Afro-pop : Yemi Alade, une femme pressée
Révélée dans une émission de télé-réalité, l’artiste nigériane Yemi Alade s’est imposée en moins de dix ans comme la chanteuse africaine la plus suivie du continent. Rencontre au pas de course.
Déjà trente minutes qu’on l’attend au Novotel d’Abidjan, ce 22 avril. Sans trop y croire. Depuis trois semaines qu’on a sollicité un entretien, son manager n’a jamais confirmé.
La plupart des confrères qui voulaient lui parler après son concert électrique au festival du Femua, le matin même, ont d’ailleurs jeté l’éponge. Yemi Alade ne viendra pas, c’est sûr… Pas après un show éreintant donné entre 4 heures et 5 heures du matin.
La star de 29 ans traîne une réputation de diva capricieuse qui ne se laisse pas attraper facilement
D’autant que la star de 29 ans traîne une réputation de diva capricieuse qui ne se laisse pas attraper facilement. On a tout entendu sur elle : qu’elle interdisait tout accès à sa loge, même aux membres de l’équipe technique du festival, qu’elle a refusé d’être prise en photo devant le cadeau d’un sponsor, qu’elle exigeait parfois qu’on repeigne les murs de sa chambre d’hôtel en blanc…
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Contacté par téléphone, un membre de son équipe avoue : « C’est moi qui m’occupe d’elle, mais je ne sais pas où elle est » ; un autre croit savoir qu’elle se prélasse encore au lit. Et l’on s’apprête à quitter les lieux lorsqu’un journaliste ivoirien vient nous tapoter l’épaule : « Ce ne serait pas elle à la table, là-bas ? » On jette un œil incrédule sur une dame qui grignote une salade.
Chaussons de l’hôtel aux pieds, grosses lunettes, robe informe… on est loin de la bombe anatomique qui se trémoussait sur la scène quelques heures plus tôt en combinaison blanche ultra-moulante. Et pourtant, il s’agit bien de la star deux fois récompensée aux MTV Awards ! Mais son manager, Taiye Aliyu, une montagne débonnaire, nous avertit : « Je dois d’abord voir si elle est d’accord pour vous parler. »
Miracle : quelques minutes plus tard, nous voilà assis sur un transat, au bord de la piscine du Novotel, Yemi, tout sourire, se prêtant sans rechigner au jeu de l’entretien malgré la fatigue. « Cela fait deux nuits que je ne dors pas… Hier, je revenais de Londres, où j’avais un autre show, et ce matin, impossible de fermer l’œil après le spectacle. Il faut pourtant que je me repose car je pars demain pour Rome. »
La passion, la gym et Dieu
Dans la foulée du lancement de son album Black Magic, la fusée nigériane a programmé un Black Magic Tour international au planning effarant. Du 14 avril au 6 mai, l’idole a donné 15 concerts en Europe, de Stockholm, à Amsterdam, en passant par Londres et Toulouse. Et des dates en Afrique et aux États-Unis sont venues s’ajouter à ce programme déjà surchargé.
Essoufflée [après son show], épongée par un membre de son équipe, elle nous avait donné l’impression d’une boxeuse saisie entre deux rounds
Ce qui l’aide à tenir ? « La passion, la gym et Dieu », lâche-t-elle laconiquement. En lui parlant, une image nous revient à l’esprit. Juste après le show, la chanteuse s’était affalée sur une chaise en plastique pour récupérer quelques minutes avant un entretien télévisé. Essoufflée, épongée par un membre de son équipe, elle nous avait donné l’impression d’une boxeuse saisie entre deux rounds.
Yemi Alade n’a pas le choix. Elle qui est restée fidèle depuis six ans à son label indépendant Effyzzie Music doit multiplier les projets pour continuer d’exister musicalement, alors qu’une signature avec une grande maison de disques (comme celle de son compatriote Wizkid, fiancé à Sony l’année dernière) lui assurerait un plus grand confort.
Les majors, d’ailleurs, lui font de l’œil depuis quatre ans, mais l’ancienne étudiante en géographie à l’université de Lagos a toujours décliné. Sans doute parce que cette fonceuse, révélée dans l’émission de télé-réalité Peak Talent Show en 2009, veut garder la main sur sa carrière.
« Self-made woman »
Femme forte, elle s’est imposée quasiment seule. Sa souplesse vocale, son style sexy et excentrique affiché à longueur de posts Instagram (3,5 millions d’abonnés), ses chorégraphies ultra-vitaminées (qu’elle imagine en grande partie elle-même) l’ont propulsée au sommet.
À la fois fantasme des messieurs et bonne copine rêvée de son public féminin
Si elle séduit autant, c’est également qu’elle s’est composée au fil des hits un personnage singulier de femme fatale pleine de malice et d’autodérision, capable de poursuivre un don Juan de village (pour le titre « Johnny »), de danser en tablier de cuisinière (« Tumbum ») ou de jouer suggestivement avec un épais rouleau à pâtisserie (« Sugar n Spice »). À la fois fantasme des messieurs et bonne copine rêvée de son public féminin.
En 2017, Yemi Alade se révélait être la chanteuse africaine la plus regardée sur les plateformes vidéo du web. Mais l’artiste vise encore plus haut. Pourquoi pas grâce à des collaborations avec des stars américaines ? La recette a déjà fonctionné pour ses compatriotes Wizkid et Davido.
D’ailleurs, la New-Yorkaise Kat DeLuna assure déjà un featuring sur Black Magic. « Et Beyoncé m’a passé un coup de fil hier », confie-t-elle, avant de préciser : « Non, c’est une blague ! » pouffant de rire devant notre tête ahurie.
Beyoncé a réussi à s’imposer comme chanteuse, mais aussi comme businesswoman, tout en assurant son rôle de mère, confie la chanteuse
Mais, si elle devait avoir un modèle, ce serait bien la milliardaire américaine : « Elle a réussi à s’imposer comme chanteuse, mais aussi comme businesswoman, tout en assurant son rôle de mère. »
Gourmande et endurante
On sent que la Nigériane, avec sa gourmandise et son endurance de coureuse de fond, rêve d’aller aussi loin. Et pourrait réussir, si elle s’accorde quelques pauses.
Après le Black Magic Tour, je pense que je mérite des vacances, lâche Yemi
« Après le Black Magic Tour, je pense que je mérite des vacances », lâche Yemi. Mais aussitôt la star se ressaisit : « Je ne prendrai que quelques jours, il faut que je fasse de nouvelles musiques, de nouvelles vidéos… Je veux tenter d’autres choses, d’autres styles. »
On suspend l’interview. Yemi Alade s’est allongée sur le transat et a fermé les paupières. Une petite minute s’écoule avant qu’une autre journaliste, qui a repéré la star près de la piscine, sollicite elle aussi un entretien auprès du manager. La star accepte. Le repos attendra.
Album tout-terrain
Sorti le 15 décembre 2017, Black Magic continue de faire le buzz sur internet grâce au Bum Bum Challenge lancé par Yemi : se filmer sur une chorégraphie à base de booty shake (oscillation du popotin) au son de son tube dancehall « Bum Bum ».
Teinté afropop, l’album est en fait très éclectique, prenant parfois des accents de house (« Mon Lo ») ou de kizomba angolaise (« Yaba Left »).
« Après Mama Africa, mon deuxième disque, qui était très centré sur les musiques africaines, j’avais envie d’autre chose, de me renouveler », confesse la chanteuse. « L’important n’est pas de faire tel ou tel genre de musique… c’est de faire de la bonne musique ! ».
Et de fait Yemi, qui s’est formée dans une chorale d’église avant de s’essayer à la pop, au R’n’B, au highlife ou à l’afrobeat, joue parfaitement les caméléons, s’adaptant à tous les styles.
Opération séduction
Elle multiplie les concerts en France et en Afrique francophone, a tourné un clip sous la tour Eiffel, enregistré des versions françaises de ses tubes « Kissing » et « Johnny ». Mais Yemi assure que « ce n’est pas une stratégie » pour étendre son public.
« J’étais déjà populaire dans les pays francophones avant de m’y produire ou de traduire mes chansons… C’est plutôt une manière pour moi de remercier mes nombreux fans ici. Et puis j’aime les langues : j’ai déjà écrit et chanté en swahili, en portugais, en anglais, en pidgin, en yoruba… Cela crée des émotions différentes. »
L’artiste, qui avait enflammé le Trianon (Paris) lors d’un concert à guichets fermés (1 091 places) en avril 2017, confie vouloir faire une nouvelle date avant la fin de l’année 2018 dans la capitale… mais, cette fois, dans une salle de 5 000 places, comme le Zénith.
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