux, délicate.

Bouc émissaire idéal ?

« Dès 2013, il savait qu’il allait être limogé », confie un proche. En 2014, il perd une partie de son ministère – la Promotion des investissements. Un premier message. Le 11 septembre 2015, il est débarqué. Nommé conseiller à la présidence, où le cabinet et le secrétariat général dirigé par Étienne Massard Kabinda Makaga ne lui sont guère favorables, il semble faire de la figuration. « Maixent Accrombessi ne lui confiait aucun dossier d’importance », se souvient un proche. Il est peu à peu mis à l’écart, d’autant que l’affaire Santullo prend de l’ampleur.

S’il a fait des choses pas nettes, il ne les a sans doute pas faites seul

Alors que l’homme d’affaires italien réclame à l’État gabonais des centaines de millions d’euros, Magloire Ngambia, qui a chapeauté les contrats de construction de routes, fait face aux soupçons. De plus en plus, il confie à ses visiteurs son inquiétude.

Mi-2016, il est persuadé que ses jours de liberté sont comptés, ce qui se confirmera le 10 janvier 2017. Depuis, l’ancien ministre ne s’est guère exprimé. Ce qui n’est pas le cas de ses défenseurs. « Aucune preuve n’a été produite », affirme l’un d’eux. « L’accusation semble se baser sur un témoignage mais n’a pas prouvé la corruption », ajoute-t‑il.

Surtout, Ngambia est, pour eux, le bouc émissaire idéal. « On parle de violations des procédures d’attribution des marchés. Mais pour passer des marchés de gré à gré, comme cela a été le cas, il a fallu des autorisations au ministère de l’Économie, au budget, à la primature, voire à la présidence, vu les montants en jeu », explique un soutien de l’ancien ministre. « Son erreur, c’est d’avoir accepté le jeu politique qui allait avec ses portefeuilles. Cela a fini par le perdre », confie un proche. Et un ancien ministre de conclure : « S’il a fait des choses pas nettes, il ne les a sans doute pas faites seul… » À la justice, désormais, d’en décider.

Compagnon de cellule

Limogé de son poste de ministre du Pétrole et des Hydrocarbures le 9 janvier 2017, avant d’être placé en détention trois jours plus tard pour un présumé détournement de fonds, Étienne Dieudonné Ngoubou attend lui aussi son procès devant la Cour criminelle spéciale.

Celui-ci aura lieu peu après celui de Magloire Ngambia. Ancien directeur de l’Énergie, il se voit reprocher des irrégularités dans la gestion de l’argent public destiné aux travaux hydrauliques.

Trop riche pour être malhonnête ?

Selon un procès-verbal daté du 30 mai 2017, dont JA a obtenu copie, Magloire Ngambia a déclaré au juge d’instruction : « En ma qualité de ministre et avec un salaire de 500 millions de F CFA [plus de 760 000 euros] par mois, j’avais les moyens de me construire une maison. »

Une somme mirobolante qui, à l’en croire, le mettait à l’abri de la tentation…

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