Agroalimentaire : KTDA, la success-story des théiers du Kenya

Cette coopérative de petits planteurs, qui propose un modèle redistributif unique au monde, détient 60 % du marché national.

Une plantation de thé de KTDA © KTDA

Une plantation de thé de KTDA © KTDA

Publié le 23 avril 2018 Lecture : 5 minutes.

Un ouvrier agricole congolais travaille dans une ferme agro-industrielle appartenant au groupe minier Bazzano à proximité de Likasi, troisième ville de la province minière du Katanga, située à 120 km à l’ouest de la capitale provinciale Lubumbashi, en République démocratique du Congo, le 26 février 2015. © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique
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Jared Ondiek est ce que l’on appelle ici un grand planteur… À 32 ans, il est à la tête de près de 3 ha de plantations de thé. « Mon grand-père m’a légué une petite parcelle pour mes 24 ans. Je l’ai agrandie petit à petit en empruntant à mes amis », dit-il en indiquant les limites de sa propriété. Autour de lui, la majorité des planteurs n’ont guère plus de 20 ares de terrain.

Le comté de Kiambu offre un paysage de collines qui s’élèvent à plus de 2 000 mètres d’altitude, sur lesquelles fleurit l’or vert kényan : le thé. Située à 80 kilomètres au nord de Nairobi, cette région est l’un des fiefs de la Kenya Tea Development Agency (KTDA). Depuis sa privatisation dans les années 1990 (après avoir été gérée quarante ans par l’État), la société appartient à des milliers de petits planteurs regroupés en coopérative. « Un modèle unique au monde », assure, non sans fierté, Lerionka Tiampati, son directeur général.

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Triple du salaire minimum

La KTDA compte un vaste réseau de quelque 600 000 planteurs à travers le pays, tous actionnaires de 54 sociétés qui assurent la production. Ces mêmes sociétés sont actionnaires de la KTDA Holding. Un montage financier qui, au bout du compte, attribue l’intégralité de la gestion de ce géant du secteur aux petites mains… celles qui chaque jour ramassent minutieusement les feuilles de thé. Leur part dans la société est proportionnelle à la quantité de feuilles cultivées et livrées à l’usine la plus proche.

Chaque kilo récolté leur rapporte 15 shillings kényans (12 centimes d’euro) par mois. Un revenu fixe auquel s’ajoute un bonus tous les six mois et un autre, annuel, en fonction du prix du thé négocié à Mombasa, l’un des plus grands marchés aux enchères du monde. Jared Ondiek, fort de ses 3 ha, gagne en moyenne 33 000 shillings par mois. C’est plus de trois fois le salaire minimum national, qui est d’environ 80 euros (ce que gagnent en général les petits planteurs). Grâce aux bonus, le revenu de base peut être multiplié par cinq. M. Ondiek se permet même d’employer jusqu’à huit salariés pendant les périodes de grandes récoltes.

 Cela fait dix ans que je travaille dans les plantations de thé. Je commence à avoir mal au dos, mais au moins j’ai un emploi

Parmi eux, Leah Njoki, 29 ans. Tête baissée, elle découpe de ses mains agiles les deux plus jeunes feuilles de chaque branche et le bourgeon du théier. Un geste méticuleux à un moment précis du développement de l’arbuste… garant d’un produit de qualité. Avec le sourire, elle raconte : « Cela fait dix ans que je travaille dans les plantations de thé. Je commence à avoir mal au dos, mais au moins j’ai un emploi ».

En étant actionnaires, les petits planteurs bénéficient d’une panoplie de services assurés par la société mère. Elle leur fournit les plants, les fertilisants ou encore le transport de leur production. Une formation continue leur permet également d’augmenter la productivité des plantations de 2 % par an en moyenne.

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Aujourd’hui, la coopérative ferait vivre, directement ou indirectement, 4 millions de Kényans, soit 10 % de la population. C’est tout un écosystème qui s’organise autour de la soixantaine d’usines du groupe. Eau, électricité, transport, l’activité a permis le développement de cette région rurale.

Inaugurée en 1964 par Jomo Kenyatta

Dans l’usine de Mataara, les machines tournent à plein régime. Une plaque sur le mur rappelle que cette unité de production a été inaugurée en 1964, année de l’indépendance du pays, par Jomo Kenyatta, président d’alors et père de l’actuel chef d’État.

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Ici, la méthode utilisée est celle du CTC – Cut, Tear and Curl (couper, déchirer et rouler). À l’arrivée, les feuilles sont réduites en une fine poudre : c’est le thé noir traditionnel, très prisé au Pakistan, en Égypte et au Royaume-Uni, principales destinations d’exportation.

À l’avenir, le groupe souhaite se diversifier en augmentant sa production de thé orthodoxe, plus doux, ce qui permettrait d’intégrer de nouveaux marchés plus rémunérateurs comme la Russie, l’Iran et le Moyen-Orient. Proparco, la filiale de l’Agence française de développement dévolue au secteur privé, vient d’ailleurs, à la mi-mars, d’accorder un prêt de 7 millions de dollars (5,7 millions d’euros) à la KTDA.

 Le groupe compte aujourd’hui trois centrales et devrait en construire cinq autres d’ici à la fin de l’année avec le soutien de Proparco

C’est le troisième financement accordé par Proparco à la coopérative depuis le début des années 2000. Des lignes de production de thé orthodoxe seront installées dans quatre usines supplémentaires. D’autres bailleurs de fonds tels qu’IFC (filiale de la Banque mondiale) ont investi dans le groupe depuis le début des années 2000.

« À cette époque, la coopérative lançait un vaste plan d’expansion », explique Damien Braud, responsable Proparco pour l’Afrique de l’Est. « L’intervention d’investisseurs étrangers a permis à la KTDA d’accélérer sa croissance grâce à des financements à long terme. Elle a ainsi diversifié ses revenus avec la production de thé orthodoxe mais aussi d’énergie hydraulique. Le groupe compte aujourd’hui trois centrales et devrait en construire cinq autres d’ici à la fin de l’année avec le soutien de Proparco. Cela réduira sa dépendance énergétique et diminuera considérablement ses coûts de production. »

Leader confortable

La KTDA Holding est aujourd’hui un leader confortable sur le marché national avec 60 % de parts de marché. Les 40 % restants sont disputés par les grands noms de l’industrie mondiale, comme Unilever ou encore Twinings. En 2017, le groupe affiche un chiffre d’affaires de 78 milliards de shillings kényans. In fine, l’équivalent de quelque 400 millions d’euros nets a été redistribué aux planteurs. Sur le marché aux enchères de Mombasa, l’or vert se revend jusqu’à 3 dollars le kilo.

« Le thé de KTDA est reconnu pour sa qualité. Nous formons les planteurs pour qu’ils cultivent soigneusement les feuilles. Il est ainsi plus pur », nous garantit Lerionka Tiampati en buvant son breuvage… de la marque Lipton. « Le thé que je suis en train de boire vient peut-être de notre plantation. Qui sait ? À Mombasa, des coursiers nous achètent notre marchandise et la revendent par la suite à de grands groupes comme Unilever, même si celui-ci possède ses propres plantations ici. » Car le Kenya, bien que troisième producteur de thé du monde, importe encore des produits finis…

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