Tendance : quand les artistes s’emparent de la réalité virtuelle

Un casque sur la tête, un siège pivotant et vous voilà propulsé dans un autre monde, fantasmatique ou terriblement réaliste : les nouvelles technologies ouvrent le champ des possibles. Sur le continent, quelques artistes s’en emparent.

The other dakar © DR

The other dakar © DR

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 10 mai 2018 Lecture : 4 minutes.

Les possibilités ouvertes par les nouvelles technologies, en matière de cinéma, sont immenses. De nombreux artistes, créateurs et entrepreneurs s’en emparent.

C’est le cas de Salimata Diop, commissaire d’exposition et directrice du Musée de la photographie de Saint-Louis (Sénégal) : « Cette année, je lance mon studio de création numérique, jeux vidéo et réalité virtuelle, Endless Knot, codirigé par la photographe d’art et artiste 3D Christine Muraton. Je crois profondément qu’il est important que des Africains d’une part, et que des artistes d’autre part, créent et utilisent les nouveaux outils, les nouveaux langages de notre jeune siècle. La réalité virtuelle est une nouvelle technologie qui prend actuellement son essor, avec une définition de plus en plus élevée pour des casques de plus en plus accessibles. Qu’allons-nous faire de cette nouvelle possibilité de création, d’impact sur le visiteur-joueur ? Créer de l’émotion, créer du lien. »

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Pour l’heure, les créations accessibles ne sont pas si nombreuses – mais elles montrent la voie. À l’occasion du focus Afrique du festival NewImages, qui s’est tenu à Paris début avril, nous avons pu en voir quatre.

The Other Dakar

de Selly Raby Kane (8mn) – 2017

C’est un monde magique et coloré, un monde étrange et vaguement effrayant qui n’est pas sans rappeler celui d’Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll. À cette différence près que nous sommes bel et bien à Dakar… Et plus précisément au cœur de cet « autre » Dakar qui donne son titre au film de la styliste Selly Raby Kane, The Other Dakar. Tout y commence comme un conte : « Il était une fois une petite fille qui vivait en Afrique. Un jour, elle reçut une lettre, avec une invitation pour découvrir la face cachée de sa ville… »

À partir de là, Selly Raby Kane entraîne le spectateur pendant huit minutes dans un monde psychédélique, saturé de couleurs et de phosphorescences, peuplé de personnages parfois très présents, parfois fantomatiques. Le monde est bien celui de la créatrice : un mélange de présent, de passé et de futur que certains qualifient d’afrofuturiste. La promenade visuelle à 360° est belle, le plaidoyer en faveur des artistes qui font vivre la cité, convaincant. Mais c’est surtout en projetant chacun dans la peau d’une jeune enfant que Selly Raby Kane réussit son pari, offrant un point de vue à la fois émerveillé et naïf sur le monde, à une hauteur d’yeux qui rend chaque adulte gigantesque.

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Nairobi Berries

de Ng’endo Mukii (8mn), 2017

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Nairobi Berries Trailer from Ng’endo Mukii on Vimeo.

L’artiste kényane Ng’endo Mukii s’est fait connaître avec le film Yellow Fever, inspiré de la chanson du même nom signée Fela, dans lequel elle explorait en profondeur les raisons poussant certaines femmes à s’éclaircir la peau. Avec Nairobi Berries, elle propose une « symphonie poétique » sur la capitale du Kenya. Jouant avec toutes les possibilités de la réalité virtuelle, elle plonge deux femmes et un homme dans un monde onirique fait d’escarbilles lumineuses, de papillons, de pétales colorés, d’eaux troubles et de symboles géométriques.

Deux femmes et un homme, mais aussi le spectateur, partie prenante de ce dreamscape (« paysage de rêve »), qui doit sans cesse se retourner et chercher où se trouvent les autres, parce qu’il appartient lui aussi à l’histoire. Une expérience virtuelle et sans danger de la prise de psychotropes ?

Let this be a warning

de Jim Chuchu (11 mn), 2017.

let this be a warming © DR

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Une terre aride, un écran devant vos yeux. Vous ne pouvez pas communiquer avec l’extérieur. Vous êtes enfermé dans votre combinaison, mais ne pouvez faire aucun geste, à part éventuellement pivoter sur vous-même pour regarder ce qui se passe derrière vous. Votre équipement vous donne seulement quelques informations : température extérieure, armement des personnes qui s’approchent… Parce que oui, des personnes armées approchent et vous ne pouvez pas bouger.

Avec habileté, le réalisateur kényan Jim Chuchu utilise la réalité virtuelle pour mettre chacun dans la position de l’étranger débarquant sur une autre planète – dans un autre pays. Science-fiction, bien sûr, mais pour traiter de questions très actuelles, le racisme, la xénophobie, ou historiques, la colonisation, la ségrégation. Un petit bijou politique.

We Who Remain

de Trevor Snapp et Sam Wolson (13 mn), 2016.

Certaines guerres en éclipsent d’autres : celle entre Juba et Khartoum, puis celle divisant le Soudan du Sud devenu indépendant ont ainsi effacé de la carte médiatique le conflit qui oppose le régime de Khartoum et les rebelles du Mouvement de libération des peuples du Soudan-Nord (SPLM-N), issus de l’ethnie nouba. We Who Remain propose une immersion dans le quotidien de ce peuple, dans une région peu accessible où les habitants doivent se cacher au fond des grottes, sous d’énormes rochers, pour fuir les bombardements.

Mais un documentaire en réalité virtuelle a ceci de particulier qu’il rend la réalité bien plus palpable qu’un simple film. Ici, sans pathos excessif, Trevor Snapp et Sam Wolson proposent rien de moins qu’une immersion dans la guerre. Glaçant.

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