Mehdi Sefrioui : un œil sur les beautés noires

Marocain installé à Paris, Mehdi Sefrioui photographie la mode africaine, sans se laisser abuser par les faux-semblants de l’exotisme.

Le photographe marocain Mehdi Sefrioui capture la mode africaine. © Mehdi Sefrioui

Le photographe marocain Mehdi Sefrioui capture la mode africaine. © Mehdi Sefrioui

KATIA TOURE_perso

Publié le 23 avril 2018 Lecture : 4 minutes.

Prenez un passionné d’histoire de l’Afrique, un apôtre de la beauté noire et un autodidacte qui n’a pas froid aux yeux, et vous obtiendrez le volubile Mehdi Sefrioui, photographe de mode. « Je m’intéresse surtout aux contrats qui me permettent de bousculer les standards de beauté. Et force est de constater que les mannequins noirs restent encore sous-représentés ! » clame Sefrioui, qui chérit la lumière naturelle et décrit son travail comme « épuré et minimaliste ».

C’est sans doute ce qui lui a valu d’être exposé au festival Lagos Photo de 2015, dont le thème était Designing Futures. L’une de ses séries, Infro, pour laquelle il utilise la photographie infrarouge et met en scène des modèles noirs pour témoigner du manque de diversité dans l’industrie de la mode, est alors présentée aux côtés des travaux du Sénégalais Omar Victor Diop, de l’Ivoirienne Joana Choumali et du Sud-Africain Chris Saunders. « Le monde ne tourne pas autour de l’Europe », reprend celui qui est pourtant installé à Paris, le regard tourné vers le continent africain.

On a trop longtemps moqué et caché la présence noire. J’essaie de corriger une injustice

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« Ma volonté de célébrer la beauté africaine et mon attachement à l’Afrique me conduisent naturellement vers ses visages et sa richesse. On a trop longtemps moqué et caché la présence noire. J’essaie de corriger une injustice. Quelque part, je cherche aussi à réconcilier le Maroc et l’Afrique subsaharienne. » Il aura fallu près d’une heure pour que le trentenaire, né à Tanger d’un père architecte et d’une mère médecin, se livre enfin sur les clés de son travail. C’est que ce touche-à-tout, avide de partages et de découvertes, excelle dans l’art de la digression.

 © Mehdi Sefrioui

© Mehdi Sefrioui

« Plus jeune, je ne pouvais avoir une même activité pendant plus de deux heures, s’amuse l’ancien élève du lycée Regnault de Tanger. Et puis j’étais peu porté sur les études. La photographie a été une bénédiction. » Pourtant, c’est avec un bac économique et social qu’il quitte sa ville natale en 2006, à l’âge de 18 ans, pour suivre les cours de l’Institut supérieur de gestion, école de commerce privée parisienne. Très vite, il regarde ailleurs. Plus précisément, dans les rues.

Un « créatif » adoubé par Vlisco

Un appareil numérique à la main, il se balade. « Ça a été le début d’une gymnastique. J’aiguisais mon regard. J’apprenais l’art de la composition. Je me documentais énormément, et notamment sur des photographes comme Henri Cartier-Bresson. Puis j’ai eu envie de créer et de contrôler le contexte dans lequel j’allais pouvoir réaliser de bonnes images. Partir à la chasse en pleine rue, ce n’est pas la même chose que de prendre quelqu’un par la main pour créer une discussion. » Nous sommes alors en 2011. Avec le recul, il juge ses toutes premières photos de mode « horribles ».

 © Mehdi Sefrioui

© Mehdi Sefrioui

Mais, la même année, il est sollicité, grâce à un ami d’enfance, pour photographier une campagne de Valérian Hughes, créateur de haute couture d’origine antillaise. « J’étais encore loin de la technique que je maîtrise aujourd’hui, mais, avec les 400 euros empochés, j’ai pu m’offrir mon premier reflex. » De quoi lui permettre, en 2012, de photographier des mannequins amateurs ou semi-­professionnels à Paris, New York puis Shanghai en gardant en tête le travail de grands photographes comme les Maliens Malick Sidibé et Seydou Keïta. « Ils se sont inscrits dans une forme de multiculturalisme et de diversité à leur époque. Je considère que je ne suis pas loin de leur démarche », dit-il, en admirateur inconditionnel de la culture malienne.

J’estime que, pour pouvoir photographier la mode africaine, il faut connaître l’histoire du continent

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On en revient donc à son tropisme : la beauté de l’Afrique, de sa diaspora et de ses créateurs. En 2013, de retour à Paris, Sefrioui achève ses études en école de commerce, puis obtient un stage de six mois au sein d’Art Partner, l’une des plus grandes agences de photographes au monde. Il intègre ensuite le Paris College of Art pour une année d’études en photographie. « À la fin, de nombreux professeurs m’ont aidé à décrocher mes premiers contrats », se souvient-il. Aujourd’hui, il fait partie des « créatifs » adoubés par Vlisco, le géant hollandais du wax. « Depuis quelques années, le terme “Afrique” est devenu un argument marketing. Je me dois donc de faire la différence entre les créateurs authentiques et ceux qui surfent sur la tendance. À travers le continent et dans la diaspora. »

Le photographe Mehdi Sefrioui © Thomas Babeau

Le photographe Mehdi Sefrioui © Thomas Babeau

Quand on l’interroge sur ses revenus, Mehdi Sefrioui botte en touche, préférant revenir à son parcours. Bientôt, il entamera une collaboration d’un an avec le Fotografiska, un musée de Stockholm, en Suède, consacré à la photographie. « Je côtoie des personnes d’horizons différents depuis des années. Je me sens bien plus proche de mon meilleur ami ivoirien, élevé en Afrique du Sud, que de mes amis d’enfance marocains. Mon travail n’est que le reflet du partage culturel qui rythme mon quotidien », affirme le jeune homme, pour qui la beauté noire n’est pas, et ne doit pas être, exotique. « J’estime d’ailleurs que, pour pouvoir photographier la mode africaine, il faut connaître l’histoire du continent. »

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Les marques se l’arrachent

Nombreuses sont les marques de créateurs africains ou de la diaspora dont Mehdi Sefrioui photographie les campagnes : Uchawi, de la Franco-Congolaise Laëtitia Kandolo, Tongoro, de la Franco-Sénégalaise Sarah Diouf, ou encore la griffe pour hommes burkinabè De La Sebure et la marque éthique ivoirienne AWL – Awale.

L’an dernier, la directrice artistique Anna-Alix Koffi a fait appel à lui dans le cadre d’une campagne promotionnelle pour Vlisco. Il a également collaboré avec Akébéhi Kpolo, fondatrice franco-ivoirienne des bijoux Ohiri. Outre Infro, il a également signé d’autres séries artistiques, dont l’une, Visionary, a servi de visuel pour l’édition 2017 d’Afrodyssée, marché annuel des tendances africaines, à Genève.

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