Israël : des réfugiés, tu n’accueilleras point

Sous la pression de la droite nationaliste, Benyamin Netanyahou annule un accord sur les migrants subsahariens conclu avec l’ONU. Récit d’une volte-face aux allures de capitulation.

Des migrants « illégaux » quittent un centre de détention israélien, en 2015. © Tsafrir Abayov/AP/SIPA

Des migrants « illégaux » quittent un centre de détention israélien, en 2015. © Tsafrir Abayov/AP/SIPA

perez

Publié le 25 avril 2018 Lecture : 5 minutes.

Ce 2 avril 2018 aurait pu être un jour de fête. À la nuit tombée, des centaines de migrants ont envahi le parc Levinsky, à Tel-Aviv, là même où leur calvaire avait commencé huit ans plus tôt. Ce lieu, où des autobus les avaient abandonnés à leur sort après une périlleuse traversée de l’Afrique jusqu’à la frontière israélo-égyptienne, était devenu leur point de rendez-vous. Ou de débauche. Mais, à cet instant, beaucoup ont le sourire. D’autres s’enlacent et sont bientôt rejoints par des militants israéliens qui n’ont cessé de défendre leur cause auprès des autorités. Mais leur joie sera de courte durée.

Quelques heures plus tôt, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, se présente devant la presse pour annoncer la conclusion d’un accord avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Il assure aux demandeurs d’asile qu’ils ne seront pas expulsés manu militari vers des pays de l’Est africain, où ils ne sont pas vraiment les bienvenus. Selon ses termes, 16 250 migrants se verront attribuer un statut de résident temporaire et pourront rester en Israël, tandis que l’Italie, l’Allemagne et le Canada en accueilleront un nombre équivalent.

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À 21 heures, le chef du gouvernement capitule

La nouvelle est inespérée, presque surprenante tant les responsables de l’État hébreu sont hostiles à la présence de migrants sur leur territoire. Sur 15 200 demandes d’asile soumises entre 2013 et 2017, seules 12 ont été acceptées. Au sein même de la coalition dirigée par Netanyahou, le compromis négocié avec l’ONU a logiquement entraîné une levée de boucliers. « Inacceptable » pour le ministre des Finances, Moshe Kahlon. Une menace risquant de faire du pays « un paradis pour les infiltrés », renchérit son homologue de l’Éducation, Naftali Bennett, chef de file du Foyer juif, parti d’extrême droite dont le numéro deux, Ayelet Shaked, aux commandes de la Justice, exige dans la foulée un vote du cabinet.

Pour les observateurs, Netanyahou a surtout voulu s’épargner une énième crise gouvernementale

À 21 heures, le chef du gouvernement capitule. D’abord suspendu, l’accord sur les migrants est annulé. « J’ai décidé de suspendre son application et d’en repenser les termes », écrit-il sur sa page Facebook, prétextant les critiques de certains habitants de Tel-Aviv, où vivent la plupart des clandestins subsahariens. Pour les observateurs, Netanyahou a surtout voulu s’épargner une énième crise gouvernementale au moment où il est menacé par les affaires et risque d’être inculpé de corruption.

Bibi est trempé de sueur dès qu’il faut prendre une décision », tweete l’ancien Premier ministre Ehoud Barak

L’opposition, consternée par ce revirement, en profite pour sonner une nouvelle charge. « Bibi est trempé de sueur dès qu’il faut prendre une décision », tweete l’ancien Premier ministre Ehoud Barak, devenu le plus farouche détracteur de l’actuel chef du gouvernement. « Imaginez ce que ça serait en temps de guerre », se désole Avi Gabbay, chef du Parti travailliste. Évoquant une « parodie de leadership », le quotidien Haaretz en vient à se demander si Netanyahou n’a pas orchestré cette affaire pour signifier à la Cour suprême qu’elle ne peut s’opposer à son plan initial : l’expulsion pure et simple des migrants africains.

Tensions diplomatiques

Concocté au début de l’année par le gouvernement, ce programme aux allures d’ultimatum devait s’adresser prioritairement aux hommes célibataires en situation irrégulière. Ces derniers avaient jusqu’au 1er avril pour accepter 3 500 dollars (2 800 euros), à titre de compensation, et un aller simple pour le Rwanda, sous peine de se voir emprisonnés aussi longtemps qu’ils refuseraient l’exil. Saisie par plusieurs organisations de défense des migrants, la Cour suprême a ordonné le gel de cette mesure très contestée par une partie de l’opinion, comme en témoignent les appels de rescapés de la Shoah. Les autorités ont été sommées de fournir des précisions sur les conditions d’accueil des migrants érythréens et soudanais dans un « pays tiers ».

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Problème : aucune discussion ne semble avoir abouti entre Tel-Aviv et Kigali. « Il n’y a jamais eu d’accord avec Israël, ni par écrit ni verbalement », s’est étonné le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe. Officieusement, il se murmure que son pays, disposé au départ à absorber des demandeurs d’asile, s’est rétracté dès qu’a émergé l’idée de lui imposer des observateurs pour satisfaire les associations de défense des droits de l’homme.

Netanyahou a une tout autre version des faits : il accuse l’Union européenne, via le New Israel Fund (NIF), qu’elle soutient, d’avoir torpillé les négociations avec le Rwanda. Cette organisation juive libérale, financée entre autres par le milliardaire George Soros, aurait fait pression sur Kigali afin qu’il n’accepte aucun compromis avec l’État hébreu. « C’est une affirmation absurde », a rétorqué son directeur, Daniel Sokatch. Pourtant, selon la presse israélienne, cinq ONG rattachées au NIF auraient transmis une lettre au président Paul Kagame, lui intimant de rappeler à Netanyahou qu’il dirigeait une « nation de réfugiés ». « Si un tel courrier a conduit le Rwanda à annuler l’accord, cela reflète d’abord un échec de la politique étrangère israélienne », conclut Sokatch.

Après l’abandon du programme d’expulsions, 58 migrants ont été libérés de la prison de Saharonim

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Désavoué par la droite nationaliste, sa famille politique, honni par ses opposants, coupable aussi d’avoir entraîné des tensions diplomatiques avec le Rwanda et l’Italie – elle aussi dément avoir accepté l’accueil de migrants –, « Bibi » affiche un bilan proche du désastre. Ironie du sort : après l’abandon du programme d’expulsions, 58 migrants ont été libérés de la prison de Saharonim, dans le désert du Néguev, et des dizaines d’autres pourraient suivre.

« La question des demandeurs d’asile ne devrait pas être partisane, regrette Nahum Barnea, éditorialiste au Yediot Aharonot, déçu par la tournure des événements. Après tout, ces 35 000 Africains qui se trouvent en Israël ne revendiquent pas la Terre sainte. Ils ne menacent ni la majorité juive ni l’ordre social. Tout ce à quoi ils aspirent, c’est s’éloigner de régimes criminels et travailler dur pour un salaire de misère. »

L’option ougandaise

Cité depuis de longs mois comme un éventuel point de chute pour les migrants subsahariens dont cherche à se débarrasser l’État hébreu, l’Ouganda apparaît plus que jamais comme l’ultime recours. Si aucun accord n’a été officialisé avec Kampala, Tel-Aviv estime qu’il existe une « très forte probabilité » d’y parvenir à brève échéance.

Certains responsables affirment ainsi avoir réuni suffisamment d’éléments à même de satisfaire la Cour suprême. Pourtant, la presse israélienne tempère cet optimisme ambiant.

Elle prétend que, pour parvenir à leurs fins, les autorités auraient conditionné l’envoi des migrants à la vente d’armements à l’armée ougandaise, ce que dément catégoriquement Kampala : « Avons-nous besoin de négocier secrètement ? Nous ne sommes pas soumis à un embargo militaire, et Israël non plus », répond un proche du président Yoweri Museveni.

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