Côte d’Ivoire : Mamadou Touré, itinéraire d’un ambitieux
Porte-parole du parti présidentiel, il en est devenu l’une des figures les plus médiatiques et a fait son entrée dans le premier cercle du pouvoir.
Clic-clac. Face au photographe, Mamadou Touré prend la pose. Il maîtrise parfaitement l’exercice. Ne pas cligner des yeux, sembler naturel. Sérieux, concentré, il réajuste son costume. Clic-clac. L’homme n’est pas du genre à craindre la lumière. Devenu porte-parole du Rassemblement des républicains (RDR) en novembre dernier, il en est l’une des figures les plus médiatiques depuis la crise postélectorale, et cela ne plaît pas à tout le monde. « Mamadou Touré ? Je ne le connais pas vraiment, lâche un responsable du parti présidentiel. Il n’était jamais sur le terrain avec nous. Quand je le voyais, c’était sur les plateaux télé ! »
L’irrésistible ascension de cet ancien conseiller présidentiel, devenu secrétaire d’État et nommé secrétaire général délégué du RDR en septembre 2017, agace. « Mamadou qui ? feint d’oublier un des caciques du parti. Ah, le petit, là… » Dans la gérontocratie ivoirienne, avoir 42 ans est une exception. Rarement un atout.
« Je ne suis pas un parvenu ! » se défend-il. Mamadou Touré sait qu’il n’a pas coché les cases du traditionnel apprentissage militant. Diplômé en droit, il n’a pas passé de longues nuits avec les camarades de la Fesci, le sulfureux syndicat étudiant, où se sont forgées nombre d’amitiés et d’ambitions politiques. Il n’était pas un adepte des bastonnades et n’a pas connu les geôles ivoiriennes. « C’est un ouvrier de la cinquième heure ! Sûrement pas un militant de base du RDR », grince un de ses détracteurs au sein du parti.
Prémices de son engagement
Alors, un à un, Mamadou Touré égrène ses faits d’armes et rappelle les prémices de son engagement, comme s’il restait en quête d’une légitimité politique. Il cite la chambre 335, celle qu’il occupait au Golf Hôtel pendant la crise postélectorale de 2011, comme tous les proches d’Alassane Dramane Ouattara (ADO). Avant cela, il y a eu la « Sorbonne », cette université autoproclamée installée sur un terrain vague du Plateau, à Abidjan.
À l’époque, c’est là que s’apprend l’art des joutes oratoires. « Il participait peu aux manifestations, mais aux heures de braise, il a lutté avec nous. Certains utilisaient les muscles, lui, c’était le verbe », assure Bazoumana Dembélé, le « recteur » de la « Sorbonne ». Dès le début des années 2000, Mamadou Touré passe de longues heures autour de ce ring politique et ferraille face aux partisans du président Laurent Gbagbo. Déjà, il se distingue par son éloquence. « Il sortait du lot », confirme Dembélé.
La politique, Mamadou Touré est tombé dedans quand il était petit. Trentième d’une fratrie de quarante-trois, il est le fils de Yamoussa Touré, un compagnon d’Houphouët-Boigny. Le patriarche, figure du monde musulman ivoirien, vient de Portio, dans l’extrême nord du pays. La mère est baoulée, originaire de la région de Dimbokro.
Si le régime de Laurent Gbagbo ne change pas, demain il y aura un coup d’État et les Ivoiriens applaudiront », s’exclame-t‑il en 2002
Mais c’est encore ailleurs, entre Bouaflé, dans le Centre, et Abidjan, que le petit Mamadou grandit. Il est élevé par Martial Kipré, le frère de l’ancien ambassadeur ivoirien Pierre Kipré, un Bété lié à la famille Gbagbo. Lorsque aux législatives de 2016 on lui reproche son parachutage à Daloa, il évoque les liens de sa famille adoptive avec cette région traditionnellement hostile au RDR.
Ses influences sont multiples mais c’est Alassane Ouattara que Mamadou Touré choisit et défend, pendant des mois, à la « Sorbonne ». Dans cette arène où les esprits s’échauffent, le jeune homme prononcera quelques mots qui le contraindront à un long exil. « Si le régime de Laurent Gbagbo ne change pas, demain il y aura un coup d’État et les Ivoiriens applaudiront », s’exclame-t‑il le 18 septembre 2002 devant ses adversaires.
Le lendemain, une rébellion tente de renverser le président socialiste. Traqué par des miliciens, l’orateur échappe à plusieurs tentatives d’assassinat et fuit quelques semaines plus tard vers Bamako avec l’aide d’Ibrahim Cissé Bacongo, un de ses parrains politiques. Au Mali, il construira de solides relations avec plusieurs figures de la politique ivoirienne comme Fofana Koné ou Kandia Camara, l’actuelle secrétaire générale du RDR, qui perdureront même lors des six années où, entre Neuchâtel, en Suisse, et Paris, il animera des groupes de jeunes partisans du RDR. Il y apprendra aussi l’art de la communication. Plus moderne que ses aînés, Mamadou Touré maîtrise les codes du soft power autant que ceux des déclarations publiques.
Une ascension fulgurante
Son activisme finit par payer et séduit Amadou Gon Coulibaly, pilier du RDR, bras droit d’Alassane Ouattara et aujourd’hui Premier ministre. En février 2008, à peine rentré au pays, c’est lui qui est chargé de lire la motion appelant à la candidature d’Alassane Ouattara à la présidentielle devant le parti réuni en congrès.
Depuis, son ascension a été fulgurante. Dès l’accession au pouvoir d’ADO, il intègre le cabinet présidentiel, devient conseiller technique chargé de la jeunesse puis, en 2016, est nommé secrétaire d’État à l’Enseignement technique. Au parti, chargé de la mobilisation des jeunes, il gravit les échelons jusqu’à devenir secrétaire général délégué. « Caution jeune » du pouvoir, il fait désormais partie du premier cercle.
Une réussite que beaucoup attribuent à sa proximité avec Amadou Gon Coulibaly, qui l’a pris sous son aile, l’a formé et dont il est l’un des protégés. Les deux hommes communiquent en permanence. Au sein de la garde rapprochée du Premier ministre, Mamadou Touré est régulièrement chargé de jouer les intermédiaires. Affable, le quadra reçoit les jeunes des autres partis, PDCI et FPI, et s’est même lié avec certains proches de Blé Goudé. En 2016, il s’est d’ailleurs entretenu au téléphone avec l’ancien chef des Jeunes Patriotes, jugé à la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité.
Cette photo-là, il faut qu’elle soit réussie. Ça sera pour ma campagne présidentielle, en 2030 !, lance-t‑il dans un éclat de rire
Mais le secrétaire d’État n’a pas que des amis. « Mamadou Touré, c’est le résultat de la méthode Gon Coulibaly ; plutôt que de vieux militants, le Premier ministre préfère s’entourer d’hommes qu’il fabrique : affiliés, serviables et peu critiques », regrette un membre du parti présidentiel, proche de Guillaume Soro. Mamadou Touré est devenu l’une des cibles privilégiées des partisans du président de l’Assemblée nationale. Le premier à 42 ans, le second 45… Les deux hommes sont de la même génération mais n’ont pas grand-chose d’autre en commun. Ni le caractère, ni la trajectoire, ni le poids politique. Pourraient-ils avoir la même ambition ?
Clic-clac. Mamadou Touré s’immobilise une dernière fois devant le photographe. « Cette photo-là, il faut qu’elle soit réussie. Ça sera pour ma campagne présidentielle, en 2030 ! » lance-t‑il dans un éclat de rire.
Où sont les jeunes ?
S’ils sont nombreux à avoir de l’ambition, rares sont les quadras (et même les quinquas) à occuper des postes de pouvoir en Côte d’Ivoire. Autant rivaux que solidaires, ils ne constituent qu’un petit cercle. Formé, comme Mamadou Touré, dans les arcanes du palais depuis 2011, Jean-Louis Moulot, 45 ans, est le directeur de cabinet adjoint de Ouattara.
Cousin du Premier ministre, Amadou Coulibaly est quant à lui chargé des renseignements extérieurs à la présidence. C’est un militant historique du RDR, tout comme Yayoro Karamoko, 47 ans. L’ex-président des jeunes du RDR avait la responsabilité de la mobilisation de la jeunesse lors de la campagne de 2011. L’ex- vice-présidente de la commission électorale Fatoumata Traoré, 56 ans, est membre du Conseil économique et social. C’est une proche de Guillaume Soro mais aussi de Mamadou Touré, dont elle a été le témoin de mariage.
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