Finance : la Bourse de Casablanca patine
Malgré l’annonce d’une nouvelle introduction, la place financière du royaume marocain semble marquer le pas et peine à séduire de nouvelles entreprises.
Cela fait un peu plus de vingt mois que la Bourse de Casablanca (BVC) est sevrée de papier frais. La place financière n’a connu aucune nouvelle cotation depuis celle de l’entreprise publique Marsa Maroc, en juillet 2016. La prochaine vient d’être annoncée pour le 11 mai. Il s’agit de la société foncière Immorente Invest, filiale du groupe tentaculaire Mutandis, qui a sauté le pas (lire ci-dessous).
Cette petite introduction ne peut à elle seule masquer les maux qui minent la place et notamment ses difficultés à attirer davantage d’entreprises. Pourtant, Karim Hajji, son directeur général nommé il y a neuf ans, avait pour principal objectif de doper l’attractivité de la place financière. Les observateurs sont unanimes : la faiblesse de l’activité empêche la Bourse des valeurs de jouer son rôle de financeur de l’économie, et ce malgré les résultats techniques appétissants réalisés au cours des dernières années.
Faible culture de la Bourse
L’année 2016 a été en effet l’un des meilleurs exercices jamais enregistrés pour la BVC. Le Masi, principal indice de la place, avait gagné 30 %. Mais cette performance n’a pas eu l’effet d’entraînement que l’on pouvait attendre. « Cela aurait dû logiquement susciter de nouveaux projets de cotations. Au lieu de cela, Casa a connu une année 2017 blanche », regrette Farid Mezouar, directeur de FL Markets, une plateforme d’analyses boursières et financières.
Pourtant les entreprises, publiques ou privées, aptes à franchir le cap d’une cotation sont nombreuses. Pour stimuler l’appétit des groupes privés pour la Bourse, l’État a fait, en 2016, un effort, en montrant l’exemple avec l’introduction de la société d’exploitation des ports Marsa Maroc. « Mais l’État ne va pas continuer à vider son portefeuille pour provoquer des vocations.
« Si le projet de cotation ne couvre pas un besoin spécifique, le management voit rarement l’intérêt de l’opération. Les comptes de l’entreprise seront scrutés par tous, et notamment par ses concurrents », explique M. Mezouar
La BVC doit aussi accomplir sa part du travail pour convaincre les entreprises privées », nous explique un haut cadre au ministère des Finances.
Si les candidats à une introduction sont rares, c’est d’abord pour des raisons culturelles. Les entreprises marocaines savent qu’une cotation est synonyme d’un surcroît d’exposition, ce qui n’est pas forcément à leur goût. « Si le projet de cotation ne couvre pas un besoin spécifique, le management voit rarement l’intérêt de l’opération. Les comptes de l’entreprise seront scrutés par tous, et notamment par ses concurrents », explique M. Mezouar.
Problème de liquidité
Outre le manque de culture financière des dirigeants chérifiens, la bourse pâtit de l’inquiétude née de l’hémorragie de radiations que la place a connue depuis sa création. En dix-sept ans, ce sont pas moins de 21 entreprises qui ont disparu. « Une entreprise qui quitte la cote est généralement synonyme de pertes pour les porteurs d’actions, et la confiance est rompue », explique un banquier très proche des marchés financiers. Résultat : les particuliers ont déserté la Bourse.
Un tiers de sa capitalisation était, en 2015, détenu par des institutionnels. Ces gros comptes gèrent en général leur portefeuille en bons pères de famille et font très peu d’opérations. De fait, leur forte présence limite un peu la liquidité du marché. « La problématique de la liquidité, c’est comme l’histoire du serpent qui se mord la queue. Les investisseurs veulent plus d’introductions, et les sociétés attendent qu’il y ait plus d’argent sur le marché pour franchir le pas », explique le banquier.
L’intérêt d’une banque n’est pas nécessairement d’offrir à ses clients de recourir aux marchés de capitaux sur le court terme
Pour amener plus de mouvement à la cote, la Bourse forme et éduque depuis 2014 les « grandes » PME afin qu’elles pensent au marché des capitaux pour se financer. Ce travail est effectué grâce au programme Élite, développé en partenariat avec le London Stock Exchange. C’est un processus sur le long terme, mais qui ne peut pas immédiatement garantir de nouveaux projets de cotation ni le recours à la Bourse pour collecter des fonds.
Les observateurs regrettent aussi que la majorité des banques d’affaires, qui peuvent conseiller une introduction, ou même des levées dans le cadre de la dette privée, soient affiliées à des groupes bancaires. « L’intérêt d’une banque n’est pas nécessairement d’offrir à ses clients de recourir aux marchés de capitaux sur le court terme, d’autant plus s’il s’agit de clients bien structurés et solvables. En parfaits opportunistes, elles vont proposer des lignes de crédit », avoue notre banquier.
Marché de PME
Pour trouver une solution, la BVC a pensé à la création d’un marché alternatif consacré spécialement aux PME. Les règles sur ce compartiment sont plus souples, et les exigences sont adaptées à la taille des entreprises. Les derniers réglages sont en train d’être apportés, et il sera lancé dans les prochains mois, selon son management.
« La mise en place de ce marché a pris plus de quatre ans. Nous avons un processus législatif très lent qui ne facilite pas la tâche », déplore Farid Mezouar. Une lenteur qui a marqué aussi la préparation de la feuille de route de la Bourse pour les cinq prochaines années, dévoilée à la fin du mois de mars, qui fait suite à l’ouverture du capital de la société de gestion de la place actée en novembre 2015.
Cette fois-ci, pas d’objectifs chiffrés, contrairement à 2009, quand Karim Hajji, fraîchement installé, ambitionnait d’atteindre 150 sociétés cotées avant 2015. Il a récemment reconnu le manque de prudence de telles annonces. Pour les années à venir, il espère « libérer le potentiel du marché ». L’accent sera donc mis sur l’infrastructure, en créant notamment une chambre de compensation et une société gestionnaire du marché.
Nouvelles introductions ?
Les dirigeants promettent plus d’attractivité, mais sans annoncer, pour l’heure, d’actions concrètes. Tout ce que l’on sait, c’est que l’offre sera enrichie de nouveaux produits, comme les fonds indiciels (fonds qui permettent d’investir dans un panier de titres) ou encore les organismes de placement collectif immobilier (OPCI). Ces nouveaux véhicules de placement vont pouvoir répondre aux besoins spécifiques de quelques investisseurs et émetteurs.
« Une fois qu’on aura ces produits, une dynamique positive s’installera, et la Bourse aura sans doute moins de mal à convaincre ses interlocuteurs nationaux et internationaux. Cela dit, il faut que ça se concrétise rapidement », estime notre banquier. Pour les observateurs, le plan stratégique de la BVC ressemble plus à un projet présenté aux actionnaires qu’à une feuille de route pour une place financière. Les investisseurs attendaient davantage de solutions tangibles.
La problématique de l’élargissement du nombre d’émetteurs cotés n’a presque pas été abordée. Malgré toutes les bonnes volontés des acteurs du marché et des dirigeants de la BVC, la Bourse patine encore. La bonne nouvelle, c’est que 2018 risque d’être riche en introductions puisque, selon nos interlocuteurs, au moins deux autres sont attendues d’ici à la fin de l’année.
L’Ovni Immorente séduit les institutionnels
Immorente Invest sera la 75e société cotée à la Bourse de Casablanca après le feu vert donné par l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC). Cette société foncière, filiale de Mutandis Automobile et de CFG Bank, lèvera 400 millions de dirhams (35 millions d’euros) en émettant de nouvelles actions, à 100 dirhams l’unité. Le produit de l’introduction servira à renforcer les actifs de l’entreprise, comme l’explique la note d’information, mais aussi à rembourser quelques dettes.
Les souscriptions qui vont s’étaler du 23 au 26 avril ne devraient pas déclencher une avalanche de demandes chez les petits porteurs, qui n’ont pas l’habitude de ce type de valeurs sur le marché boursier marocain. En effet, Immorente Invest a pour vocation de construire ou d’acheter des actifs immobiliers professionnels destinés à la location. Une nouvelle classe d’actifs qui s’ajoute et qui intéresse plus particulièrement les gros comptes, sensibles au rendement de 6 % annuellement proposé par l’entreprise.
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