Le match de la semaine : Youssef Chahed face à Noureddine Taboubi en Tunisie
Il y a un an, tout se passait bien entre le Premier ministre tunisien et le patron de l’UGTT, principale centrale syndicale du pays. Mais, dégradation de la situation économique oblige, Youssef Chahed et Noureddine Taboubi sont désormais engagés dans un bras de fer social dur.
L’un est le chef du gouvernement ; l’autre, le secrétaire général de la plus puissante centrale syndicale du pays, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Youssef Chahed (42 ans) et Noureddine Taboubi (57 ans) assurent ne se préoccuper que du sort de leurs compatriotes, mais poursuivre un objectif commun ne met pas à l’abri des dissensions. Depuis plusieurs mois, les deux hommes sont même à couteaux tirés.
Tout avait pourtant plutôt bien commencé. En mars 2017, Taboubi a obtenu d’appréciables augmentations de salaires pour le secteur public et pris soin, en contrepartie, de ne pas mettre trop de bâtons dans les roues du gouvernement : le spectre de l’agitation sociale a été provisoirement écarté.
Le syndicaliste n’a pas de mots assez durs pour fustiger l’action du gouvernement.
Un an plus tard, rien ne va plus. La situation économique s’est dégradée et le syndicaliste n’a pas de mots assez durs pour fustiger l’action du gouvernement. « Il est intolérable que l’État ne verse pas de salaires décents et n’offre pas, dans certains cas, de couverture sociale », nous déclarait-il en janvier dernier. Il va jusqu’à demander un remaniement du gouvernement et, à mots couverts, le départ de son chef.
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Péremptoire, Taboubi ? Sans doute, mais il peut se le permettre. Forte de quelque 750 000 adhérents (dont 500 000 dans le secteur public), l’UGTT est un acteur majeur de la scène politique tunisienne. Elle figure parmi les principaux signataires de l’accord de Carthage, qui, en juillet 2016, fixa au gouvernement sa « feuille de route », et, à ce titre, estime avoir un droit de regard sur la gestion des affaires du pays.
Rajeunissement
Pourquoi le torchon brûle-t-il entre Taboubi et Chahed ? Pour deux raisons essentielles. D’abord, la privatisation d’un certain nombre d’entreprises publiques, à laquelle l’UGTT est farouchement hostile. Ensuite, les blocages qui perdurent dans l’enseignement secondaire : en grève pour des revendications salariales, les professeurs refusent de communiquer leurs notes aux élèves.
Toutes choses que Chahed aurait dû anticiper, même si les urgences économiques sont nombreuses. Il avait l’avantage d’être en poste depuis six mois quand, en janvier 2017, Taboubi a pris les rênes de l’UGTT.
L’UGTT avait un temps été sensible à la jeunesse de Chahed, un nouveau venu en politique.
En raison de son âge et de son parcours (il n’est venu à la politique qu’en 2011), le Premier ministre incarnait un certain rajeunissement de la classe dirigeante, et l’UGTT y avait été sensible. Le docteur en agroéconomie (il enseigna, un temps, à l’Institut supérieur d’agriculture, en France) et l’ex-secrétaire général de la Fédération de l’agriculture pour la région du Grand Tunis auraient même pu se trouver des points communs.
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Mais Taboubi est un syndicaliste pur et dur, l’héritier de Farhat Hached et d’Habib Achour, les pères fondateurs de l’UGTT. Et il a pour « son » syndicat de très grandes ambitions : « Nous ne sommes pas, explique-t-il, une organisation dont le seul rôle consiste à revendiquer des augmentations salariales. Nous sommes une organisation nationale et démocrate. »
Il juge que l’équipe Chahed manque de moyens et se trouve cantonnée à la gestion des affaires courantes. « Nous sommes un gouvernement de réformes », rétorque le Premier ministre.
Le syndicaliste semble nourrir davantage de griefs à l’encontre du premier ministre que contre le patronat
Ils sont cependant bien peu à l’entendre, d’autant que le chef de l’UGTT hésite rarement à hausser le ton. « Celui qui osera la jouer fine avec nous n’est pas encore né », gronde-t-il. Curieusement, il semble nourrir davantage de griefs à l’encontre du chef du gouvernement que des représentants du patronat.
Ces derniers sont d’ailleurs, eux aussi, très remontés contre Chahed, qu’ils accusent de vouloir alourdir la fiscalité et de ne pas aller assez vite sur le dossier des privatisations… Pour le Premier ministre, les semaines qui viennent s’annoncent très, très compliquées.
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