Sébastien Ajavon : « Rien ne pourra m’empêcher d’être candidat »

À 53 ans, l’homme d’affaires Sébastien Ajavon, candidat malheureux à la présidentielle de 2016 au Bénin, qui s’était rallié pour un temps à Patrice Talon après son élection, a revêtu le costume d’opposant numéro un. Rencontre.

Sébastien Ajavon. © Charles Placide pour JA

Sébastien Ajavon. © Charles Placide pour JA

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Publié le 17 avril 2018 Lecture : 5 minutes.

Cet entretien a été accordé à Jeune Afrique par Sébastien Ajavon le 31 mars 2018, quelques jours avant le meeting qui a rassemblé les principales forces politiques de l’opposition à Cotonou, samedi 14 avril

Il a longuement mûri sa décision, avant de lancer, le 24 mars, son parti, l’Union sociale libérale (USL), prenant un virage à 180 degrés. Preuve que le contentieux qui l’oppose au chef de l’État depuis novembre 2016 a atteint un point de non-retour. Sous le coup d’un redressement fiscal colossal, inculpé pour faux et usage de faux, le roi du poulet surgelé se dit déterminé à aller jusqu’au bout.

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Jeune Afrique : Pourquoi avoir créé votre propre parti ?

Sébastien Ajavon : À un an des législatives, j’étais le seul au sein de l’opposition à ne pas avoir ma propre structure.

Nous avons encore le temps de construire quelque chose de solide avec les différents opposants

Vous devenez le principal opposant au président Talon. Avez-vous hésité à revêtir ce costume ?

Oui, mais j’ai pris ma décision il y a près d’un an déjà. Nous avons pris le temps de définir les structures de l’USL, de développer notre base militante, et nous discutons avec les autres opposants pour voir si nous pouvons nous rassembler pour les élections… Une opposition, cela se construit.

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Ni Thomas Boni Yayi ni Candide Azannaï, l’ex-ministre délégué à la Défense de Patrice Talon qui a démissionné il y a un an et rejoint le camp adverse, n’ont assisté à la naissance de l’USL. N’y aura-t-il pas de coalition de l’opposition ?

La majorité des membres du bureau politique des FCBE [Forces cauris pour un Bénin émergent, ex-coalition de Boni Yayi]et 80 % des députés de l’opposition étaient présents. Et nous sommes en discussion avec Candide Azannaï. Nous avons encore le temps de construire quelque chose de solide avec les différents opposants.

L’État dit qu’il a récolté 40 % de recettes fiscales de plus que l’ancien régime, mais nous ne voyons pas de nouvelles infrastructures

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Vous avez eu des mots très durs contre la présidence de Patrice Talon, évoquant une « confiscation des libertés et des ressources ». Sur quoi basez-vous vos propos ?

Aujourd’hui, au Bénin, la prison est la règle. Et on limoge des maires qui, comme par hasard, appartiennent tous à l’opposition. Autres problèmes, certains marchés sont surfacturés, et la loi de décentralisation n’est pas respectée. Ce n’est pas une façon de gérer un pays.

Ne faut-il pas laisser du temps au président ?

En deux ans, rien n’a été fait. L’État dit qu’il a récolté 40 % de recettes fiscales de plus que l’ancien régime, mais nous ne voyons pas de nouvelles infrastructures. Les travailleurs sont presque toujours en grève et les gens ont faim. Où va l’argent ?

Que pensez-vous du mandat unique, l’une des promesses phares du candidat Talon ?

Pourquoi empêcher le peuple de réélire quelqu’un qui a bien travaillé ?

Le fisc me réclame désormais 190 milliards !

Le fisc a confirmé que vous deviez régler un redressement de 167 milliards de F CFA (environ 255 millions d’euros). Où en est la procédure ?

On me réclame désormais 190 milliards ! Début mars, nous avons reçu des commandements de payer. Nous avons envoyé un recours auprès du ministre des Finances et comptons utiliser tous les moyens juridiques à notre disposition.

Les accusations sont très lourdes…

Je suis victime d’un véritable acharnement ! Une de mes entreprises a été redressée à hauteur de 5 milliards de F CFA, or son chiffre d’affaires est inférieur à 400 millions de F CFA par an. Elle avait même déjà été contrôlée en 2016. L’ancien régime n’agissait pas différemment…

Finalement, j’ai gagné devant les tribunaux, et l’État me doit toujours 3 milliards de F CFA d’indemnisation. C’est parce qu’ils ne veulent pas payer qu’ils ont inventé cette histoire de faux en écriture publique pour laquelle j’ai été inculpé en octobre.

Un journal a dit que la fortune de Patrice Talon s’élevait à 100 milliards de F CFA, qu’il était le plus riche du pays et moi, le second

Vous êtes souvent présenté comme le premier contribuable du pays. Est-ce le cas ?

Mes entreprises ont payé plus 30 milliards de F CFA d’impôts en 2016. Cela fait plus d’une décennie que nous sommes les premiers contributeurs. Mais si on veut donner des leçons, il faut être soi-même exemplaire. Un journal a dit que la fortune de Patrice Talon s’élevait à 100 milliards de F CFA, qu’il était le plus riche du pays et moi, le second. Alors combien d’impôts ses sociétés ont-elles payé ? Est-ce vraiment moi qu’il fallait redresser ?

C’est la deuxième fois que vous êtes visé par un redressement fiscal. Vous parlez d’acharnement politique. N’est-ce pas un problème de gestion de vos affaires ?

En 2015, nous avons eu gain de cause. C’est la preuve que nos affaires sont bien gérées. Et puis qui veut moraliser qui ? Je n’ai jamais eu de marché d’État ni occupé de poste administratif, je n’ai que des affaires privées avec des clients au Nigeria et un peu au Bénin. Je suis prêt à répondre devant les tribunaux à condition que la justice soit équitable.

Pour ce qui est de l’accusation de trafic de drogue, les juges ont établi que je n’étais pas impliqué. J’ai porté plainte contre X pour que l’on sache qui a déposé cette drogue dans l’un de mes conteneurs. Mais le gouvernement a tout fait pour bloquer cette enquête.

Nulle part dans la Constitution il n’est écrit qu’il faut fournir un quitus fiscal pour être candidat

Serez-vous candidat à la présidentielle de 2021 ?

C’est trop tôt pour le dire. Mais nous sommes en train de nous organiser pour que l’USL conquière le pouvoir et montre que l’on peut gouverner ce pays autrement.

Ne craignez-vous pas que vos ennuis fiscaux vous empêchent de vous présenter ?

Nulle part dans la Constitution il n’est écrit qu’il faut fournir un quitus fiscal pour être candidat. Je ne vois pas comment l’on pourrait m’empêcher de l’être.

Pourquoi vous être présenté en 2016 ? N’aviez-vous pas promis de ne pas le faire ?

Avec Patrice Talon, nous avions convenu qu’aucun de nous ne devait se présenter. Lorsqu’il m’a annoncé, en juin 2015, qu’il serait candidat, je lui ai d’abord répondu que je ne le suivrais pas parce que cela ne respectait pas notre accord. Puis, en août, je l’ai prévenu que s’il se présentait je le ferais également. Même si, initialement, je ne voulais pas entrer en politique.

Si je ne l’avais pas soutenu , Patrice Talon ne serait pas président aujourd’hui

Estimez-vous toujours que vous auriez dû être au second tour de la présidentielle ?

J’ai des preuves que mon nombre de voix a été diminué. Mais je n’ai pas voulu créer de troubles.

Vous avez ensuite soutenu Patrice Talon. Quels étaient les termes de votre accord ?

Nous avions signé des accords de gouvernement qui n’ont pas été respectés. Le chef de l’État ne respecte pas ses engagements.

Avez-vous contribué au financement de sa campagne pour le second tour ?

J’ai participé physiquement, moralement et peut-être un peu financièrement. Si je ne l’avais pas soutenu, il ne serait pas président aujourd’hui.

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