Tchad : Idriss Déby Itno au pas de charge

Après la fronde des fonctionnaires, il n’aura fallu que quelques semaines au chef de l’État tchadien pour reprendre la main.

Militaire dans l’âme, il s’efforce d’avoir plusieurs coups d’avance sur ses adversaires. © Vincent Fournier/JA

Militaire dans l’âme, il s’efforce d’avoir plusieurs coups d’avance sur ses adversaires. © Vincent Fournier/JA

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 23 avril 2018 Lecture : 4 minutes.

Voilà près de 50 ans que le chef de l’État tchadien a quitté les rangs de l’école d’officiers de N’Djamena. Mais il n’en reste pas moins militaire dans l’âme. Stratège, Idriss Déby Itno planifie, s’efforçant d’avoir toujours plusieurs coups d’avance sur ses adversaires. L’officier zaghawa devenu président a acquis l’art du renseignement et de la manipulation.

Nous sommes fin février. Les deux plus puissants syndicats du Tchad sont dans la rue, réclamant le paiement des arriérés de salaire et protestant contre l’austérité imposée par le gouvernement, qui affirme devoir faire face à la baisse des revenus pétroliers et aux exigences du FMI. Voilà cinq semaines qu’enseignants et personnels médicaux ont cessé le travail.

Déby Itno a laissé pourrir la situation puis s’est placé dans la position du sauveur une fois qu’il a été sûr de l’accord avec Glencore », confie un proche du palais

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Chargés des négociations, le ministre des Finances, Abdoulaye Sabre Fadoul, et le Premier ministre, Albert Pahimi Padacké, sont dans l’impasse. Mais, le 1er mars, Déby Itno, jusqu’ici silencieux, entre en piste. Il reçoit les grévistes et demande la reprise du travail. Officiellement, c’est un échec. Officieusement, il vient de reprendre la main.

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Désavouant son ministre des Finances, il confie les négociations à Issa Ali Taher, directeur de cabinet, et à Jean-Bernard Padaré, secrétaire général du palais. Il est tenu informé du dossier quotidiennement, et Padaré n’a aucun doute : un accord sera signé en quelques jours. C’est chose faite le 15 mars. Les salaires de février sont payés, un moratoire de trois mois est imposé aux banques sur les emprunts contractés par les fonctionnaires (il n’a pour le moment pas été appliqué), et des alternatives à la réduction des indemnités sont étudiées.

Enseignants et médecins rentrent dans le rang. « Déby Itno a laissé pourrir la situation puis s’est placé dans la position du sauveur une fois qu’il a été sûr de l’accord avec Glencore », confie un proche du palais. Le 21 février, la Société des hydrocarbures du Tchad a en effet trouvé un arrangement avec son créancier suisse pour étaler sur deux ans le remboursement de sa dette de 1 milliard de dollars. Une bouffée d’air frais et un signal de départ. Dans la foulée de l’accord du 15 mars, le président annonce la tenue d’un forum national sur la réforme des institutions, qui a lieu du 19 au 27 mars.

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En première ligne

L’opposition a choisi le boycott, mais qu’importe. Pour Déby Itno, c’est l’acte II : la naissance de la IVe République. Dans un forum qui lui est globalement acquis, il obtient la limitation du nombre de mandats présidentiels (d’une durée de six ans) à deux à partir de la prochaine élection, en 2021, soit la possibilité de se représenter et d’occuper le fauteuil présidentiel jusqu’en 2033.

Pas de vice-président, plus de Premier ministre… Le président lâche du lest

En contrepartie, il lâche du lest : il renonce à faire du Tchad un État fédéral, à créer un poste de vice-président, et celui de Premier ministre disparaît. « Il tenait aux modifications sur le mandat, qui lui garantit une présidence à vie, et il a été assez malin pour céder sur le reste », affirme un chef de l’opposition. « Pourquoi parler de présidence à vie ? Au mieux, il ne sera qu’un candidat aux deux prochaines présidentielles. Libre à l’opposition de venir chercher l’alternance », rétorque un conseiller du palais.

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Face aux critiques, Déby Itno ne ralentit pas. Le 11 avril, alors qu’une embellie budgétaire vient d’être annoncée par le gouvernement (un « concours de circonstances », glisse-t-on dans un sourire à la présidence), le projet de Constitution est validé en Conseil des ministres. Il devrait, sauf surprise, être adopté par l’Assemblée nationale le 30, puis promulgué au début de mai. La présidence entrera-t-elle alors dans une nouvelle ère ?

Il se retire la possibilité d’utiliser le Premier ministre comme fusible », estime Mahamat Ahmad Alhabo

« C’est une présidentialisation, mais cela ne fait que concrétiser un état de fait », tempère un diplomate. « C’est surtout un risque majeur », explique-t-on à la présidence. Une analyse partagée, avec arrière-pensées, par l’opposition. « Il se retire la possibilité d’utiliser le Premier ministre comme fusible, comme il l’a fait à de nombreuses reprises », estime Mahamat Ahmad Alhabo, coordinateur du Front de l’opposition nouvelle pour l’alternance et le changement (Fonac). « Le côté positif, c’est que cela place Déby Itno en première ligne », glisse Marie Larlem, chef de l’Association pour la promotion des libertés fondamentales au Tchad.

A-t-il trop concédé ? « Il aurait espéré moins s’exposer », glisse un habitué du palais. « Finalement, il fera ce qu’il voudra : il est possible qu’il temporise mais cherche à imposer la vice-présidence plus tard, en expliquant que le président est trop exposé et qu’il faut revoir le texte », confie une source diplomatique. D’ici là, plusieurs défis l’attendent : les législatives, prévues pour novembre, et la grogne autour de Fada, dans sa région natale de l’Ennedi, sans compter les contraintes budgétaires et la situation sécuritaire. Le stratège de 65 ans tiendra-t-il longtemps seul en première ligne ?

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