Maroc – Nasser Bourita : « Notre diplomatie est globale, autonome et responsable »

Sahara, Iran, Algérie, Polisario, Union africaine et politique économique… Le ministre marocain des Affaires étrangères explique la vision du roi Mohammed VI sur ces sujets brûlants.

Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères, dans son bureau, à Rabat, le 8 mai 2018. © Alexandre Dupeyron pour JA

Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères, dans son bureau, à Rabat, le 8 mai 2018. © Alexandre Dupeyron pour JA

FRANCOIS-SOUDAN_2024 fahhd iraqi

Publié le 14 mai 2018 Lecture : 18 minutes.

Depuis sa nomination il y a treize mois à la tête du prestigieux Maec (Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale), Nasser Bourita, 49 ans dans quelques jours, s’astreint à une diète médiatique qu’il interrompt ici pour JA.

Ce juriste formé à Rabat est entré en diplomatie comme d’autres en religion, avec foi, discrétion et au sortir de ses études. Ce ministère, il en connaît tous les recoins et tous les étages, lui qui, après un bref passage à Vienne et à Bruxelles, a été tour à tour chef de cabinet, secrétaire général, puis ministre délégué auprès de Salaheddine Mezouar. Lorsqu’au terme de ce parcours remarquablement lisse il succède à ce dernier en avril 2017, c’est tout naturellement qu’il se coule dans le moule parfois contraignant d’un département clé du « domaine réservé » qui, plus que d’autres, est étroitement dépendant des directives, initiatives et impulsions du roi Mohammed VI. Assisté de deux ministres délégués (Coopération africaine, Marocains de l’étranger) et d’une secrétaire d’État, le natif de Taounate, en pays jbala au nord de Fès, est dans le domaine de la diplomatie l’archétype d’une « génération M6 » décomplexée et ouverte sur le monde, tout en possédant jusqu’au bout des ongles les codes aussi complexes qu’ancestraux de la relation entre le Palais et ses grands commis.

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L’entretien qui suit, avec en guise de liminaire l’épineux dossier de la rupture avec l’Iran survenue au début du mois, a été recueilli le 8 mai.

Jeune Afrique : Avant d’annoncer le 1er mai la rupture des relations diplomatiques du Maroc avec l’Iran, vous avez présenté à votre homologue à Téhéran Mohammad Javad Zarif, des éléments sur l’implication de son pays et du Hezbollah dans le­ ­soutien militaire au Polisario avec l’aval de l’Algérie. Vos preuves ­sont-elles irréfutables ?

Nasser Bourita : Le Maroc ­n’aurait pas pris la peine de présenter un dossier à Téhéran si celui-ci n’était pas solide. D’ailleurs, la politique étrangère de Sa Majesté le Roi est toujours fondée sur le sérieux et la responsabilité.

>>> A LIRE – Maroc-Iran : les dessous d’une rupture

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Le dossier a été minutieusement préparé, pendant des semaines, sur la base d’informations collectées et recoupées sur plusieurs mois. Il récapitule des faits avérés et précis : dates de visites de hauts cadres du Hezbollah en Algérie ; dates et lieux de réunions qu’ils ont tenues avec des responsables du Polisario ; liste de noms des agents engagés dans ces contacts. Vous comprendrez que je ne puisse pas étaler ces renseignements publiquement, au risque de compromettre nos sources. Mais j’ai dévoilé à mon homologue iranien des noms de hauts cadres du Hezbollah qui se sont déplacés à différentes occasions à Tindouf à partir de mars 2017. Ils y ont rencontré des cadres dirigeants du Polisario, et même supervisé des entraînements et l’établissement d’installations. Il s’agit notamment de Haidar Sobhi Habib, responsable des opérations extérieures du Hezbollah, d’Ali Moussa Dakdouk, conseiller militaire de cette organisation, et de Haj Abou Wael Zalzali, responsable de la formation militaire et de la logistique.

Êtes-vous certain que les autorités iraniennes et algériennes étaient au courant de ces rencontres ?

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Évidemment ! C’est bien l’ambassade iranienne à Alger qui faisait la liaison entre le Hezbollah, l’Algérie et le Polisario, à travers son « conseiller culturel », Amir Moussawi. Moussawi n’en est pas à sa première action. Il a été déjà un homme clé de la tentative de « ­chiisation » dans plusieurs pays arabes et africains. Il a par la suite rejoint le cabinet du ministre de la Défense de l’époque, Ali Shamkhani, qui est aujourd’hui ­conseiller pour les questions stratégiques du « Guide suprême » Ali Khamenei.

Quant à l’Algérie, elle a donné davantage que sa bénédiction : elle a apporté couverture, ­soutien et appui opérationnel. En plus, certaines réunions entre le Polisario et le Hezbollah se sont tenues dans une « planque » algéroise bien connue des services algériens, concédée en location à une certaine « D. B. », Algérienne mariée à un cadre du Hezbollah, et convertie en agent de liaison du Hezbollah, notamment avec le Polisario.

Notre décision est à la mesure de la gravité des actes du Hezbollah, épaulé par l’Iran et menaçant la sécurité du royaume

Comment Mohammad Javad Zarif a-t‑il réagi après avoir été confronté à ces éléments ?

L’éthique de la diplomatie marocaine m’oblige à ne pas dévoiler le contenu des discussions diplomatiques. Mais je peux vous dire qu’aucun des noms ou des faits présentés n’a été remis en cause par le ministre. Les justifications d’ordre « politique » avancées ont porté sur la marge de manœuvre du Hezbollah et le statut particulier qu’aurait le membre de l’ambassade iranienne concerné. D’où cette décision de rompre les relations diplomatiques, sachant que le royaume n’a franchi ce pas que très rarement dans son histoire diplomatique. Mais c’est une décision qui est à la mesure de la gravité des actes du Hezbollah, épaulé par l’Iran et menaçant la sécurité du royaume.

Cette rupture n’est-elle pas aussi un moyen pour le royaume de s’inscrire dans l’offensive menée en Occident contre l’accord nucléaire iranien, ou encore une manière de se rapprocher de l’Arabie saoudite ?

La diplomatie marocaine est crédible. Nous n’avons pas besoin de subterfuges afin de fermer une ambassade. Je me permets encore une fois de dire que nous disposons de preuves irréfutables. Sur instruction de Sa Majesté le Roi, des pays amis ont été informés, et sont en possession de ces preuves.

Vous l’avez remarqué sans doute, quand les pays du Golfe ont rompu leurs relations avec l’Iran, le Maroc était certes solidaire, mais n’a pas ­calqué sa position sur celle de ces pays. N’oublions pas que le Maroc n’avait même pas fermé son ambassade à Téhéran, et ce malgré les pressions amicales. Le Maroc n’a pas suivi, alors que nous aurions pu le faire, sachant que nous avions déjà des preuves depuis des semaines.

Ce sujet est sensible et très grave. Le Maroc n’a pris sa décision que lorsque tous les éléments ont été étudiés, vérifiés et confirmés. Il s’agit donc d’une décision souveraine, prise en toute indépendance, après notre évaluation propre et pour des raisons exclusivement bilatérales. Le reste n’est que contingences, supputations et faux arguments.

Si nous avions voulu agir par opportunisme, il eut été plus avisé de ­trouver meilleure occasion : au lendemain de la décision des États-Unis de se retirer de l’accord nucléaire iranien par exemple. Or, sur ce dossier en particulier, la position du royaume a toujours été constante : le Maroc considère les activités nucléaires iraniennes comme un danger pour la région, l’accord signé en 2015 n’est pas parfait ; au contraire, il contient beaucoup de lacunes et d’insuffisances. Mais il reste un acquis à protéger et une base à améliorer. Les suspicions suscitées par les activités de l’Iran pourraient être légitimes. Mais c’est le dialogue qui devrait prévaloir pour la mise en place d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen Orient.

L’ambassade iranienne à Rabat a fermé ses portes le 2 mai. © Fadel Senna/AFP

L’ambassade iranienne à Rabat a fermé ses portes le 2 mai. © Fadel Senna/AFP

D’autre part, si nous avions voulu plaire à certains pays, nous aurions pu prendre prétexte d’une des attaques balistiques menées à partir du territoire yéménite ou des nombreuses tentatives d’ingérence iraniennes dans les affaires intérieures d’autres états, que nous avons toujours condamnées par ailleurs. Pourtant, le Maroc a maintenu la nomination d’un nouvel ambassadeur en Iran, en novembre 2016, alors que le contexte régional et international était quasi similaire à celui d’aujourd’hui. Enfin, le Maroc s’est abstenu ces trois dernières années de voter les résolutions occidentales concernant l’Iran au Conseil des droits de l’homme à Genève, alors que ce pays était en pleine crise avec des pays arabes et occidentaux.

Donc, alors qu’on attendait des réactions sur le fond, sur les faits, sur les preuves, on n’a eu droit qu’à des arguments faciles et commodes quant à de prétendues pressions d’autres pays. Il faut comprendre que l’une des caractéristiques de la diplomatie de Sa Majesté Mohammed VI, c’est l’autonomie dans la décision, la clarté dans la déclinaison et l’enracinement dans des principes et des valeurs fortes. Ce sont là les clés pour déchiffrer beaucoup de nos positions, qui semblent parfois surprendre même certains de nos proches alliés.

Que l’Algérie aille selon vous jusqu’à cautionner des livraisons d’armes au Polisario, ne témoigne-t-il pas d’une détérioration encore plus grave des relations avec le Maroc ? Sa position officielle est pourtant claire : elle n’est pas partie au conflit du Sahara…

Vous serez moins étonné si vous vous rappelez que cette attitude est loin d’être nouvelle. L’Algérie acceptait déjà entre 1975 et 1992 que des armes soient livrées aux séparatistes par certains pays comme la Libye et Cuba. Ce qui est nouveau en revanche, c’est cette tendance de l’Algérie à renier sa propre politique. Il fut un temps où Alger avait des positions bien plus claires et assumées, et qui sont encore enregistrées dans les archives de l’ONU. Dans un passé pas si lointain, le représentant de l’Algérie reconnaissait devant l’Assemblée générale de l’ONU que « l’intérêt de l’Algérie, qui se fonde sur des considérations géopolitiques évidentes […], ne saurait être ignoré dans toute recherche de règlement du problème du Sahara ». Ce même représentant déclarait au Conseil de sécurité : « l’Algérie est une partie concernée ou intéressée, comme vous voudrez, au problème du Sahara […]. Ignorer l’Algérie me paraît une opération un peu difficile. » Renier ces positions ne relève pas de la « prescription », mais de l’amnésie.

Le discours de l’Algérie sur la question du Sahara marocain a un côté autiste et obtus

N’oublions pas que le régime algérien, qui est confronté à une grave crise institutionnelle, politique, économique et sociale, n’a survécu jusque-là que grâce aux problèmes et tensions qu’il a lui-même générés ou qu’il a l’intention de créer, afin de détourner l’attention des Algériens de leurs véritables préoccupations. Sinon, il n’y aurait pas de frontières fermées entre les deux pays frères, comme l’a martelé Sa Majesté le Roi lors de plusieurs grandes occasions et depuis plusieurs années. Sa Majesté le Roi et le gouvernement marocain ont toujours insisté sur la nécessité de la réouverture des frontières, indépendamment de la question du Sahara marocain, qui continue de fragiliser la région.

Aujourd’hui, le discours de l’Algérie sur la question du Sahara marocain a un côté autiste et obtus : reniement de la réalité extérieure et compulsion obsessionnelle à dire que le conflit du Sahara ne concerne que le Maroc et le Polisario. L’Algérie est tentée aujourd’hui de commettre l’erreur stratégique de pousser le Polisario hors des camps de Tindouf, juste pour se dédouaner politiquement et ne plus être pointée comme le pays qui abrite ces séparatistes, au risque de déstabiliser gravement la région, de compromettre définitivement le cessez-le-feu et d’anéantir toute chance de relance du processus politique. Permettre l’implication du Hezbollah s’inscrit dans cette même logique de donner l’impression que l’Algérie n’est pas l’unique soutien au Polisario. Heureusement, le Conseil de sécurité a mis un terme à cette stratégie.

Justement, comment avez-vous accueilli la dernière résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Sahara ?

La résolution est un pas dans la bonne direction. Elle a apporté des réponses nécessaires et des clarifications utiles à des questions qui ne supportaient plus de rester en suspens ; des questions qui étaient au cœur des démarches menées sur Très Hautes Instructions royales dans différentes capitales. Ces questions concernent : les conditions du respect de cessez-le-feu, la finalité du processus politique, le rôle de l’Algérie dans ce processus et l’inutilité des polémiques stériles sur des questions périphériques comme les droits de l’homme ou les ressources naturelles.

Ainsi, au sujet des accords de cessez-le-feu, le Conseil de sécurité a exigé le retrait immédiat du Polisario de la zone de Guerguarate, estimant sa présence illégale et illégitime. C’est une clarification importante, car elle rétablit la suprématie de l’accord de cessez-le-feu de 1991 sur les accords militaires conclus plusieurs années plus tard, mais que la Minurso avait tendance à sacraliser et à prendre comme unique référence. Pourtant, ce n’est qu’un instrument technique pour réglementer l’activité militaire sur une zone qui ne devait pas changer de configuration, au risque de remettre en cause l’accord de cessez-le-feu.

Un mur de sable dans le Sahara, le 6 novembre 2006. © FRANCOIS MORI/AP/SIPA

Un mur de sable dans le Sahara, le 6 novembre 2006. © FRANCOIS MORI/AP/SIPA

De même, les « manifestations » à l’est du dispositif de défense marocain, les « rassemblements » organisés à Bir Lahlou ou à Tifariti, ou encore les « constructions administratives » que le Polisario est tenté d’entreprendre dans cette zone, sont désormais considérés par le Conseil de sécurité comme des « actions déstabilisatrices », qui doivent cesser. Le Polisario étant, par définition, une milice armée – rappelons-le : entité non reconnue par l’ONU –, toutes ses activités, quel qu’en soit le caractère, ne peuvent être considérées que comme militaires.

Le Conseil de sécurité a, également, défini la finalité du processus politique. C’est un paragraphe nouveau qui vient juste après celui de l’extension du mandat de la Minurso et qui souligne la nécessité d’une « solution réaliste, réalisable et durable, basée sur le compromis ». C’est un développement très important, qui écarte les schémas réducteurs et simplistes que certains ont érigés en dogme. Pour l’anecdote, c’est ce même terme de « réaliste » qui a coûté son poste à Peter Van Walsum [l’ancien envoyé personnel du ­secrétaire général de l’ONU au Sahara de 2006 à 2008, ndlr] et lui a valu une inimitié éternelle de la part des parties adverses.

Concernant le rôle de l’Algérie, un autre paragraphe a été ajouté pour appeler ce pays voisin « à contribuer davantage au processus politique » et à « renforcer son engagement dans le processus de négociation ».

Enfin, le Conseil de sécurité n’est pas tombé dans le piège de mentionner la question des ressources naturelles, estimant que cela n’est pas pertinent, alors que les parties adverses espéraient que le jugement contesté et contestable de la Cour de justice de l’Union européenne allait changer la donne.

Notre dossier est solide, nos arguments sont forts et notre cause juste est de plus en plus entendue par la communauté internationale. Certes, il est plus facile de désinformer que d’informer. Mais la vérité commence à prévaloir. L’Algérie et le Polisario sont acculés devant la légalité internationale et la dernière résolution du Conseil de sécurité. Tels que nous les connaissons, ils vont certainement créer d’autres problèmes dans la région et au-delà. D’ailleurs Alger, comme à son habitude, s’emploie à induire en erreur l’opinion publique algérienne et internationale, en martelant dans les médias que la résolution lui est favorable, alors qu’elle est on ne peut plus claire.

Pensez-vous pouvoir obtenir que l’Algérie s’installe à la table des négociations ?

Lors du premier entretien avec l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara, M. Horst Kohler, en octobre dernier, Sa Majesté le Roi a insisté fermement sur la nécessité de la présence de l’Algérie dans le processus. Notre objectif est donc que le processus implique les véritables acteurs. Une dynamique réelle ne peut pas être désincarnée, comme une bulle déconnectée de la réalité.

Aucun être sensé ne peut croire que la question peut être réglée sans l’Algérie

Les chancelleries ne connaissent pas le Polisario ; c’est l’ambassadeur de l’Algérie qui vient les démarcher à la veille d’un vote sur la question du Sahara marocain au Conseil de sécurité. Les résolutions de la quatrième commission de l’ONU [chargée des questions politiques spéciales et de la décolonisation, ndlr] sont soumises à l’initiative de l’Algérie et sont adoptées suite à des accords ponctuels entre le Maroc et l’Algérie. Aucun être sensé ne peut croire que la question peut être réglée sans l’Algérie. En 2007, on nous avait assuré que l’Algérie pouvait aider de l’extérieur. Après 13 rounds de négociation à Manhasset, nous avons vu que le Polisario pouvait à peine décider du menu de ses repas. Dans les négociations, en revanche, il était incapable de se résoudre à quoi que ce soit tout seul. Au lieu de sortir de la salle pour prendre des instructions à chaque fois auprès des décideurs algériens, autant que ceux-ci viennent défendre directement leurs positions et arguments.

Le dialogue avec l’Algérie est-il impossible ?

Le dialogue est toujours possible. C’est notre souhait le plus ardent, d’autant plus que le dialogue est un principe auquel nous ne dérogeons jamais. L’exemple de l’Allemagne et de la France est là pour nous le rappeler. Qui aurait imaginé, à la fin de la ­deuxième guerre mondiale, que ces deux pays deviennent les locomotives de la construction européenne ?

La question de l’exploitation des ressources de l’ex-Sahara occidental continue de polluer vos relations avec l’Union européenne. Comment comptez-vous vous y prendre ?

Les trois ans de passage à vide dans les relations avec l’UE ont été une occasion pour s’entendre sur le socle de notre partenariat. Le Maroc n’est plus disposé à un « partenariat à la carte », guidé par les intérêts exclusifs de l’Europe. Lorsqu’il s’agit de migration ou de terrorisme, le Maroc fournit un effort considérable et démontre qu’il est un partenaire fiable et loyal. Alors, il est en droit, lorsqu’il s’agit de ses intérêts stratégiques, de ne plus vouloir être traité comme un simple point à l’ordre du jour des réunions. à travers les accords en cours de négociation, le Maroc est dans une interpellation géostratégique de l’UE. Nous ne faisons pas partie de l’Europe, ni institutionnellement ni géographiquement. Mais nous faisons partie, avec l’Europe, de la même aire géostratégique. Et ­l’Europe serait myope géopolitiquement si elle considérait que ses frontières s’arrêtent en Espagne. Aujourd’hui, ces frontières ont été repoussées à la zone sahélo-saharienne.

Dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et en Libye, le Maroc semble marginalisé, ce qui n’est pas le cas de l’Algérie…

Le Maroc est un allié précieux sur le plan de la lutte contre le terrorisme. Sa réputation n’est plus à faire.

Il est normal que les acteurs de la déstabilisation soient en priorité pris en charge dans les processus de stabilisation. Rappelez-vous de la tragique prise d’otages d’In Amenas en janvier 2013. La réalité de ce qui s’est passé là-bas a été escamotée par les médias. N’est-ce pas là une pure action de désinformation ?

Il y a aujourd’hui une conscience que la stabilisation du Sahel passe par un rôle plus constructif des pays directement impliqués, qui ne peuvent plus ­considérer cette zone comme une arrière-cour ­manipulable à souhait, ni comme un espace pour évacuer leurs tensions internes.

Lors de sa première visite à Bamako, en 2013, Sa Majesté le Roi a souligné qu’une solution réaliste et réalisable aurait été facile à appliquer. Il en a été autrement. C’est, après tout, le choix du Mali, qui est un pays souverain.

En ce qui concerne la Libye, tous les protagonistes souhaitent l’implication du Maroc et continuent de la demander ardemment, en raison de sa neutralité constructive.

En réalité, certains aiment agir sous les flashs et les projecteurs, tandis que d’autres préfèrent le faire de manière discrète mais efficace. Le Maroc appartient à la deuxième catégorie.

Depuis janvier 2017, le Maroc siège aux côtés de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) au sein de l’Union africaine. Votre objectif est-il toujours d’écarter cette entité de l’organisation ?

Nous ne sommes pas seulement retournés à l’UA, nous avons aussi renforcé notre présence en Afrique de l’Est et en Afrique australe.

La position du Maroc par rapport à ce sujet a déjà été exprimée à travers les discours royaux, notamment le discours de Kigali et le discours d’Addis-Abeba. La politique africaine menée par Sa Majesté le Roi, en plus de sa dimension bilatérale, se devait d’avoir un pilier multilatéral, à travers l’Union africaine. Le Maroc, sur un certain nombre de sujets, se place également en porte-parole de l’Afrique, et ce rôle ne peut pas s’exprimer pleinement en dehors de l’institution panafricaine. Enfin, nous allons défendre nos intérêts sur le Sahara marocain en neutralisant les hostilités résiduelles au sein des instances panafricaines, avant de corriger cette aberration en mettant en adéquation la position de l’UA avec celle de la plus grande majorité de ses membres.

Comment une entité peut-elle siéger au sein d’une structure où les deux tiers des membres ne la reconnaissent pas ? C’est une absurdité que personne ne comprend. Comment une entité virtuelle peut-elle trouver sa place dans une organisation panafricaine qui aspire à mener des projets ambitieux et concrets en faveur de l’Afrique, comme la Zlec, la zone de libre-échange continentale, l’open sky africain, la lutte contre le changement climatique ou encore la gestion des flux migratoires ?

Le processus d’adhésion du Maroc à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) suscite des réticences de la part de vos partenaires. Où en êtes-vous sur ce dossier ?

L’étude d’impact a été finalisée et devrait donc être soumise à l’examen du groupe des cinq chefs d’État désignés [Côte d’Ivoire, Togo, Ghana, Guinée, Nigeria, NDLR]. Il ne doit pas y avoir de malentendus : le Maroc a choisi une option géopolitique, pas un marché. C’est un choix d’appartenance à une région, avec ses problèmes, ses défaillances et ses crises, mais également son potentiel.

Le roi Mohammed VI à Conakry (Guinée), le 24 février 2017. © MAP

Le roi Mohammed VI à Conakry (Guinée), le 24 février 2017. © MAP

En outre, il y a aujourd’hui une nouvelle donne, la Zlec. L’intégration économique devient une affaire de tout le continent. Elle transcende les ensembles régionaux et ne se limite pas à eux.

Certaines appréhensions sont soulevées par quelques pays. Elles témoignent du succès de l’engagement économique du Maroc en Afrique de l’Ouest. Elles recèlent, également, quelques interpellations légitimes qui nécessitent clarification.

Aucune des 53 visites royales effectuées depuis 18 ans ne s’est limitée aux salons d’honneur des aéroports ou aux cérémonies officielles

En quoi l’offre du royaume en Afrique se différencie-t‑elle de celle des Français ou des Chinois, lesquels voient d’ailleurs le Maroc comme un concurrent ?

Le Maroc n’est pas engagé dans une course avec les grandes puissances pour la conquête des marchés africains. Tout le monde sait que l’approche du Maroc est différente. Il faut donner du temps au temps et du temps à l’Afrique. Sa Majesté le Roi a certainement ses petits secrets, qu’Il ne dévoile pas, mais qui donnent leurs fruits. Il a effectué sa première tournée en Afrique à l’âge de 12 ans, 8 pays visités en vingt jours. Il en est revenu enthousiaste et définitivement attaché à ce continent.

Aujourd’hui encore, Sa Majesté le Roi transcende l’officiel, pour adopter une démarche à caractère humain. Aucune des 53 visites royales effectuées depuis dix-huit ans ne s’est limitée aux salons d’honneur des aéroports ou aux cérémonies officielles. Sa Majesté aime l’Afrique, sa culture, sa nourriture, ses gens et célèbre cette affection à chacun de ces déplacements. Il prend le temps d’être à l’écoute, de nouer des contacts et de connaître les pays. L’offre marocaine est unique, de par son caractère multidimensionnel : elle est économique, sécuritaire, religieuse et technique. Mais elle est aussi, et surtout, humaine et sincère. Le dernier exemple de cette implication royale est le succès du récent sommet de Brazzaville le 19 avril, lequel a pris une dimension politique et continentale grâce à l’intervention personnelle de Sa Majesté le Roi, alors qu’il devait être une simple réunion technique régionale.

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