Gabon : Marie-Madeleine Mborantsuo n’a peur de rien
La présidente de la Cour constitutionnelle a dissous l’Assemblée nationale et congédié le gouvernement le 30 avril. La composition du nouveau gouvernement, qui a prêté serment le 7 mai, interpelle l’opposition. Pour Marie-Madeleine Mborantsuo, son coup de force lui vaut l’inimitié d’une partie de la classe politique gabonaise.
Le 30 avril, la Cour constitutionnelle a refusé de proroger le mandat des députés, dissolvant du même coup l’Assemblée nationale. Elle avait déjà prolongé leur bail à deux reprises à la demande d’un gouvernement incapable d’organiser les élections législatives dans les délais légaux.
Dans une posture d’autorité inédite, la présidente de la Cour, Marie-Madeleine Mborantsuo (« 3M »), a également congédié ledit gouvernement, même si le chef de l’État a reconduit le Premier ministre, Emmanuel Issoze Ngondet, le 3 mai. Le nouveau gouvernement, qui a prêté serment lundi 7 mai, a vu arriver dans ses rangs plusieurs membres issus de l’opposition (dont Michel Menga M’Essone, Jean De Dieu Moukagni Iwangou et David Mbanga).
Passé la stupeur suite à la décision de la présidente de la Cour, les politiciens ont laissé éclater leur colère : « De quel droit ? » se sont-ils insurgés. Il s’agit d’un « coup d’État institutionnel », ont protesté les détracteurs de Mborantsuo.
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Dans une déclaration publiée le 3 mai, l’Union nationale (opposition) a accusé la haute magistrate de 63 ans, passée par la Cour des comptes, de collusion avec le pouvoir, lui-même soupçonné d’ajourner indéfiniment un scrutin qui serait perdu d’avance.
Imbroglio
Au cœur de cet imbroglio, « Madame la présidente » s’explique sans se justifier. « Il n’y a pas de coup d’État ni de vide institutionnel. La deuxième chambre exercera désormais les pouvoirs retirés à l’Assemblée nationale. » Sereine pour les uns, dédaigneuse pour les autres, « 3M » s’est encore fait des ennemis.
Peu mondaine, la silhouette frêle, « 3M » a un caractère bien trempé
Peu mondaine mais ayant le goût des belles toilettes, la silhouette frêle mais le caractère bien trempé, Mborantsuo savoure sa revanche sur cette classe politique qui lui a longtemps dénié compétence et talent. Le nombre de ceux qui attribuaient sa nomination et sa longévité à la tête de la Cour – vingt-sept ans – au seul mérite d’avoir été proche d’Omar Bongo Ondimba (l’ancien président est le père de ses deux enfants) s’est considérablement réduit.
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Ceux qui moquaient les origines modestes de cette fille d’un charpentier du Haut-Ogooué et raillaient sa couronne de Miss Franceville insistent désormais sur sa partialité supposée. Critique qu’elle balaie d’un revers de main, rétorquant que les opposants sont généralement déboutés à cause de l’incompétence de leurs conseils et avocats.
Revanche aussi contre ceux qui, au sein même du Palais du bord de mer, étaient prêts à l’offrir en sacrifice lors du dialogue politique d’Angondjé en avril-mai 2017. « Je suis la Marie-Madeleine du Gabon, nous avait-elle confié avec amertume à l’époque. Dans la lignée de la pécheresse de la Bible sur laquelle on jetait des pierres il y a deux mille ans. À les entendre, je suis responsable de tout ce qui va de travers dans ce pays. »
Cas d’école
Quoi qu’il en soit, la prééminence de cette femme à poigne sur la vie politique de son pays est une curiosité en Afrique centrale, où les régimes autoritaires laissent peu de pouvoirs échapper à leur contrôle.
Le président est le principale bénéficiaire
De ce point de vue, la Cour constitutionnelle gabonaise est un cas d’école dans la région. Est-elle devenue un quatrième pouvoir aux côtés des trois premiers ? Du fait de son autorité, de la façon dont elle accomplit ses missions et de la personnalité de sa présidente, tout porte à le croire. Sous d’autres cieux, une institution agissant en toute indépendance ne serait pas longtemps tolérée. Pas plus que ces juges nommés en partie par le chef de l’État mais qui se montrent ingrats à l’égard de leur « créateur » !
L’opposition n’est pas de cet avis. Elle ne croit pas que ces derniers aient rendu leur décision en leur âme et conscience. « Personne n’est dupe. Il s’agit d’un scénario concocté à l’avance et dont la Cour constitutionnelle connaît les détails et les objectifs. Il se trouve que [le président] est le principal bénéficiaire de cette situation qu’il entretient », conteste l’Union nationale.
Contre-pouvoir
À moins que la Cour ne soit devenue un contre-pouvoir au point de renvoyer d’un trait de plume les députés chez eux. « La Cour n’a pas vocation à se substituer au peuple souverain en permettant à ces fonctions [de député] de se maintenir sur des périodes qui pourraient s’assimiler à la durée normale d’un mandat », argumente Marie-Madeleine Mborantsuo.
La suite est moins claire. Inquiète de voir le président profiter de la situation pour exercer un « pouvoir monarchique sans contrôle ni partage », l’opposition exige que le Centre gabonais des élections (CGE), dont les membres ont enfin prêté serment le 2 mai, organise les législatives en septembre au plus tard. Le tout sous le regard attentif de la « régente ».
C’est devant elle, qui disait déjà avoir mal vécu d’être devenue le bouc émissaire désigné de la confrontation électorale depuis août 2016, que se jugera de nouveau un éventuel contentieux.
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