Construction : le portugais Mota Engil se convertit à la francophonie

Très implanté dans les pays lusophones, le groupe de BTP réalise 50 % de son activité sur le continent. Désormais, il vise les marchés d’Afrique de l’Ouest, sans craindre la concurrence des acteurs français, chinois et turcs.

22457.HR.jpg © SOURCE	: MOTA ENGIL

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Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 16 mai 2018 Lecture : 5 minutes.

D’un pas déterminé, Manuel Antonio Mota s’avance en cette journée de la fin de mars dans les salons de l’hôtel Ivoire à Abidjan. Le directeur général de Mota Engil Africa, filiale du plus grand groupe de BTP portugais, qu’il pilote depuis Johannesburg, s’est donné jusqu’au mois de septembre pour boucler le financement de l’aéroport de Bugesera, au Rwanda.

Un énorme projet à plus de 800 millions de dollars (environ 655 millions d’euros) engagé à travers un partenariat public-privé avec le gouvernement de Kigali, dont il a obtenu en 2016 la construction et la concession pour vingt-cinq ans, une première pour son groupe. L’ouvrage, prévu pour être terminé au premier semestre de 2020, doit transformer Kigali en hub aérien rayonnant sur toute l’Afrique de l’Est, capable d’accueillir à terme 4,5 millions de passagers. Les discussions se poursuivent actuellement avec l’Africa Finance Corporation (AFC), la BAD et d’autres institutions financières, autant de partenaires habituels de ses projets…

Ce n’est jamais facile de trouver des co-investisseurs en Afrique, admet Manuel Antonio Mota

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S’il confie être en discussion avec d’autres gouvernements pour de nouveaux projets d’aéroports, Manuel Antonio Mota l’admet face à Jeune Afrique : « Ce n’est jamais facile de trouver des co-investisseurs en Afrique. » Mais si ce jour-là le dirigeant semble confiant et n’arrive pas à se départir de son large sourire, ce n’est pas seulement parce que son entreprise a réussi à se défaire en 2017 d’une grande part de son endettement. C’est aussi parce que l’année semble lui avoir été très profitable.

Ayant démarré ses activités en 1946 en Angola, le groupe, présent dans la logistique, les mines, le pétrole, le gaz, l’énergie et l’environnement, n’a cessé d’engranger des contrats pour bâtir des mégaprojets d’infrastructures, notamment dans les pays lusophones. En mars 2017, il remportait au Mozambique avec China Machinery Engineering Corporation (CMEC) le projet à 2,4 milliards de dollars comprenant la construction d’un port en eau profonde et d’une ligne de chemin de fer de 500 km, destinée à transporter aussi bien de l’acier et des produits agricoles que des passagers.

En septembre 2017, il signait, toujours au Mozambique, un contrat de 445 millions de dollars avec le géant brésilien Vale pour assurer des activités de forage, de chargement et de transport dans le projet minier de Moatize…

 860 millions d’euros de chiffre d’affaires en Afrique en 2017

Dans le même temps, Mota Engil a su, grâce à ses connexions avec les autorités angolaises (Sonangol possède 49 % de la filiale locale), limiter les conséquences de la chute des cours du brut qui a pourtant fortement affecté l’économie angolaise et entraîné la dévaluation du kwanza. Seul revers de la situation, « comme ils sont payés en monnaie locale, il est très dur pour eux de rapatrier l’argent au Portugal », relève un expert. L’Afrique représente ainsi en 2017 un chiffre d’affaires de 860 millions d’euros (33 % du chiffre d’affaires du groupe, + 22 % par rapport à 2016). Et en 2018, 51 % de son carnet de commandes, qui s’élève à plus de 5 milliards de dollars, concernent le continent.

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Pour faire face à cette demande, le groupe y consacre la plus grande partie de ses investissements. En 2018, cela représente 250 millions de dollars. « En allant en Afrique, ils sont parvenus à faire des marges de 25 %, alors que celles-ci stagnaient à 5 % au Portugal », rapporte un analyste lusitanien. Si son nom demeure peu connu en Afrique de l’Ouest, c’est pourtant dans la zone francophone qu’il a creusé un sillon prometteur l’année dernière.

 Le marché de la collecte des déchets ménagers d’Abidjan

Outre le chantier de réhabilitation du stade Roumdé Adjia, à Garoua (Cameroun), gagné en août 2017, et l’opération à 210 millions de dollars pour la fourniture de services miniers à Siguiri, en Guinée, au sud-africain AngloGold Ashanti, Mota Engil surprenait en remportant au même moment pour sept ans le marché de la collecte des déchets ménagers de la ville d’Abidjan, d’une valeur de 320 millions d’euros. Avoir proposé le prix le plus compétitif semble, d’après le quotidien portugais Jornal de Negocios, avoir fait pencher la balance en sa faveur. Le secteur est encore plus rentable que la construction en Afrique, « réalisant des marges de 30 % à 40 %, là où le secteur de la construction n’offre “que” 25 % », note un analyste.

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Une façon aussi pour la société de tâter le terrain et de prendre tranquillement pied dans des pays considérés comme la chasse gardée des entreprises françaises, et désormais chinoises et turques, pour ensuite se positionner sur les gros projets d’infrastructures. Preuve que cette stratégie d’implantation fonctionne, ce sont deux autres projets que Mota Engil ajoutait à son panier en ce début d’année en Côte d’Ivoire : la conception, la construction et l’exploitation d’une décharge pouvant produire de l’énergie à partir du biogaz à Abidjan, pour une valeur estimée à environ 140 millions d’euros ; et, en mars, la construction d’un stade à 83 millions d’euros, financé par United Bank for Africa (UBA), en vue de la CAN 2021.

On est à la recherche de concessions dans le secteur des routes, des chemins de fer, de tout ce qui peut alimenter notre activité principale de construction, explique M. Mota

Cet appétit insatiable ferait presque oublier les déconvenues rencontrées en 2016 par le groupe au Cameroun, où, faute d’avoir pu trouver 3,5 milliards de dollars, il n’avait pu mener à bien le projet de chemin de fer et de port minéralier de Lolabé, finalement confié à un groupe chinois. « On est à la recherche de concessions dans le secteur des routes, des chemins de fer, de tout ce qui peut alimenter notre activité principale de construction », explique M. Mota, qui confie avoir pris langue récemment avec Arise, émanation du géant Olam destinée à développer ses activités logistiques hors du Gabon.

Plus de 350 milliards de dollars d’infrastructures devraient être construites d’ici à 2040 sur le continent. L’œil de Manuel Antonio Mota pétille lorsqu’il évoque son désir de construire un stade à Conakry en vue de la CAN 2023. Par ailleurs, comme l’a confirmé l’Agence nationale des chemins de fer (ANCF) sénégalaise à JA, l’entreprise a bien fait une proposition spontanée de financement de 600 millions de dollars pour la rénovation de la ligne Dakar-Kidira, destinée à transporter des marchandises, du ciment et des hydrocarbures vers le Mali, qui devra être réalisée à l’horizon 2022.

« Une proposition reste plus théorique qu’une offre », soupire-t-on à l’ANCF. Une dizaine d’entreprises d’origine française, turque, tchèque, polonaise se seraient déjà positionnées. Mota Engil ne les craint pas. L’entreprise peut compter sur son importante base logistique à Viana, en Angola, sa capacité à déployer rapidement de gros engins, ses 19 centrales à béton, ses ingénieurs et plus de 10 000 employés, en grande partie locaux. Reste à trouver les financements.

Une affaire de famille

La filiale africaine de Mota Engil est dirigée depuis 2016 par Manuel Antonio Mota, fils d’Antonio Mota, président du groupe et petit-fils du fondateur. La famille contrôle 63 % de l’entreprise, côtée en Bourse à Lisbonne.

Répartition du carnet de commandes

  • 36% Mozambique, Malawi, Tanzanie
  • 33% Angola
  • 31% Autres (Côte d’Ivoire, Guinée, Afriue du Sud)

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