Sebastian Mikosz – PDG de Kenya Airways : « Nous remontons peu à peu la pente »
Après avoir connu une perte record en 2016, l’ex-compagnie leader du continent s’emploie à redécoller. Ambitieux mais les pieds sur terre, son PDG détaille sa stratégie pour s’imposer sur des marchés de plus en plus concurrentiels.
Le 27 avril dernier, à Paris. Sebastian Mikosz, PDG de Kenya Airways depuis près d’un an, revient d’une tournée commerciale de quatre jours à New York. C’est en octobre que sera lancée la ligne vers la mégapole américaine, symbole de la relance qu’il souhaite impulser en visant les catégories de passagers les plus rémunératrices : hommes d’affaires et touristes aisés.
Après avoir bouclé avec l’État l’opération de désendettement et traversé six mois d’incertitudes postprésidentielles au Kenya, le Polonais attend la validation mi-mai de son plan de développement par un conseil d’administration qui se tiendra à Amsterdam. Ce programme, qu’il souhaite ajuster tous les ans, devrait comprendre l’ouverture d’une vingtaine de nouvelles dessertes et un plan de flotte.
L’ex-compagnie leader sur le continent a payé au prix fort la chute de la fréquentation touristique après l’attentat du centre commercial Westgate en 2013. Elle a aussi été pénalisée par sa politique d’achat à long terme (et au prix fort) de kérosène quand les prix ont chuté. L’année 2016 s’est ainsi conclue par une perte record de 230 millions d’euros.
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Kenya Airways doit donc se réinventer dans un univers africain ultra-concurrentiel, face à d’autres opérateurs soutenus par des États et dans un contexte de remontée des cours du brut. Tout cela dans un environnement social parfois bouillonnant, qui n’est pas sans rappeler celui auquel son partenaire et actionnaire Air France-KLM, dont le PDG a démissionné le 4 mai, doit faire face.
Jeune Afrique : Kenya Airways a perdu quatre fois moins d’argent en 2017 qu’en 2016. Votre compagnie est-elle sortie de sa mauvaise passe ?
Sebastian Mikosz : Depuis deux ans, nous sommes parvenus à bien réduire les coûts, mais nous avons encore beaucoup à faire en matière de revenus. La compagnie continue de perdre de l’argent. Nous avons réduit la flotte, supprimé des emplois redondants, optimisé les achats, revu les coûts de maintenance et de distribution.
Il n’y a pas une ligne de dépenses qui n’ait été touchée. Par exemple, en diminuant de 5 % un stock de pièces (moteurs, trains d’atterrissage) de 200 millions de dollars, vous pouvez gagner 10 millions de dollars.
Les conséquences de nos efforts actuels seront visibles en 2019
L’effet est immédiat. Grâce à cela, tous les trimestres, nous remontons un peu la pente. Les conséquences de nos efforts actuels seront visibles en 2019. Mais les turbulences sociales seront encore nombreuses…
Pour réduire leurs coûts, vos concurrents (Emirates, Etihad, Ethiopian Airlines) se sont engagés dans une course à la taille. Avec une quarantaine d’appareils, n’êtes-vous pas trop petit pour rivaliser avec eux ?
La taille fait tout dans le domaine aérien. Le coût unitaire de fonctionnement des appareils de nos concurrents est inférieur au nôtre, car ces derniers sont plus gros que nous. Mais dans les dix-huit prochains mois, nous reprendrons nos cinq long-courriers sous-loués à Oman Air et à Turkish Airlines, et nous disposerons alors de treize gros-porteurs.
Notre filiale low cost Jambojet va également se développer autour d’un type d’avion unique : le Bombardier Q400. Sa flotte passera de trois à six appareils. Je voudrais mettre en place une croissance relativement consistante de la flotte, devenir un fournisseur de services de maintenance pour les compagnies, créer une académie pour former des pilotes et des ingénieurs qui serviraient l’Afrique, mais aussi le Golfe.
Nous devons vaincre le traumatisme qu’a connu la compagnie, avec une croissance très rapide qui s’était soldée par une quasi-faillite
Nous disposons de toutes les installations pour profiter de la croissance du marché du fret. J’aimerais bien également investir dans plus d’appareils de type cargo. Nous remettons ainsi en place une structure pour renouer avec une importante croissance.
Mais la crainte de reprendre des avions, de rouvrir des lignes persiste… Nous devons vaincre le traumatisme qu’a connu la compagnie, avec une croissance très rapide qui s’était soldée par une quasi-faillite.
Vous lancerez en octobre votre ligne vers New York pour dégager 100 millions de dollars de revenus par an. Vous évoquez néanmoins un risque industriel. Pourquoi ?
Parce qu’il faut du temps pour construire le trafic, même si nous offrons un avantage comparatif en proposant des vols directs. En général, il revient plus cher pour les passagers d’opter pour ce genre de liaisons que de passer par un hub comme Dubaï. Pour tirer le maximum de cette desserte, il faudrait y investir des millions de dollars, notamment pour développer un réseau de distribution.
Nous nous concentrerons sur le marché des entreprises et des touristes premium en offrant tout de suite des liaisons quotidiennes
Nous nous concentrerons donc sur le marché des entreprises et des touristes premium en offrant tout de suite des liaisons quotidiennes. Nous remplirons davantage les avions que si nous y allions quatre ou cinq fois par semaine. Mais positionner deux avions sur cette ligne représente un lourd investissement.
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Le tourisme peut être affecté par de nombreux événements, comme on l’a vu au Kenya avec les attaques terroristes et les élections présidentielles en août 2017. N’est-il pas risqué de miser sur ce segment ?
Si je ne mise pas sur le tourisme, sur quoi vais-je miser ?
Si je ne mise pas sur le tourisme, sur quoi vais-je miser ? Les hommes d’affaires et la diaspora ne suffisent pas à remplir les avions. Nous avons un rôle régional à jouer pour amener des touristes en Afrique de l’Est. Ni l’Ouganda, ni la Tanzanie, ni le Malawi, ni le Burundi ne disposent d’une grande compagnie, ni même pour certains d’un simple transporteur.
Justement, pourquoi ne pas viser l’important marché des importateurs africains qui voyagent vers l’Asie, comme le fait Ethiopian Airlines ?
Ce n’est pas sur cette niche que l’on misera particulièrement. Le revenu per capita n’est pas assez élevé.
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Les compagnies d’Afrique de l’Est (Tanzanie, Ouganda, Zambie) se relancent, parfois avec l’aide d’Ethiopian Airlines. N’avez-vous pas peur de perdre des parts de marché sur cette zone ?
Au contraire, cela va contribuer à développer le marché. Le continent ne compte que 80 millions de passagers, sur 1,2 milliard d’habitants. Il faut accroître la part du gâteau.
Avez-vous identifié d’autres marchés rémunérateurs ?
Nous avons l’ambition d’être présents sur tous les continents à moyen terme. Et pourquoi pas dans d’autres villes américaines dans le cadre d’une coopération étroite avec notre partenaire Delta. Je crois aux vols non-stop. Mais nos appareils ne nous permettent de voler que quatorze heures… Nous pouvons aller à Atlanta, à Boston, mais pas à Los Angeles…
Nous sommes d’abord une compagnie africaine : 80 % de nos passagers sont africains
Nous voulons aussi croître en Europe. Par ailleurs, la Corée, le Pakistan et l’Inde nous intéressent, et Pékin fait partie de nos prochains projets d’ouverture. Mais il y a une telle congestion du trafic que le plus dur est d’obtenir des créneaux. Reste que nous sommes d’abord une compagnie africaine, 80 % de nos passagers sont africains.
Nous comptons d’abord ajouter des fréquences sur nos lignes existantes et en ouvrir de nouvelles, comme nous le ferons à Maurice en juin. Nous lancerons également au même moment un vol non-stop vers Le Cap trois fois par semaine. Nous sommes par ailleurs passés à 24 liaisons hebdomadaires vers Johannesburg.
Nous redessinons notre réseau pour effectuer plus de vols directs vers les destinations de proximité, comme le Burundi, le Rwanda, Zanzibar ou le Kilimandjaro. Nous nous intéressons également au Botswana et nous travaillons avec Air Côte d’Ivoire autour d’une quarantaine de partages de codes.
L’Afrique de l’Ouest est-elle une zone rentable ?
J’aimerais beaucoup y densifier notre présence. Mais c’est un marché très segmenté, avec une myriade de pays qui n’ont pas tous de très bonnes infrastructures aéroportuaires. La croissance du marché est moins dynamique qu’en Afrique du Sud, à Maurice, à Madagascar ou aux Seychelles.
Pourtant, la concurrence est vive dans l’océan Indien. Ethiopian Airlines casse les prix, l’attelage Air Austral-Air Madagascar et Corsair se mènent la guerre… Comment vous positionnez-vous ?
Nous sommes très bien placés géographiquement pour servir les îles de l’océan Indien et nous y serons de plus en plus présents. Zanzibar, Maurice et La Réunion sont des marchés de proximité, Madagascar développe son tourisme, et nous augmentons nos fréquences vers les Seychelles, où volent beaucoup de compagnies depuis leurs hubs européens.
N’est-il pas difficile de mener une restructuration dans ce ciel de plus en plus concurrentiel ?
Il y a de grands défis internes. C’est une remise en question pour la compagnie. Je dois expliquer à ceux qui travaillent chez Kenya Airways depuis longtemps que le marché a évolué très rapidement et ne sera plus jamais le même, qu’il y a désormais Emirates, Qatar Airways, Ethiopian Airlines.
Il y a huit ans, Ethiopian Airlines était deux fois plus petite que nous
Il y a huit ans, cette dernière compagnie était deux fois plus petite que nous. Ses dirigeants ont une stratégie très claire depuis quinze ans. Notre erreur, c’est de ne pas nous en être aperçus. Après avoir été une compagnie profitable pendant dix-sept ans d’affilée, l’une des plus rentables du monde, Kenya Airways a vu en trois ou quatre ans le paysage concurrentiel changer totalement.
Nairobi est désormais l’un des trois aéroports africains les plus desservis, avec 26 transporteurs qui y atterrissent. Emirates s’y rend trois fois par jour, Qatar Airways quatre fois, sans compter Etihad, Oman Air, Turkish Airlines, Rwandair, Ethiopian Airlines, South African Airways… Ces compagnies qui ont d’autres schémas, d’autres structures de coûts viennent prendre du trafic sur le marché kenyan.
À Addis-Abeba, Ethiopian Airlines fait partie du même groupe que l’aéroport et a le monopole sur les services de manutention des appareils (handling). À Nairobi, notre filiale est en concurrence avec six autres opérateurs.
D’un côté, nous avons la pression de nos actionnaires, et de l’autre nous devons négocier avec des syndicats
D’un côté, nous avons la pression de nos actionnaires puisque nous sommes cotés sur les Bourses de Nairobi, d’Ouganda et de Tanzanie, et, de l’autre, nous devons négocier avec des syndicats. Ce qui n’est pas le cas pour Rwandair, Emirates ou Ethiopian Airlines… Comme en Europe et en Asie, l’arrivée de nouveaux opérateurs aériens en Afrique va accentuer la pression sur les prix.
Vous êtes très sceptique sur l’ouverture du marché unique du ciel africain. N’y voyez-vous pas des opportunités pour Kenya Airways ?
La seule ouverture du marché n’est pas suffisante. Avant d’être un marché unique, le ciel européen ne s’est pas construit seulement autour de la liberté des compagnies aériennes d’aller et de venir. La Commission européenne a veillé à ce que les transporteurs ne soient pas subventionnés par les États. Il faut que les compagnies africaines se financent toutes elles-mêmes. S’il s’agit juste pour elles de prendre du trafic à d’autres, il n’y aura aucun bénéfice.
En septembre 2017, vous aviez attiré l’attention du gouvernement sur les effets négatifs de la concurrence. Avez-vous obtenu des réponses ?
Emirates avait demandé sa quatrième fréquence quotidienne vers Nairobi. Nous avons démontré le danger de cette situation. Mais nous n’avons jamais demandé de protection. En revanche, nous exerçons parfois un droit de regard sur des accords bilatéraux. Etihad a demandé que nous négociions un accord commercial sur le cargo entre Nairobi et Dublin. Nous nous sommes arrangés pour charger une partie de notre fret sur leur vol, mais nous avions le droit de dire non.
En reprenant à son compte 400 millions de dollars de dettes en novembre 2017, l’État a porté sa part dans votre capital à 48 %. Joue-t-il un rôle plus important dans la gouvernance ?
Il est représenté au conseil d’administration – qui définit la stratégie – par quatre membres du gouvernement, qui en réfèrent aux ministres du Transport et du Trésor.
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Avez-vous été bien soutenu par votre actionnaire Air France-KLM ?
Air France-KLM ne nous ont pas renfloués, mais ne sont pas partis non plus
L’État kényan a été beaucoup plus présent. Air France-KLM a remis un peu d’argent et est resté actionnaire en laissant sa part diminuer de 26,7 % à 7,8 %. Mais ils réfléchissent au fait de l’augmenter à nouveau. C’est un actionnaire industriel minoritaire, mais présent au quotidien. Ils ne nous ont pas renfloués, mais ne sont pas partis non plus. Ce qu’ils auraient pu faire.
Vous avez été accompagné dans votre processus de désendettement. Cependant, disposez-vous de suffisamment d’appuis financiers pour engager votre relance ?
Pas encore. L’appui financier se construit. Nous venons de recevoir un soutien très fort de l’État, via une garantie souveraine sur les dettes de 750 millions de dollars. Dans l’aérien, le principal vecteur de coûts reste le développement de la flotte.
Je ne peux pas investir sans appui
En montrant des résultats et un plan de croissance qui tiennent la route et qui peuvent dégager du profit, j’espère que les loueurs d’appareils viendront nous voir avec des propositions. Je ne peux pas investir dans une base de maintenance, dans la distribution digitale, dans la croissance de notre personnel sans appui.
En chiffres
Passagers
• 4,46 millions de passagers (2016-2017)
• 3,72 millions de passagers (2013-2014)
• 2,60 millions de passagers (2008)
Flotte
• 42 appareils
Chiffre d’affaires 2017
• 855 millions d’euros
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