Simone Gbagbo : y a-t-il une vie après la prison ?

Toujours détenue, Simone Gbagbo suit avec attention les querelles qui déchirent son parti, le FPI, et rêve du jour où elle pourra de nouveau jouer un rôle. Sept ans après sa chute, l’ex-première dame n’a pas dit son dernier mot.

À la cour d’assises d’Abidjan, en octobre 2016. © SIA KAMBOU/AFP

À la cour d’assises d’Abidjan, en octobre 2016. © SIA KAMBOU/AFP

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Publié le 9 avril 2018 Lecture : 6 minutes.

Située au cœur d’Abidjan, l’école de gendarmerie accueille une prisonnière un peu particulière. Pour lui rendre visite, il faut montrer patte blanche auprès de l’administration et traverser l’enceinte verdoyante. Au fond à gauche, coupée du monde extérieur par un large mur, une petite maison divisée en deux appartements. Dans le premier, un officier de l’armée ivoirienne. Dans le second, Simone Gbagbo, l’ancienne première dame ivoirienne condamnée à vingt ans de prison en mars 2015 pour « attentat contre l’autorité de l’État, participation à un mouvement insurrectionnel et trouble à l’ordre public ».

Acquittée en mars 2017 des charges de crime contre l’humanité et de crime de guerre, elle attend désormais un ultime procès pour crimes économiques dont la procédure est au point mort et une possible amnistie. Et commence à trouver le temps long. Ces derniers mois, Simone Gbagbo a exprimé avec une certaine insistance son désir de sortir de prison.Paradoxalement, son procès lui avait offert un quotidien moins monotone : sortir, être transférée à la cour d’assises d’Abidjan, apercevoir les têtes familières des amis venus la soutenir… Aujourd’hui, c’est terminé. La détenue la plus célèbre de Côte d’Ivoire franchit rarement le pas de sa porte, mais garde l’intime conviction qu’un avenir l’attend à sa sortie.

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Une détention pas comme les autres

Ses conditions de détention n’ont certes rien de celles d’une prisonnière lambda. Dans son appartement d’un peu moins de 50 m², un salon (très sobre mais équipé d’une télévision), une cuisine et une chambre. Mais cela n’a rien à voir avec ce qu’elle a connu à Odienné, dans le nord-ouest du pays, où elle fut placée en résidence surveillée d’avril 2011 à décembre 2014.

Là-bas, aux confins de la Côte d’Ivoire, dans la ville natale de la mère du président Alassane Ouattara, Simone Gbagbo avait de l’espace pour courir, une maison à étage et un jardin avec des manguiers, où elle élevait des lapins. Elle y parlait le dioula avec les hommes du commandant Lanciné Konaté, le chef de la sécurité de la ville, et apprenait à lire aux enfants du gardien de sa maison, dans le quartier Hêrêmankono. Ses proches affirment même qu’elle a payé pour leur scolarité – ses indemnités d’ancienne parlementaire lui étant encore versées par le gouvernement, quoique irrégulièrement.

Elle a tant maigri qu’on a cru qu’elle était tombée malade, raconte son ami Innocent Akohi

À l’école de gendarmerie, plus de jardin ni de voisins. Une jeune fille est quotidiennement à ses côtés, préparant notamment ses repas, et sa sœur Claudine Ehivet Ouattara, est son premier soutien. Elle est la seule dont les visites sont facilitées par le procureur de la République. Début février, d’inquiétantes rumeurs sur l’état de santé de la prisonnière ont fait trembler les réseaux sociaux. Malgré le démenti de ses avocats, la question demeure sensible. « Elle va très bien et n’a rien perdu de ses capacités intellectuelles », assure son ami Innocent Akohi.

Reste que Simone Gbagbo vieillit. À 68 ans, elle ressent le poids des années de lutte. Un radiologue, Casimir Gogoua Gbazi, autrefois proche de Laurent Gbagbo, et un neurologue, Bali Zézé, veillent sur elle. Mais son dos la fait souffrir et, diabétique, elle suit depuis plus d’un an un régime très strict. « Elle a tant maigri qu’on a cru qu’elle était tombée malade », raconte Innocent Akohi.

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Des ambitions politiques tenaces

Ces dernières années n’ont fait que renforcer sa foi évangélique. En prison, l’ancienne première dame prie beaucoup, lit l’Ancien Testament et de la documentation religieuse. Des pasteurs, ivoiriens ou étrangers, lui rendent parfois visite. « La religion l’a aidée à comprendre et à analyser son histoire politique ainsi que les erreurs qu’elle a pu commettre, avec ou sans son mari, raconte l’un d’eux. Depuis son séjour à Odienné, son discours a évolué. Elle dit être dans une logique différente et n’avoir plus aucune animosité. »

Simone Gbagbo n’éprouve donc plus de rancœur, mais elle a encore des ambitions. Et elle a beau avoir confié depuis longtemps son destin au Seigneur, elle n’entend pas rester les bras croisés. La politique reste au centre de ses préoccupations. Les principaux dirigeants du Front populaire ivoirien (FPI), parti qu’elle a fondé avec Laurent Gbagbo et Aboudramane Sangaré au début des années 1980, ne sont pas autorisés à la voir, mais de nombreux secrétaires nationaux et membres du comité central lui rendent visite.

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Le FPI à l’agonie

Comme son mari, incarcéré à La Haye depuis 2011, elle sait utiliser les uns ou les autres pour faire passer des messages. Malgré tout, Rodrigue Dadjé, son avocat, continue de se battre pour que soient élargis ses droits de visite : « Comment accepter que des Ivoiriens ne puissent pas voir un autre Ivoirien en prison, alors que, même à la Cour pénale internationale, Laurent Gbagbo peut recevoir des personnalités politiques ? Des députés ont voulu s’entretenir avec ma cliente, mais la justice le leur a refusé ! »

Il faut dire que le FPI vit une période particulièrement délicate. À l’agonie depuis 2011 – un grand nombre de ses cadres sont emprisonnés ou en exil –, le parti est déchiré par une guerre des clans. D’un côté, Pascal Affi N’Guessan. De l’autre, Aboudramane Sangaré. Simone Gbagbo, qui n’a jamais pardonné au premier d’avoir signé les accords de Marcoussis en 2003, suit tout de cet impitoyable affrontement. Quand Affi N’Guessan a réorganisé le secrétariat général du FPI pour faire le ménage et tourner la page Gbagbo, en juillet 2014, elle a refusé d’occuper le poste de deuxième vice-président qui lui avait été réservé.

Tacticienne née

Quelques mois plus tard, avec l’ancien ministre Assoa Adou, elle plaidera pour la création d’une nouvelle formation politique. Faut-il voir sa main derrière la naissance, en avril 2017, d’une nouvelle coalition de l’opposition, que rejoint le FPI et baptisée Ensemble pour la démocratie et la souveraineté ? Certains, à Abidjan, en sont convaincus et soulignent qu’à ses visiteurs Simone Gbagbo parle beaucoup et depuis plusieurs années de « démocratie » et de « souveraineté »…

Ce n’est un secret pour personne : si elle venait à être libérée, l’ex-première dame reprendrait ses fonctions au FPI et ferait tout pour l’aider à reconquérir ce pouvoir perdu un certain 11 avril 2011. « C’est une tacticienne née et une oratrice formidable, s’enthousiasme un militant. Elle a mis en place un réseau pour préparer sa sortie de prison. Elle connaît les hommes et femmes de son parti et maîtrise les rapports de force. »

Sa sœur Claudine, son directeur de cabinet, Corentin Akpa, ou encore Roland Guibony Sinsin, grand ami du couple Gbagbo et membre du comité central du parti, lui sont d’une aide précieuse. À sa demande, plusieurs quadras devraient bientôt faire leurs premiers pas en politique et intégrer les instances du FPI à l’occasion du congrès prévu en août.

Si elle se retrouve un jour en capacité de prendre le leadership du parti, personne ne pourra ou n’osera l’en empêcher, assure un baron du FPI

Voudra-t-elle en prendre les rênes ? « Quand elle évoque les potentiels candidats à la succession de Sangaré, Simone Gbagbo ne parle jamais d’elle », affirme un intime. En interne en tout cas, l’hypothèse est rarement abordée officiellement. D’abord parce que l’intéressée entretient le flou sur ses ambitions et que parler de la « femme du chef » est toujours délicat, mais aussi parce que les avis sont divisés. Ceux qui estiment que son nom, sa capacité de mobilisation et son charisme en font une personnalité incontournable dans l’optique des prochaines élections s’opposent à ceux qui redoutent une succession quasi dynastique et estiment qu’elle est restée trop longtemps coupée des réalités du pays.

Parmi eux, quelques ambitieux qui se voient déjà sur le devant de la scène et pâtiraient du retour d’une aussi forte personnalité. Dans l’entourage de Simone Gbagbo, on murmure que l’influente Nady Bamba, la deuxième femme de l’ex-président, ne serait pas étrangère à la réticence de certains cadres. « Ces débats sont prématurés tant que Simone demeure en prison, tranche un baron du FPI. Mais si elle se retrouve un jour en capacité de prendre le leadership du parti, personne ne pourra ou n’osera l’en empêcher. »

Aboudramane Sangaré lors de la commemoration de l’arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril 2017 à Abidjan © Olivier / JEUNE AFRIQUE

Aboudramane Sangaré lors de la commemoration de l’arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril 2017 à Abidjan © Olivier / JEUNE AFRIQUE

Bientôt en congrès

La tendance du FPI dirigée par Aboudramane Sangaré  organisera en août un congrès à Moossou, la ville natale de Simone Gbagbo, à 43 km à l’est d’Abidjan. L’événement sera organisé dans la demeure de l’ancienne première dame. Inhabitée et laissée à l’abandon depuis la chute du régime Gbagbo, celle-ci sera réhabilitée pour l’occasion.

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