Le Coran est-il antisémite ?
Fin avril, 300 personnalités ont dénoncé dans une tribune le « nouvel antisémitisme » et demandé l’abrogation de versets coraniques. Pour l’islamologue franco-marocain Rachid Benzine, il n’y a pas à vouloir leur « mise à l’écart », voire à les « condamner à mort » : il faut relier ces versets à leur contexte d’énonciation et en faire une lecture renouvelée.
Tribune. Les Juifs de France vivent de nouveau dans la peur. Les assassinats aux motivations antisémites qui se sont succédé ces dernières années (calvaire du jeune Ilan Halimi torturé à mort en 1996 en région parisienne par le « gang des barbares », enfants et enseignant juifs exécutés à Toulouse en 2012 par le terroriste Mohamed Merah, clients de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes tués en 2015 par d’autres terroristes, défenestration de la sexagénaire Sarah Halimi en 2017 à Paris, puis meurtre, en mars 2018, toujours à Paris, de l’octogénaire Mireille Knoll) ont réveillé les pires souvenirs du temps qui a précédé et accompagné la Shoah.
Pour eux, point de doute : l’antisémitisme ressurgit à travers des acteurs nouveaux – les jeunes musulmans des banlieues –, et avec des éléments de langage qui n’appartiennent plus à l’ancien antijudaïsme chrétien ni à la rhétorique raciste d’extrême droite, mais à l’islam fondamentaliste.
Pour dénoncer haut et fort cette situation, une tribune signée par quelque 300 personnalités a été publiée le 22 avril dans les colonnes du Parisien Dimanche, et un livre collectif intitulé Le Nouvel Antisémitisme en France vient de paraître aux éditions Alain Michel. Des critiques se sont aussitôt élevées contre le contenu de cette tribune, en particulier parce que ses auteurs y demandent que « soient frappés d’obsolescence [par les autorités théologiques musulmanes] les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des Juifs, des chrétiens et des incroyants ».
Stigmatisation injuste et dangereuse de l’islam et des musulmans ?
Beaucoup dans la communauté musulmane ont vu dans ce texte une stigmatisation injuste et dangereuse de l’islam et des musulmans, et les réactions indignées n’ont pas manqué.
La question mérite en tout cas d’être posée : est-on vraiment en présence d’un « nouvel antisémitisme » aux racines coraniques, dont les jeunes musulmans de France seraient les principaux protagonistes ? Les phénomènes à l’œuvre depuis plusieurs années appellent un discours capable de prendre davantage en compte leur complexité. Juifs et musulmans, en France, constituent deux minorités dont chacune porte un lourd poids de souffrances héritées du passé. Au temps de la colonisation, la République française a traité différemment les uns et les autres, octroyant en 1870 (décret Crémieux) la citoyenneté aux Juifs d’Algérie, mais la refusant aux « sujets » musulmans de ce pays. Ont suivi l’exode des uns, l’émigration des autres vers l’Hexagone.
Depuis la fin de la guerre d’Algérie, ces deux minorités à la réalité démographique inégale (600 000 Juifs, et à peu près dix fois plus de musulmans) se ressentent comme concurrentes (concurrence des mémoires, concurrence sur la place des uns et des autres dans la société, concurrence sur les stigmatisations) et ne cessent de se comparer, parfois de se jalouser.
>>> A LIRE – Juifs et musulmans, les meilleurs ennemis
En raison de la tragédie israélo-palestinienne, qui éveille chez chacune des deux minorités des solidarités opposées, les regards dépréciateurs des uns envers les autres se sont accentués, entretenant une culture de l’animosité. Jusque-là, donc, rien de particulièrement « religieux ».
Pour une lecture renouvelée des versets coraniques
Cette rivalité-animosité entre Juifs et musulmans (on pourrait, en l’occurrence, parler de « Maghrébins » ou de « Franco-Maghrébins » plutôt que de « musulmans ») rappelle beaucoup les relations conflictuelles entre Juifs et Noirs pauvres aux États-Unis depuis la fin des années 1960.
En demandant que soient déclarés « obsolescents » certains versets coraniques, les signataires du manifeste se sont laissés prendre au piège d’une lecture littéraliste anachronique
La dimension religieuse, cependant, vient surcharger le conflit, tout particulièrement en ce temps de réveil des identités religieuses et de succès des courants fondamentalistes. Dans certaines mosquées de France, à l’image de ce qui se passe à une grande échelle dans beaucoup de pays arabes, des imams irresponsables et haineux brandissent des versets du Coran arrachés de leur environnement littéraire autant que de leur contexte historique, ainsi que des hadiths dont la recevabilité est contestable qui maudissent les Juifs. Dès lors, la haine des Juifs deviendrait un devoir sacré ! D’où le sentiment qu’il existerait un « antisémitisme musulman » qui serait congénital à l’énonciation coranique des origines ! En demandant que soient déclarés « obsolescents » certains versets coraniques, les signataires du manifeste paru dans Le Parisien Dimanche se sont laissés prendre au piège d’une lecture littéraliste anachronique, la même que celle que font ceux dont ils dénoncent le discours !
>>> A LIRE – L’antisémitisme, un héritage oriental ?
Pour s’attaquer à pareils dévoiements des textes fondateurs et nourriciers de l’islam et les prévenir, il est urgent que tout le monde – musulmans et non-musulmans – s’attelle à une lecture nouvelle de ceux-ci, prenant en compte les changements de contextes, les manières de lire, de penser et de croire des différentes époques.
Il n’y a pas à vouloir la « mise à l’écart » de certains versets coraniques : il faut les relier à leur contexte d’énonciation et, pour les croyants, travailler à s’en saisir autrement
Ainsi, dans le Coran, on trouve à la fois des passages positifs sur « les fils d’Israël » et des malédictions contre des tribus juives. Mais, justement, pour le livre saint de l’islam, il ne s’agit pas « d’antisémitisme » (ce concept, forgé au XIXe siècle, n’existait pas encore !), de racisme anti-Juifs ni même de condamnation de type théologique (à l’instar de l’antijudaïsme chrétien multiséculaire), mais plutôt de traces de conflits très politiques entre le prophète Mahomet et les tribus juives qui avaient adhéré à un pacte d’alliance avec lui avant de l’abandonner, voire de le trahir. Il n’y a donc pas à vouloir la « mise à l’écart », voire à « condamner à mort » certains versets coraniques : il faut les relier à leur contexte d’énonciation et, pour les croyants, travailler à s’en saisir autrement que cela a pu être fait à d’autres périodes de l’histoire des hommes.
En passant trop tardivement de « l’enseignement du mépris » à « l’enseignement de l’estime » en ce qui concerne les Juifs, l’Église catholique n’a pas supprimé certains passages de l’Évangile de Jean qui semblaient condamner les Juifs : elle en a fait une lecture renouvelée.
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