Tunisie : Maya Jribi, un parcours exemplaire et atypique
Cette infatiguable et brillante militante démocrate s’est éteinte le 19 mai, à Rodès.
Maya était aimée et respectée. Plusieurs centaines de personnes ont suivi son cortège funéraire jusqu’au cimetière Al-Rahma, le 20 mai. Quelques heures auparavant, à son domicile, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, est venu en personne présenter ses condoléances à la famille. C’est peu dire que l’annonce du décès de Maya Jribi, 58 ans, a attristé l’ensemble de la classe politique tunisienne. Sa mémoire a été saluée dans l’enceinte de l’Assemblée des représentants du peuple par la nation réunie. Maya rassemble. Jusqu’à son dernier souffle.
Fidèle à ses idées
Derrière cette unanimité, un parcours exemplaire et atypique. Première chef tunisienne de parti, et l’une des premières au Maghreb, Maya Jribi fut secrétaire générale du Parti démocrate progressiste (PDP) de 2006 à 2012, puis d’Al Joumhouri de 2012 à 2017.
Son itinéraire est marqué par la fidélité. À ses idées, à des hommes. Dans les années 1980, parallèlement à des études de biologie à Sfax, elle adhère à l’Union générale des étudiants de Tunisie (Uget). Elle y rencontre les frères Chebbi – Issam et Nejib. Soudés pour la vie. Au même moment, Nejib Chebbi fonde le Rassemblement socialiste progressiste (RSP). Sans l’ombre d’une hésitation, Maya Jribi le rejoint et met sa plume au service d’Al Mawkif, l’organe du parti. Elle écrit déjà pour le journal Erraï, dirigé par son mentor, Hassib Ben Ammar, cofondateur de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), qu’elle a rencontré en 1983 et qui l’initie au militantisme.
Et, quand son ami Nejib Chebbi transforme le RSP en PDP, elle le suit encore. Et lui succède au poste de secrétaire général. Elle le suit toujours quand le PDP se marie à d’autres formations pour devenir Al Joumhouri, en 2012. Quand Chebbi tourne la page après un cuisant échec électoral, en 2014, elle reste à la direction. Gardienne du temple.
Figure de l’opposition à Ben Ali
Pionnière, aussi. Bochra Belhaj Hmida, ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates, se souvient que la militante fut sa première donatrice, malgré certains désaccords de fond. Prête à tout pour la démocratie, Maya entame une grève de la faim quand son parti est menacé de perdre ses locaux.
En 2005, ce petit bout de femme soutient l’audacieux mouvement du 18-Octobre. Lancée par la LTDH, l’initiative vise à coordonner les différentes oppositions à Ben Ali. Les islamistes sont autour de la table. Certains s’en émeuvent. Maya, elle, est l’une des figures les plus actives du mouvement, qui augure aux yeux de certains analystes des connexions politiques de l’après-janvier 2011. Durant ces années, Jribi approfondit sa connaissance de l’opinion publique à l’institut de sondage de Taher El Amouri.
Les honneurs ne l’intéressaient pas beaucoup, résume Issam Chebbi
2011. La révolution. Ben Ali chute. La promesse de lendemains qui chantent. Maya Jribi est élue à la Constituante. Elle manque d’en prendre la présidence. On lui préfère une autre figure de gauche, Mustapha Ben Jaafar. Puis la crise économique et la percée des islamistes d’Ennahdha, qu’elle combat de toutes ses forces.
Mais les meilleures batailles sont celles qui restent à mener… Mettre sur orbite Al Joumhouri, qui peine à décoller. Et, surtout, lutter contre ce cancer qui la ronge. Un sacerdoce pour cette infatigable militante qui n’a jamais compté ses heures. Mais la maladie finit par la contraindre à se retirer de la vie politique. Le titre de présidente honorifique lui est proposé lors du congrès d’Al Joumhouri de 2017. Elle refuse poliment. « Les honneurs ne l’intéressaient pas beaucoup », résume Issam Chebbi.
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