Burkina Faso : « mouta mouta », « achiller », « diendérer »… Petit lexique illustré du français intègre

« Je ne serai pas mouta mouta, je peux vous le dire », déclarait fin novembre le président français Emmanuel Macron aux étudiants burkinabè. « Mouta mouta », « achiller », « diendérer »… En cinq catégories, voici un lexique non exhaustif du français des hommes intègres…

Les Burkinabè ont acclimaté le français. © Glez/JA

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Publié le 9 mai 2018 Lecture : 3 minutes.

Roch Marc Christian Kaboré, président du Burkina Faso, le 3 septembre 2015 à Paris. © Vincent Fournier/Jeune Afrique
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Burkina Faso : sur tous les fronts

Alors que le pays semble avoir digéré sa révolution, le président Kaboré dispose encore de deux ans pour accélérer le rythme des réformes économiques et tenter de mettre un terme à la menace terroriste.

Sommaire

Le Burkina Faso est tout à la fois le sanctuaire d’une langue française plus châtiée qu’au pays de Molière – avec la survivance quotidienne de termes comme « nonobstant » – et le tremplin de joyeuses expressions métissées. Le 28 novembre dernier, à Ouagadougou, Leïla Slimani, la « Madame francophonie » d’Emmanuel Macron, rencontrait les puristes, universitaires, éditeurs ou slameurs, tandis que le président français s’essayait à l’emploi de l’expression « mouta mouta ».

En cinq catégories, voici un lexique non exhaustif du français des hommes intègres…

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Le français acclimaté

Le Burkinabè jongle avec ce que l’écrivain algérien Kateb Yacine qualifiait de « butin de guerre », cette langue héritée de la colonisation. Il détourne le verbe « torcher », ne l’employant pas qu’aux toilettes mais aussi dans la brousse nocturne lorsqu’il est question de s’éclairer avec une torche électrique. Il invente des verbes comme « gréver » quand il décide de protester en cessant son travail. Il adapte, sans s’en rendre compte, des expressions comme « du tac au tac ». À Ouagadougou, c’est « du tic au tac » qu’on réagit. Logique si l’on considère que le tic-tac de la montre peut évoquer l’instantanéité.

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On compose aussi des expressions correspondant à des réalités locales, comme « demander la route », pour annoncer que l’on souhaite partir, en s’y reprenant à trois fois avant qu’on nous « accorde la route ». Si l’on part pour rejoindre son « deuxième bureau », cela n’a rien à voir, au Faso comme ailleurs en Afrique francophone, avec une seconde occupation professionnelle. Et chaque fois que l’on oublie le verbe requis par l’Académie française, il suffit de conjuguer « chosiner »…

Les emprunts au nouchi

Les trajectoires de l’ancienne Haute-Volta et de la Côte d’Ivoire sont à ce point entremêlées que le Faso ne pouvait que s’imprégner du nouchi. Employant cette sorte d’argot ivoirien, à Ouagadougou ou à Bobo-Dioulasso comme à Abidjan, les « gaous » « s’enjaillent » avec des « gos » dans les « glôglôs » (les péquenots se distraient avec des filles dans les quartiers populaires).

Les onomatopées

Un mot gagne à évoquer le bruit qui lui est associé. Au Faso, si la friperie est nommée « fouks », c’est qu’un vêtement d’occasion compressé dans une balle fait « foooouks » quand on le secoue. Pour évoquer une bagarre plus ou moins violente, quoi de mieux que « gbangban » ? Et le mot « chicotte », hérité de colons qui l’ont ensuite largement oublié, proviendrait du bruit « tchiiiikk », si évocateur du fouet. Toujours pour des questions de rythme et de son, le Burkinabè use et abuse des redondances : « wassa wassa » ou « sap sap » (rapidement), « façon façon » (très approximativement), « tango tango » (en titubant) ou « 100 francs 100 francs » (100 francs l’unité)…

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Les noms communs issus de noms propres

Signes suprêmes de la créativité linguistique burkinabè et du goût de la population pour l’actualité, les néologismes inspirés par le comportement de certaines personnalités fleurissent. Que le politicien Ablassé Ouédraogo tienne des propos manifestement sujets à caution, et les « ablasseries » désigneront les paroles inconsidérées.

Depuis le coup d’État manqué du général Gilbert Diendéré, en septembre 2015, on utilise le verbe « diendérer » pour dire « faire une bourde »

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Qu’un de ses collègues prénommé Achille soit accusé de fuite, et l’on conjuguera, à la moindre course, le verbe « achiller ». Qu’un Léonce soit surpris en train de s’assoupir en public, et « léoncer » supplantera « somnoler ». Même le coup d’État manqué du général Gilbert Diendéré, en septembre 2015, inspira le verbe « diendérer », qui signifie « faire une bourde ».

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Les nouveautés

Plus vivante est la langue quand de nouveaux substantifs apparaissent, rendant branchés ceux qui les emploient. Bien sûr, le buzz ressuscite parfois des termes vintage, ce que semblent ignorer les tenants de la culture hip-hop, qui désignent naïvement leurs pères et mères par les termes « darons » et « daronnes ». Récemment, c’est le mot « tranquillos » qui a été remis à la mode par le ministre burkinabè Simon Compaoré dans une vidéo nocturne surréaliste où il entendait rassurer le citoyen en brandissant un fusil-mitrailleur.

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D’aucuns diront que ce civil utilise les armes « yada yada » (de façon inconsidérée), formulation qui rappelle l’expression « yaré yaré », bien plus ancienne. Quand un Emmanuel Macron ouagalais chercha tout à la fois l’acclimatation et la branchitude – lui qui est connu pour son vocabulaire désuet –, il déclara aux étudiants : « Je ne serai pas mouta mouta, je peux vous le dire. » Il rejetait ainsi des pratiques politiques obscures et malsaines. Langue 2.0 ou langue de bois ?

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