Au Zimbabwe, ce n’est pas fini

Il y a tout juste cinq mois s’est déroulée dans la capitale d’un pays africain la dernière phase d’un événement à nul autre pareil. Mais était-ce bien la dernière phase ?

Robert Mugabe, son épouse Grace et Emmerson Mnangagwa. © AP/SIPA

Robert Mugabe, son épouse Grace et Emmerson Mnangagwa. © AP/SIPA

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Publié le 27 avril 2018 Lecture : 5 minutes.

Édito. Il semble que non : comme un séisme est suivi de répliques, l’événement dont je veux vous parler risque d’avoir des suites. Qui pourraient intervenir dans les prochains mois.

Le 21 novembre 2017, à Harare, capitale du Zimbabwe, Robert Mugabe, Premier ministre puis président du pays depuis près de quarante ans, a remis sa démission. Il a été contraint à cette extrémité par le commandement de son armée et par son Parlement, qui l’auraient destitué s’il n’avait pas signé sa lettre de démission.

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À 93 ans, il était le plus âgé des chefs d’État de la planète et se préparait néanmoins à briguer un nouveau mandat. Une élection présidentielle est programmée pour septembre 2018. À cette échéance, c’est le « tombeur » de Robert Mugabe, qui se trouve être son plus proche collaborateur depuis plus de quatre décennies, Emmerson Mnangagwa, qui a l’intention de se faire plébisciter.

Mais le désormais ex-président ne se résigne pas à être le spectateur passif de sa fin politique : chaque fois qu’il le peut, il fait savoir qu’il n’a pas renoncé à une fonction dont il a en fait été écarté. Selon lui, son successeur n’est pas constitutionnel et il demande qu’on restaure son propre pouvoir. Rien de moins.

Que s’est-il passé en novembre 2017 qui a conduit à la chute de « Comrade Bob » ? Où en est le Zimbabwe dirigé depuis cinq mois par Emmerson Mnangagwa ?

Le scénario se répète

Le changement intervenu peut être comparé à celui qu’a connu la Tunisie le 7 novembre 1987. À cette date, le Premier ministre tunisien de l’époque, Zine el-Abidine Ben Ali, et un autre général tunisien, Habib Ammar, ont écarté du pouvoir sans trop de ménagement Habib Bourguiba, 86 ans, président depuis trente ans et qui pensait le demeurer « à vie ».

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Le troisième homme de ce changement qui sera pendant près de deux ans le Premier ministre de ce nouveau régime, mon ami Hédi Baccouche, vient de révéler dans ses Mémoires , un excellent ouvrage intitulé En toute franchise, les coulisses de cette révolution de palais.

Les parcours se ressemblent

Habib Bourguiba et Robert Mugabe ont dirigé la lutte de leurs pays pour l’indépendance et fondé une république. L’un et l’autre ont voulu être le président à vie de la République qu’ils avaient fondée. L’âge et l’usure les ont transformés en vieux chefs manipulés par leurs entourages ; la fin de leur carrière politique fut un « naufrage ».

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À trente ans d’intervalle, l’un et l’autre ont été renversés par ceux qu’ils avaient portés aux plus hautes responsabilités. Dans les deux cas, le changement a été très bien accueilli. Ben Ali a bien commencé et mal fini, car l’autocrate est devenu dictateur, et les dictateurs finissent (presque) toujours mal. Dans le n° 1402 de Jeune Afrique, du 18 novembre 1987, je pouvais déjà écrire : « Dans le Tiers Monde, il n’est pas raisonnable de vouloir faire gouverner les 50 % de moins de 20 ans par qui a plus de 80 ans. » […] «Le culte de la personnalité à tous les coins de phrase et de rue n’a pas peu contribué à transformer Bourguiba, à détacher de lui la jeunesse, à donner du pays la plus détestable des images. Ne recommençons pas. »

On a, hélas, recommencé, et il faudra attendre vingt-trois ans et le « dégage ! » de la rue en 2010 pour mettre un terme au trop long règne du président Ben Ali.

Grace Mugabe et le pouvoir

Mais revenons au Zimbabwe, à ce qui s’y est passé en novembre. Il y a cinq mois, le Zimbabwe vivait une pénible fin de règne, gouverné par un vieux chef enclin à céder aux influences croisées de ses entourages, manipulé en particulier par Grace, sa seconde femme, épousée en 1996. De quarante ans sa cadette, elle était sa nurse à plein temps avant de devenir peu à peu son âme damnée.

Elle aimait le pouvoir et l’argent, qu’elle dépensait sans compter alors que le pays vivait des moments difficiles. Pour chacun de ses voyages à l’étranger, elle obtenait et gaspillait 3 millions de dollars.

Elle s’était fait nommer (par son mari) aux plus hauts postes du parti ; s’était entourée d’opportunistes qui ambitionnaient de prendre le pouvoir avec elle ; et était devenue, grâce à la complicité de l’un d’eux, « docteur en sociologie » de l’université du Zimbabwe.

Elle en était arrivée à exiger des ministres et vice-présidents qu’ils prennent des notes lorsqu’elle s’adressait à eux et qu’ils exécutent ses ordres. Le 6 novembre, elle a obtenu de Mugabe qu’il exclue Mnangagwa du gouvernement et du parti, qu’il lui retire les avantages et protections dont il bénéficiait. Le 12, elle s’est attaquée au général Chiwenga, chef de l’armée, et a convaincu son mari de le faire arrêter à l’aéroport même, à son retour de Chine. Ses adversaires se sont ligués contre elle et, en obligeant Mugabe à démissionner, ont retiré à Grace la source de son pouvoir.

Ils ont garanti au couple l’immunité et lui ont assuré qu’il conserverait sa résidence, ses gardes, sa voiture blindée et un budget annuel d’une vingtaine de millions de dollars pour ses dépenses locales et ses voyages. Ce qui n’empêche pas l’ancien président de se plaindre à haute voix : « Ma femme pleure jour et nuit… Ils la persécutent… C’est moi qu’ils visent. » Il faut s’attendre à ce que l’armistice soit rompu par l’un ou l’autre des protagonistes.

Rien ne changera au Zimbabwe

Emmerson Mnangagwa sera confirmé en septembre prochain ; il bénéficiera après cette date de l’onction des urnes. Le Zimbabwe est aujourd’hui et sera encore demain sous la férule d’un parti sûr de lui et dominateur, dirigé pour l’essentiel par les mêmes hommes et les mêmes femmes. C’est donc une aile du parti et le commandement de l’armée qui, ayant prévalu sur Grace et ses acolytes, sont aux commandes. Ils étaient déjà au pouvoir avec Mugabe et ont seulement changé de chef. Ils ne sont pas devenus démocrates pour autant.

Hier numéro deux du régime, Mnangagwa en sera le numéro un et sa personnalité comptera davantage. Mais avec les mêmes hommes à sa tête, le Zimbabwe ne changera qu’à la marge : un homme ou une femme changent-ils lorsqu’ils ont changé de coiffure ?

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