Maroc : année quasi blanche pour El Othmani

Inhibé face au Palais, confronté à des crises à répétition avec ses alliés et à une contestation sociale larvée, le chef du gouvernement marocain, Saadeddine El Othmani, peine à imprimer sa marque. Et tente de colmater les brèches comme il peut.

Le chef du gouvernement, au Parlement, à Rabat. © youssef boudlal/REUTERS

Le chef du gouvernement, au Parlement, à Rabat. © youssef boudlal/REUTERS

fahhd iraqi

Publié le 30 mai 2018 Lecture : 6 minutes.

Mardi 1er mai, Casablanca. Comme chaque année, l’Union nationale du travail au Maroc (UNTM), bras syndical du Parti de la justice et du développement (PJD), organise ses célébrations de la Journée mondiale du travail sur l’une des principales artères de la métropole. Quand Saadeddine El Othmani fait son apparition, des huées s’élèvent de la foule.

Le chef du gouvernement et secrétaire général du PJD n’est plus le bienvenu, même chez les travailleurs de son propre clan. Enhardi, Abdelilah Hallouti, secrétaire général de la centrale syndicale, n’hésite pas à lancer une pique à son leader politique depuis la tribune. « Le dialogue social n’a pas répondu à nos attentes. Les revendications de la classe ouvrière n’ont pas été satisfaites. Et nous le regrettons », clame-t-il. Avant de calmer le jeu : « Mais nous continuons à espérer que le gouvernement et le patronat feront plus d’efforts pour que nous puissions aller de l’avant. »

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Tour de vis sécuritaire

À l’autre bout de la ville, du côté de l’Union marocaine du travail, avenue des FAR, les critiques à l’encontre du gouvernement se font plus acerbes. « Le gouvernement a gâché la fête », lance Miloudi Moukharik, secrétaire général de la centrale syndicale la plus représentative du pays. Comme les autres leaders syndicaux, il rejette catégoriquement l’offre du gouvernement El Othmani.

Les négociations ont duré jusqu’à la veille au soir. Et se sont soldées par un échec. Les représentants des travailleurs s’attendaient à beaucoup plus qu’à une « risible » augmentation de 100 dirhams des allocations familiales, de la part d’un exécutif qui, après un an aux manettes, semble manquer de vision et se contenter de gérer les crises.

Le chef du gouvernement a été complètement dépassé par la crise d’Al Hoceima

Nommé chef du gouvernement le 5 avril 2017, du fait de l’incapacité de son prédécesseur à constituer une majorité parlementaire, Saadeddine El Othmani arrive au pouvoir dans un contexte marqué par une tension sociale inédite. Outre les syndicats, qui pestent alors contre la politique menée par son parti – mais qui décident malgré tout de lui accorder un délai de grâce –, Al Hoceima est en ébullition.

Le mouvement de protestation amorcé des mois auparavant ne cesse de gagner du terrain. « Le chef du gouvernement a été complètement dépassé par cette crise, dénonce un député de l’opposition. Ce qu’il a trouvé de mieux à faire, c’est d’envoyer une délégation ministérielle pour tenter de rassurer la population, mais cela a été plutôt contre-productif. »

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Il aura fallu un tour de vis sécuritaire, mais aussi un « séisme politique » annoncé et mené par le roi Mohammed VI, pour que le calme revienne dans le Rif. L’épisode laisse des traces au sein du gouvernement El Othmani : quatre ministres sont remerciés. Plusieurs secrétaires généraux de différents départements sont également congédiés. « À chaque audience royale, le chef du gouvernement semblait découvrir, en même temps que le public, les sanctions prises par Mohammed VI, observe un politologue sous le couvert de l’anonymat. Cela en dit long sur son effacement face au Palais. »

Calendrier chamboulé

El Othmani est contraint, durant trois mois, de fonctionner avec un cabinet amputé des responsables de départements cruciaux comme l’Éducation, l’Habitat ou encore la Santé. Le calvaire prendra fin avec l’ajustement ministériel du 22 janvier. Entre-temps, son calendrier de travail se trouve chamboulé par une mission royale qui lui est confiée en décembre, à la suite de la présentation par la Cour des comptes d’un rapport sur le fonctionnement des centres régionaux d’investissements (CRI).

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« Pendant quasiment deux mois, avec ses proches collaborateurs, le chef du gouvernement s’est penché sur la réforme de ces CRI pour présenter un rapport au roi le 20 avril », livre un habitué des arcanes du Méchouar, où le siège de la présidence du gouvernement côtoie le palais royal de Rabat. « Finalement, il a remis le document au roi sans pour autant avoir son retour. »

Avec Mohammed VI,le 17 mars 2017, au palais royal de Casablanca. © MAP

Avec Mohammed VI,le 17 mars 2017, au palais royal de Casablanca. © MAP

Difficile de percevoir une quelconque complicité entre Mohammed VI et son chef du gouvernement. Un signe qui ne trompe pas : ce n’est qu’au bout de neuf mois de mandat que Saadeddine El Othmani a le privilège de représenter Sa Majesté à l’étranger. C’était en janvier, à l’occasion du 30e sommet de l’Union africaine. « La diplomatie est une chasse gardée du Palais que Saadeddine El Othmani évite d’approcher, confirme notre source. Le ministre des Affaires étrangères traite directement avec le cabinet royal, qui tient El Othmani informé en temps voulu. »

Les peaux de banane de Benkirane

Si la collaboration avec le chef de l’État semble réduite au strict minimum, Saadeddine El Othmani donne aussi le sentiment d’avoir des difficultés à gérer sa propre équipe gouvernementale. « Les crises avec les alliés de la majorité se sont répétées ces derniers mois, observe un ancien ministre. C’est tout de même la première fois que l’on a assisté au boycott par plusieurs ministres d’un Conseil de gouvernement. » Allusion à cette fameuse réunion gouvernementale du 8 février, marquée par l’absence des sept ministres du Rassemblement national des indépendants (RNI).

Officiellement, les responsables étaient en déplacement à l’étranger. Officieusement, c’est une autre histoire. Leur absence se voulait l’expression d’un mécontentement contre des propos tenus par Abdelilah Benkirane à l’égard d’Aziz Akhannouch, le puissant patron du parti de la colombe, que certains qualifient de « chef du gouvernement bis ».

Après cet épisode, le leader du PJD se trouve contraint de convoquer une réunion des partis de la majorité. Et, pour calmer ses alliés, de fermement condamner les propos de son prédécesseur. « El Othmani en est à peine à la reconstruction de ses appuis dans les structures internes, sachant que son élection au secrétariat général a beaucoup divisé le parti, affirme le politologue Mohamed Tozy.

Mais s’il a pu reprendre la main institutionnellement au sein de sa formation, il reste fragile politiquement. Il suffit d’une sortie tonitruante de son prédécesseur pour que tous ses efforts se retrouvent réduits à néant. Et c’est justement ce qu’Abdelilah Benkirane ne se prive pas de faire. »

Chef de gouvernement « normal »

Avec cette coalition hétéroclite, El Othmani compose comme il peut, quitte à se plier en quatre devant les exigences de ses partenaires. « Esprit de consensus et discrétion sont caractéristiques du personnage, ajoute Tozy. C’est son côté taleb soussi [« érudit du Souss »] qui ressort, un peu comme son idole Mokhtar Soussi [grande figure du Mouvement national et faqih reconnu]. »

« Saadeddine El Othmani se voit davantage en chef de gouvernement ou de cabinet qu’en patron de l’exécutif qui sait envoûter la rue », analyse Tozy

L’expert en sciences politiques voit en lui un chef de gouvernement normal. Voire effacé. Une sorte de retour à la tradition marocaine, qui a connu de rares exceptions : l’expérience d’alternance politique menée par Abderrahmane El Youssoufi, la parenthèse technocratique conduite par Driss Jettou, ou encore l’avènement islamiste avec le mandat d’Abdelilah Benkirane. « Saadeddine El Othmani se voit davantage en chef de gouvernement ou de cabinet qu’en patron de l’exécutif qui sait envoûter la rue », analyse Tozy.

Une différence de taille avec son prédécesseur.

Pour le bilan d’étape, il faudra repasser

Communication minimale. Alors qu’il devait rendre publiques ses réalisations dès le mois d’avril, le gouvernement s’est contenté d’un communiqué laconique à l’issue d’une réunion de la commission interministérielle chargée du suivi de la mise en œuvre du programme gouvernemental. « Le bilan consolidé de la première année de mise en œuvre du programme gouvernemental a permis de constater un taux de réalisation (ou en cours de réalisation) d’environ 88 % de l’ensemble des mesures », explique le texte.

Pour le détail, il faudra repasser. « Les participants ont convenu que l’opinion publique, après la finalisation par les départements ministériels, sera informée des réalisations du gouvernement au titre de la première année de son mandat à travers un document de synthèse », précise le communiqué. Circulez, il n’y a rien à voir.

Pour les observateurs, ce retard dans la communication des réalisations de l’exécutif serait lié aux perpétuelles divergences au sein de la majorité.

Et pour cause : les alliés actuels du PJD sont appelés à devenir ses principaux rivaux aux prochaines législatives. Ils se gardent donc bien de lier leur sort à celui du parti islamiste. L’été dernier déjà, certains partis de la majorité avaient pris tout leur temps avant de cautionner le bilan préliminaire du gouvernement, intitulé « 120 jours, 120 mesures ». Le document était paru avec plus d’un mois de retard.

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