Ambassade des États-Unis à Jérusalem : quand António Guterres défie Donald Trump
Face à Donald Trump et à ses foucades, le secrétaire général de l’ONU António Guterres a longtemps fait le dos rond. Après le drame de Gaza, il s’est résolu à l’affronter. À ses risques et périls.
La partie est de plus en plus serrée. Dix-sept mois après son arrivée à la tête de l’ONU, le 1er janvier 2017, António Guterres n’a pas (encore) été broyé par le bulldozer Donald Trump. Il a même habilement procédé à quelques esquives. Face aux menaces américaines de coupes budgétaires drastiques, il a promis de faire le ménage dans la lourde administration onusienne. Face aux saillies verbales sur les « pays [africains] de merde », il a laissé au Haut-Commissaire aux droits de l’homme, le Jordanien Zeid Ra’ad Al Hussein, le soin de dénoncer les propos « racistes » du président américain. Mais la stratégie du dos rond a ses limites.
Après le carnage du 14 mai à la frontière entre Gaza et Israël (près de 60 manifestants palestiniens tués par Tsahal), le secrétaire général de l’ONU sait qu’il ne peut plus rester sans réaction.
Épreuve de force
C’est en décembre 2017 que commence l’épreuve de force. Le 6, Trump annonce que l’ambassade américaine en Israël va être transférée de Tel-Aviv à Jérusalem, au mépris de toutes les résolutions votées à l’ONU depuis 1967. Le 10, sur CNN, Guterres répond timidement : « La décision américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël risque de compromettre les efforts de paix entre Israéliens et Palestiniens. »
Le 21, lors d’un vote à l’Assemblée générale de l’ONU, l’initiative de la Maison-Blanche est condamnée par une large majorité de 128 États, mais Trump, qui ne recule pas devant le chantage au portefeuille, réussit à convaincre 65 membres de ne pas voter contre sa décision. Parmi eux : le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, la RD Congo, la Centrafrique, le Cameroun, le Bénin et le Togo. Quelques jours plus tard, les 65 ambassadeurs qui n’ont pas déplu à Trump sont invités à un cocktail de remerciement par sa représentante à l’ONU, la sémillante Nikki Haley.
Arrive la première journée sanglante à Gaza. Le 30 mars, 17 Palestiniens tombent sous les balles israéliennes. Dès le lendemain, Guterres sonne le tocsin et réclame « une enquête indépendante et transparente »… que les Américains bloquent aussitôt devant le Conseil de sécurité. À partir de la journée meurtrière du 14 mai, la demande de Guterres est reprise par tout le monde, même par les Britanniques, pourtant très proches de Washington.
Ce 18 mai, le Conseil des droits de l’homme, réuni en session extraordinaire à Genève, vote l’envoi d’une mission d’enquête internationale à Gaza. « C’est tout à l’honneur d’António Guterres d’avoir presque immédiatement demandé une enquête, commente Philippe Bolopion, directeur adjoint du plaidoyer à Human Rights Watch (HRW), mais c’est le minimum que la communauté internationale pouvait faire. »
L’un est un « catho de gauche », l’autre un milliardaire hostile aux migrants. C’est l’eau et le feu
Jusqu’où peut aller l’épreuve de force ? À priori, Guterres et Trump, c’est l’eau et le feu. Le premier est un « catho de gauche » qui, à la tête du HCR, a consacré dix ans de sa vie aux réfugiés. Le second est un milliardaire qui veut ériger des murs antimigrants. Mais en janvier 2017, lorsque Trump a cherché à interdire l’entrée des États-Unis aux ressortissants de sept pays musulmans, Guterres a réagi de manière fort prudente, contrairement au Haut-Commissaire aux droits de l’homme.
« Guterres, c’est la vitrine de l’ONU, mais ce n’est pas le champion des droits de l’homme, regrette Philippe Bolopion, de HRW. Après Ban Ki-moon, on espérait beaucoup de sa part et, pour l’instant, on est déçus. En Syrie, en Birmanie, en Chine, on voudrait qu’il prenne plus de risques. »
Premier contributeur
Le problème de Guterres, c’est que les États-Unis sont le premier contributeur de l’ONU : ils financent 20 % de son budget général et 30 % de ses opérations de maintien de la paix. Or Trump ne cesse de réduire les subsides américains. Depuis quelques mois, le secrétaire général multiplie donc les visites aux Casques bleus pour bien montrer l’importance de leurs missions. En octobre, il était en Centrafrique. À la fin de ce mois, il doit se rendre au Mali. Puis, en juillet, en RD Congo.
Aujourd’hui à la tête de l’ONU, Guterres fait face à une crise de crédibilité sans précédent
En novembre dernier, Guterres soupirait : « [Avec Trump], j’ai évité une rupture. » Aujourd’hui, il continue de se démener en cajolant Nikki Haley et en espérant que le nouveau conseiller à la sécurité nationale, l’ultraconservateur John Bolton – un fin connaisseur de l’ONU –, ne va pas tenter d’assujettir l’organisation aux intérêts américains.
En arrivant à New York, Guterres savait qu’il prenait le job le plus difficile du monde. Aujourd’hui à la tête de l’ONU, il fait face à une crise de crédibilité sans précédent.
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