Eklavya Chandra : « Le riz est notre porte d’entrée vers les consommateurs africains »

Acteur majeur du négoce de produits agricoles, Phoenix Global DMCC réalise un tiers de ses revenus sur le continent. Le groupe entend désormais se développer au-delà de l’import-export. Interview avec le Directeur général, chargé de la division riz.

Ekalavya Chandra © YouTube

Ekalavya Chandra © YouTube

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 11 avril 2018 Lecture : 4 minutes.

Un ouvrier agricole congolais travaille dans une ferme agro-industrielle appartenant au groupe minier Bazzano à proximité de Likasi, troisième ville de la province minière du Katanga, située à 120 km à l’ouest de la capitale provinciale Lubumbashi, en République démocratique du Congo, le 26 février 2015. © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique
Issu du dossier

Agriculture : ambitions et stratégies

Dans ce dossier, Jeune Afrique dresse un panorama du secteur agricole africain. Stratégies, innovations, résultats… Que font les entreprises du continent mais aussi les gouvernements pour améliorer les rendements face aux fluctuations des cours mondiaux ?

Sommaire

Avec des revenus de 2 milliards de dollars (1,6 milliard d’euros) en 2017, l’entreprise installée à Dubaï a doublé ses performances par rapport à 2015. En s’appuyant sur ses importants réseaux de distribution de riz sur le continent, elle projette de se diversifier dans de nouvelles filières, explique son directeur général.

Jeune Afrique : Pourquoi avoir choisi initialement de cibler l’Afrique ?

la suite après cette publicité

Eklavya Chandra : Établis au départ à Bangkok, nous étions bien placés : 90 % du riz vendu sur les marchés internationaux provient d’Asie, et notamment de Thaïlande, l’un des plus gros producteurs mondiaux pour l’exportation. Quant à l’Afrique, la demande y était forte et était parfois laissée de côté par la concurrence. Le Kenya a été notre premier marché africain, puis nous nous sommes diversifiés géographiquement, tant sur l’origine du riz que sur sa destination.

Nous approvisionnons nos clients avec du riz non plus seulement thaïlandais mais aussi vietnamien, indien, pakistanais et même aujourd’hui chinois. Et nos principaux marchés se sont progressivement étendus à l’est. Nous sommes bien implantés au Kenya, bien sûr, mais aussi à Madagascar, en Afrique du Sud et au Mozambique, où nous venons de nous lancer. À l’ouest, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Ghana, le Togo et le Sénégal constituent des marchés importants pour nous.

Environ un tiers de notre chiffre d’affaires est aujourd’hui africain, quasi exclusivement au sud du Sahara

Vous vous êtes ensuite attaqués à d’autres filières que le riz…

En déménageant notre siège à Dubaï début 2015, nous avons pu élargir nos zones d’action sur l’axe Asie-Afrique. Désormais, nous commercialisons aussi des denrées agricoles originaires d’autres régions que l’Asie, en particulier du sucre brésilien, du soja sud-américain, des céréales et des haricots d’ex-URSS – du « grenier à grains » constitué par l’Ukraine, la Russie et le Kazakhstan –, mais aussi des semences agricoles. Certains produits tels que le sucre sont distribués via les mêmes réseaux que ceux constitués pour le riz, notamment en Afrique, ce qui nous a permis un gain logistique et commercial majeur.

la suite après cette publicité

Mais que pèse l’Afrique après cette diversification géographique et commerciale tous azimuts ?

Le continent, qui représentait l’essentiel de notre activité à notre démarrage, reste toujours important : environ un tiers de notre chiffre d’affaires est aujourd’hui africain, quasi exclusivement au sud du Sahara. Notre marque de riz Happy Family y touche près de 200 millions de consommateurs.

La production africaine progresse mais reste insuffisante car, dans le même temps, la consommation du continent croît encore plus rapidement

la suite après cette publicité

Des pays tels que Madagascar ou la Guinée, terres de riz par excellence, n’ont-ils pas les moyens de relancer leur production et de subvenir au moins aux besoins locaux ?

La production africaine progresse mais reste insuffisante car, dans le même temps, la consommation du continent croît encore plus rapidement, ce qui fait que l’écart à combler augmente chaque année. Entre 10 et 15 millions de tonnes de riz sont produites sur le continent chaque année, mais la consommation y a été de 26 millions de tonnes en 2017 du fait de la croissance importante de la population. Le déficit en riz atteint donc 12 à 14 millions de tonnes chaque année, ce qui représente une facture de 5 milliards de dollars aux prix actuels. C’est considérable !

C’est pourquoi, au-delà de nos filières d’import-export, nous essayons d’appliquer en Afrique ce que nous avons réussi en ex-URSS ou en Inde, à savoir conduire des projets agricoles d’envergure. Toutefois, à la différence de ce que nous faisons au Kazakhstan ou en Ukraine, la totalité de notre production locale africaine restera dans le pays d’origine pour combler le déficit. Au Mozambique par exemple, un pays qui exportait jadis sa production de riz, nous venons de signer avec le gouvernement la reprise d’anciennes plantations rizicoles qui ont été laissées en friche pendant plus de vingt ans en raison de la guerre civile.

Dans d’autres filières, notamment celle du sucre, nous ne souhaitons pas devenir des producteurs car les coûts de transformation sont trop importants

Quels sont les autres projets menés sur le continent par Phoenix Global ?

Nous préparons aussi un projet rizicole en Ouganda et un autre de maraîchage au Bénin. Nous regardons d’autres opportunités en Côte d’Ivoire, au Mali, au Sénégal et au Ghana, et d’abord dans la filière riz, dans laquelle nous souhaitons aller le plus loin possible en matière d’intégration verticale. Le riz est le premier produit agricole consommé en Afrique, c’est donc une excellente porte d’entrée dans les cuisines africaines pour y distribuer d’autres produits. Nous regardons aussi les projets agricoles où les pays producteurs peuvent être compétitifs, comme dans les cultures d’avocat, de noix de macadamia, de noix de cajou, de coriandre et d’ail.

Dans d’autres filières, notamment celle du sucre, nous ne souhaitons pas devenir des producteurs car les coûts de transformation sont trop importants : construire une sucrerie nécessite a minima un investissement de 100 millions de dollars. En revanche, nous sommes en pole position pour distribuer du sucre sur le continent, car nous sommes déjà bien introduits dans les réseaux de commercialisation avec notre riz.

L’Asie, tremplin vers l’Afrique

Phoenix Global DMCC a été fondé en 2000 à Bangkok par un groupe de cadres indiens déjà actifs dans le négoce de produits alimentaires mais désireux de voler de leurs propres ailes. Avant de rejoindre Phoenix en 2002, Eklavya Chandra a travaillé chez Olam, naviguant entre son siège à Singapour et le continent africain pendant près de quatre ans, en Ouganda puis au Gabon.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image